[ livre ] LOUIS BOCQUENET, La passagère

La passagère, de Louis Bocquenet, paru aux éditions Les archives dormantes.

C’est un grand « petit » livre* qui aurait pu ne jamais voir le jour. En tout cas, tel n’était pas son but. Parce que ce grand petit livre est un journal de bord, un journal de marche, un carnet intime où l’auteur Louis Bocquenet note tout ce qui ne devrait avoir de l’intérêt pour personne d’autre que lui. Si sa vie était comme celle de tout le monde. Oui mais voilà, sa vie n’est pas comme celle de tout le monde et La passagère nous percute de plein fouet.

Ce journal de marche, Louis Bocquenet l’a entamé avant de partir au Maroc où sa compagne lui avait promis de l’y rejoindre. Mais elle manquera à sa promesse. Pas de sa volonté propre puisqu’elle sera tuée avant de pouvoir tenir celle-ci. Dans ce journal de bord, Louis Bocquenet note tous ces états d’âme, tous ces questionnements, décrit l’attente insoutenable entre le moment de la disparition d’Odille jusqu’à ce que son meurtrier avoue. Puis jusqu’au moment où le corps réapparaît. Nous allions noter « ton » corps réapparaît. Car durant tout ce journal de marche, Louis « te » tutoie. Ça y est, nous ne parvenons plus à mettre de distance, comme si désormais tu faisais partie de notre vie, même si nous n’étions pas nés quand ceci est arrivé.

Une immersion totale.

Ce n’est pas un livre où l’auteur exhibe sans pudeur, sans fierté, le drame qui fut le sien. Ce n’est pas un livre pour voyeurs, pour ceux qui se repaissent, comme les journalistes mentionnés au cours du procès du meurtrier, du malheur d’autrui. C’est un livre plein d’amour, d’un amour détruit, d’un homme qui continue à avancer sur son chemin, vaille que vaille, alors qu’il a été amputé non pas d’un membre mais d’un sentiment. Cet homme, Louis Bocquenet, s’exprime avec l’honnêteté de ceux qui savent qu’ils ne seront pas lus. Ce n’était pas le but. Mais, aujourd’hui âgé de 73 ans, le livre voit le jour.

Nous y découvrons une écriture magnifique. Elle est poétique, ronde, faite de références à la poésie et à la peinture. Elle est intelligente, instruite, libertaire mais respectueuse. Elle nous montre une époque, les années 70 (Odille a été tuée en 1971) de l’intérieur, une jeunesse encore marquée par mai 68, c’est-à-dire en pleine évolution et prise de conscience que les choses doivent changer (peine de mort et avortement y sont évoqués). Elle nous montre un homme brisé qui trouve la force de continuer à avancer par l’écriture, par l’amitié, mais surtout pas par la haine (il est écrit dans La passagère qu’il ne ressent pas de haine pour le meurtrier).

La poésie comme résilience.

Louis Bocquenet parsème ses écrits intimes de poèmes. Ils sont magnifiques. Ils sont pleins d’une grandeur d’âme qui est ici très bien mise en valeur par l’éditeur. Le rythme, lent, comme bercé par des vagues, trouve dans la mise en page des accélérations, des ponctuations, un souffle. Un souffle qui, nous n’en doutons pas, est proche de celui insufflé par l’auteur, insufflé par ce sentiment de vie qui, même brisée, persiste.

Ce livre n’est pas un témoignage. Il est plutôt un souvenir. Écrit sur le moment, les mots n’ont rien perdu de leur force, ni de leur signification. La douleur, si elle y est tangible, n’est en rien un apitoiement. Elle est vive, ardente, mais elle permet aussi à Louis Bocquenet de ne pas dérailler notamment parce que son écriture (l’écriture de sa douleur) lui permet de guider, peut-être, ses mauvaises pensées vers d’autres destinations, dans une autre énergie.

Il est impossible d’être insensible à ce qui est dit ici, tout comme il nous est impossible de ne pas aimer cette femme dont la vie s’est arrêtée bien trop tôt. Ce livre est aussi, malheureusement, un révélateur des violences qui étaient déjà faites aux femmes, problème qui n’est, à l’heure actuelle, toujours pas réglé. Est-ce si peu de chose une vie humaine, une vie de femme ? Sommes-nous, nous, hommes, des animaux ?

Passons sur cela car tel n’est pas le propos, même si, évidemment, l’actualité poursuit son cours de la plus stupide, bête et méchante des façons. Mais nous apprenons aussi, ou redécouvrons, par la plume de Louis Bocquenet, que l’amour peut-être immortel, et cette déclaration à La passagère en est un bouleversant témoignage. Absolument indispensable.

 

 

*grand petit livre car les dimensions du livre sont celles d’un carnet. Grand car ses qualités d’écriture et le choix de sa mise en page (et typographies) en font un livre, à notre avis, incontournable.

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PODCAST :

découvrez la chronique radio de La passagère, diffusée le 11/01/21 sur radio-activ, dans l’émission B.O.L, bande originale de livre. Musiques : El perro del marr, Dreamers change the world (mini album Free land), Johnny Labelle, The Dolhins (album XVIII) et Seinei, Naoned (album Toitsu).

la passagère louis bocquenet

Un autre ouvrage paru chez Les archives dormantes ? Tu l’écris, je le crie.

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