[ ALBUM ] S8JFOU, Cynism // électro fait sur mesure
Cynism, deuxième album de S8JFOU (déjà disponible chez Parapente music)
La question première se posant dans le cas présent est la suivante : pourquoi ce nom, Cynism, pour ce deuxième album ? Car, à la vérité, il ne se montre absolument pas cynique tant la générosité semble s’en échapper par tous les orifices. Loin d’une production électro balisée, S8JFOU ( [sɥʒ fu] pour la prononciation) ose l’aventure spatiale, complète, à 360°.
Pour ce faire, il convient déjà d’expliquer l’éthique de ce musicien. S8JFOU est un pianiste et trompettiste, autodidacte, qui fabrique lui-même ses machines. En effet, il construit, par nécessité d’apprendre, ses propres claviers. En résulte, forcément, une originalité incroyable dans les sonorités proposées. Si l’aspect « robotique » de celles-ci est indéniable, elles nous paraissent paradoxalement chaudes, un peu comme si ces machines étaient un peu des Pinocchio en puissance. On s’explique : le petit pantin de bois s’éveille à la vie, donc à la conscience, et nous propose une belle analogie car nous ressentons comme un transfert d’âme de S8JFOU vers ses engins. D’où cette impression, plus forcément si paradoxale, de chaleur qui en irradie.
Des structures complexes.
L’entame du disque déconcerte. Les structures rythmiques y sont complexes, elles nous déroutent car nous ne savons pas vers où se dirige le musicien. Néanmoins, cette impression de complexité se dilue peu à peu et, dès le troisième titre, elle s’efface de nos pensées (mais elles demeurent pourtant présentes dans la musique de S8JFOU). Notre attention se porte ailleurs, dans une deuxième sphère dans laquelle les mélodies dispersent leurs charmes.
Ainsi, nous oublions le cadre pour voir au-delà. La sensation est étrange entre ce que perçoit notre cerveau et ce que perçoit notre coeur. C’est un peu comme nous étions scindés en deux, entre désir de compréhension de ces rythmes mécaniques/électroniques et lâcher prise total. L’émotion se développe à chaque apparition d’instrument plus traditionnel, trompette en tête. Le titre Digitall, par exemple, nous transporte immédiatement dans un ailleurs que ne nous laissait pas entrevoir le début de l’album par exemple. Mélancolique à l’extrême, il nous apparaît presque comme un combat (constat?) entre machines et humains.
Pas de science-fiction.
Nous ne sombrons pas, rassurez-vous, dans un délire à la Terminator. Mais l’aspect organique de la trompette contrebalance, tout en l’augmentant, nouveau paradoxe, l’omniprésence des machines. Le mélange est incroyablement dosé, de sorte que nous sentons notre pouls s’accélérer, notre myocarde s’emballer au rythme d’une soudaine tachycardie venue d’on ne sait où. L’effet est parfaitement réussi et trouve un prolongement dans la suite de l’album.
Si nous ajoutons à cela des compositions contenant plusieurs strates distinctes effectuant le jeu de l’ajout/retrait au sein d’un même corps de composition, nous pénétrons bien vite dans une spirale déroutante, spirale dans laquelle nous perdons vite nos repères traditionnels. Nous nous perdons alors, corps et âme, dans le Cynsim de S8JFOU. Mais, une nouvelle fois : pourquoi ce titre ?
D’après nous, si nous sentons, malgré le caractère presque 100 % instrumental (des fragments de discours sont présents sur deux titres) un propos visant à décrire les errances d’une civilisation à bout de souffle (nous savons tous que si nous ne changeons pas certaines de nos mauvaises habitudes consuméristes nous conduisons notre propre espèce à la mort), son cynisme l’a conduira inexorablement à reproduire les mêmes schémas. En osant cette complexité rythmique, avant-gardiste, en osant les sonorités différentes, c’est comme si le musicien nous démontrait, la preuve par deux, que nous pouvons changer des choses tout en poursuivant à générer de la beauté, de l’innocence, de la générosité, de la vie, comme elle devrait finalement être.
LE titre de Cynism.
Cet album demande un léger temps d’adaptation. Il demande potentiellement plusieurs écoutes. C’est une évidence, il faut s’impliquer pour le découvrir, donner un peu de soi pour accepter ce que nous offre S8JFOU. Parce que son Cynism est d’une générosité folle, d’une inventivité rare, et que de telles œuvres méritent d’être saluée pour ce qu’elles sont : des reflets du monde, ni plus ni moins, mais également une lueur d’espoir, sans cynisme. Magnifique.
Vous l’avez compris, nous l’avons déjà cité, il s’agit de Digitall. Mais, pour être complet, nous considérons qu’avec Mickey under every wall ils forment un diptyque des plus pénétrants, émotionnellement impactant. D’autres titres leur damnent presque le pion, comme l’aérien Fond memory of youth par exemple, pourtant ces deux titres en milieu d’album font basculer les réticences que peut-être nous ressentions à la première écoute.
Car il est vrai que ce qui se déroule ensuite renoue un peu plus avec un aspect animal, comme si un apaisement venait de se produire, qui annihile partiellement les rythmiques échevelées pour d’autres plus apaisées. Mais quand nous remettons le disque à son début, nos perceptions ne sont plus les mêmes et un éveil permanent s’offre à nous, à chaque écoute, dévoilant les secrets de titres que nous estimions à tort plus faibles, nous entraînant sans cesse vers une écoute supplémentaire, comme pour mieux comprendre l’album et, d’une façon plus général, le monde qui nous entoure.