LAURENT PÉPIN, Monstrueuse féerie (collection La tangente)

LAURENT PÉPIN, Monstrueuse féerieDécompensation poétique.

Voici un livre étrange. Où l’horreur côtoie le merveilleux, où la raison s’égare dans la folie, où les apparences ne sont qu’illusions. Jusque dans le titre qui rappelle un oxymore, sans en être réellement un, Monstrueuse féerie (chez Flatland éditeur) nous parle d’une Elfe, de Monuments, mais surtout d’un rapport extrêmement perturbé au Père et à La Mère. Avec une écriture vive, alerte, mais peut-être légèrement dérangée (comme nous les aimons donc), Laurent Pépin nous amène à explorer la psyché cabossée de son narrateur.

Son narrateur, d’ailleurs, est-ce l’auteur lui-même ? Vaste question, que nous nous sommes mille et une fois posés lors de la lecture de cette novella captivante, aux symboles forts, qui renoue avec les contes de fées. Parce qu’il faut bien noter cette évidence que grand nombre d’entre nous ont du mal à se souvenir. Les contes pour « enfants » sont terribles, violents, bien souvent malsains. En choisissant ce format « nouvelle », qui pourrait presque s’avérer psychanalytique, Laurent Pépin nous perturbe et propose sa version du conte pour adulte version XXIé siècle.

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Un psy, une Elfe, des Monuments.

Le narrateur est psychologue. Il se sent mieux auprès de ses patients, qu’il nomme les Monuments, qu’auprès de son boulanger. La quatrième de couverture dit d’ailleurs ceci : « Je suis devenu psychologue et je travaille dans ce Centre. Souvent mon boulanger me demande si ce n’est pas trop dur de travailler avec « les fous ». Moi j’ai envie de lui répondre que ce qui est vraiment dur, c’est plutôt ce genre de dialogue, mais je me tais. » Déjà tout un symbole.

Dans ce centre, il y a donc les Monuments. Les fous. Quand ils font des crises, des compensations psychotiques dixit le psychologue, il préfère user du terme compensation poétique (encore un symbole). Et de la poésie, il y a en a dans cette nouvelle, partout, même si elle peut secouer, pas toujours, les âmes sensibles. Parce que l’auteur s’attaque au modèle du père, de la mère, qu’il nomme d’ailleurs par ces termes (Le Père, La Mère), comme par peur du pronom possessif qui le ramènerait à eux, modèles défaillants, dysfonctionnels, symboles eux aussi d’un rôle qui ne trouve plus sa place aujourd’hui.

Le psy malade, autre symbole, ne fait aucun doute. Sa douleur remonte à l’enfance. Son enfance à des cauchemars. Ils trouvent chez ses patients comme un refuge, une bulle, qui l’éloigne de la réalité, en quelque sorte. Et puis il y a l’Elfe, son histoire d’amour. Elle le maintient à la surface tandis que son passé le rattrape, mais jusqu’à quand ? Jusqu’à la rupture, la séparation ?

Puissante.

L’écriture ébranle. Elle est métaphorique, il en est même fait notion, mais aussi terriblement lisible tout en restant cryptique, mais aussi terriblement imagée, mais aussi terriblement poétique. On retrouve, dans les lignes, une référence à Boris Vian. Comme pour le poète, nous retrouvons chez Laurent Pépin un peu de cette poésie décalée, mais tournée vers l’intérieur, vers les entrailles, vers la douleur infinie qui ne trouve de réponse que dans une forme de fuite vers l’abîme. Les pensées du narrateur sont exposées au grand jour, nous perturbent car ne possèdent aucun filtre pour atténuer leur côté pervers.

Pervers car elles nous renvoient forcément un peu à nos fêlures, à nos maux. Elles bousculent, chahutent l’ordre établit derrière lequel nous nous efforçons d’évoluer. Est-ce le but ? Ou bien est-il simplement cathartique pour l’auteur ? Cela a-t-il finalement tant d’importance que cela ?

Nous ne nous identifions pas véritablement au narrateur, néanmoins ce qu’il raconte possède une vérité absolue. Si l’on creuse jusqu’à l’os, on dirait que nul parent n’est parfait et que ses erreurs se répercutent sur ses enfants, qui ensuite les trimballent jusqu’à leur mort, à des degrés divers.

Solitude.

Mais ce qui apparaît, c’est surtout une solitude. Celle d’un homme qui invente des barrières pour ne pas voir la réalité en face (mais nous le sentons pourtant clairvoyant sur ce qui va de travers en lui, autour de lui également). Le couple est décrypté avec une acuité bouleversante, cette projection dans l’autre ressemblant à s’y méprendre à un tombeau. Les scènes les plus trash rappellent un Stephen King sous acide (le narrateur, enfant, se bouche les orifices de peur que des cafards y pénètrent, comme il a pu en voir partout dans la gueule du Père), sans jamais perdre de vue l’écriture en spirale qui, partant de sa base évasée, nous ramène inexorablement à sa pointe resserrée.

Nous sommes dès lors aspirés dans un vortex vertigineux, qui accélère une déchéance progressive mais dont nous sentons poindre, dès les premières lignes de Monstrueuse féerie les prémices. Il faut dire qu’un spleen goudronneux s’installe instantanément, dès la fameuse quatrième de couv, une espèce de mélasse de laquelle nous savons qu’il sera impossible de s’extraire sans y laisser des plumes.

Le doux rêveur des débuts, enfin tel que nous le croyons à l’entame de la nouvelle, se métamorphose peu à peu en Monument. Comme dans le livre de Kafka, l’inexorable transformation s’opère sans qu’il soit possible d’y faire quelque chose, comme si la résignation était en fait ici une évasion du narrateur vers un état dans lequel il n’aura plus à se soucier de lui-même.

Monstrueuse poésie.

Alors au fur et à mesure d’images choc et d’amour fou, Laurent Pépin pointe les antagonismes, les mécanismes menant à l’annihilation de son « héros ». En s’effaçant dans sa propre folie, lui qui devait soigner les autres, il nous montre en quelque sorte que les guérisseurs de l’âme sont bien souvent les premiers malades. Sans doute cela n’est-ce pas son but, mais est-ce que cela à vraiment beaucoup d’importance ?

Absolument pas, parce que la nouvelle se lit vite, même si elle demanderait une analyse poussée par un professionnel de la profession (psychiatre s’entend), ce que nous ne sommes pas (et que nous ne voulons pas être). Seule demeure la curiosité d’une plume libre, très personnelle, agissant comme une foreuse de puits, celle qui s’enfonce loin dans les méandres de la pensée humaine. Choc encore et toujours. Et paradoxalement, c’est beau, d’une beauté insolite et inédite. Une curiosité à découvrir sans tarder, sauf si vous craignez vous même de disparaître dans cette centaine de pages.

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