Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
TIMOTHÉE CUEFF, Les pieds dans l’eau (paru chez Lunatique)
Retrouver un peu de l’enfance.
Tout commence les pieds dans l’eau. Par une sortie à la plage, avec cette restriction de ne pas aller se baigner juste après avoir mangé. Des enfants s’amusent dans l’eau. Les rires éclaboussent. Le soleil pleut et la mer bretonne disperse son sel au gré des vagues venant s’abattre sur les jambes des enfants. L’innocence dans toute sa beauté. Une poésie de l’insouciance, des souvenirs que l’on ne fantasme pas. Mais on le sait, rien ne se fige, surtout à l’heure de la marée et de la pluie qui remplace le soleil, à la fois dans l’âme et dans le ciel. Les drames se jouent en sourdine, façonnent des êtres qui plus jamais ne seront pareils.
Ce premier roman de Timothée Cueff est un appel à l’enfance, à retrouver son charme, à éviter les pièges que leur tendent les parents, ou du moins à essayer de continuer à vivre avec. Ce roman est un entrecroisement d’enfances, puis d’adultes, qui dispense, au fil du temps, ses tenants et aboutissants, en les prolongeant par un cri d’amour à la ville de Brest. C’est aussi un vrai cri de liberté, celui qui nous dit d’être celui que l’on est, tout au fond de nous. On ne ressort pas indemne d’une telle lecture.
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Avancer.
Comment se construit-on ? Qu’est-ce qui a véritablement de l’importance ? Chaque pas que nous faisons est guidé par ce que nos parents attendent de nous. On se réfugie, tant que nous le pouvons, dans les jeux d’enfant, les jeux futiles, les rires, les joies, on se raccroche à des livres, à des moments et à des gestes insignifiants. Enfants, on les comprend sans les comprendre vraiment. On les ressent peut-être simplement un peu plus fort, dans leur tragédie, dans leur complexité.
Après cela, nous attendons que ça passe. Petit à petit, on grandit, on oublie la joie, l’insouciance, les souvenirs en eux-mêmes se fanent pour ne laisser en bouche qu’un goût de carton jauni, celui de ces vieilles photographies aux couleurs passées par le soleil. Ou l’eau de mer. Adulte, il ne reste que cette bile, celle que l’on vomit au sortir d’un bar, celle qui ronge nos rêves, celle qui tue un peu l’humanité que nous avions pourtant radieuse.
Oh ! Certains s’en sortent, avec classe, élégance, sans doute parce que plus fort en dedans. Ceux-là irradient. Peut-être que ce qu’ils ont vécu était moins dur, peut-être simplement se sont-ils forgé un refuge dans la lecture, l’écriture, une porte de sortie comme une autre, peut-être, surement, moins autodestructrice qu’une autre.
S’enfoncer dans les artères de la ville.
Après, c’est comme si nous nous faisions avaler. Par la vie, la ville, par l’océan, avec toujours ce regard qui brille vers ce qui n’éclate plus forcément aux yeux des autres. Les détails, tout est dans l’infinité des détails, ceux qui ne s’expriment pas pleinement. Dans cette poésie de l’absent, ou au contraire de ce qui est on ne peut plus présent. Chacun se cherche une raison, un point de fuite, un ailleurs où s’enfuir.
Garder une trace du passé, un souvenir qui ne s’éteint pas, un amour indestructible parce qu’il a été détruit justement. Un lien du sang, lien plein de paradoxe puisqu’on cherche à la fuir d’un bout tandis que l’autre bout, celui qui nous a fui, on cherche à la rattraper, à faire comme si jamais il ne s’était rompu. Les rencontres donnent parfois une bouffée d’oxygène, même celle d’un flic. Mais pansement sur une jambe de bois, elles ne guérissent rien, du moins jamais durablement.
La délicatesse des vies brisées.
Dans ce court mais intense roman, Timothée Cueff nous parle de vies brisées, d’enfances sacrifiées, d’enfant qui ont dû grandir avec des membres en moins. Pourtant, si leurs vies sont tragiques, pour presque tous, il y a dans ces enfants devenus adultes cette part de soleil qui continue de briller, toujours, avec la même intensité incandescente.
Avec une écriture faite d’images, de sensations, de cette capacité à peindre avec les mots, Les pieds dans l’eau (paru aux éditions Lunatique) est une histoire d’amour, dans tous les sens du terme, autant à une période, l’enfance, qu’à une région, une ville (la Bretagne, le Morbihan, Brest), voire qu’à l’écriture, la littérature. Le message pourrait être celui-ci, de ne jamais oublier l’enfant que nous étions, mais Timothée Cueff est bien trop subtil pour nous faire la leçon, et c’est ce qui rend son livre si fort, si beau. Une lecture que nous vous conseillons à la fois pour sa force, sa douceur, et pour des images fortes qui forcément nous ébranlent, comme pour mieux nous montrer à quel point nous sommes en vie.