[ROMAN] JOYCE CAROL OATES, Sacrifice.

Retour sur le roman Sacrifice de Joyce Carol Oates par aux Éditions Philippe Rey.

Joyce Carol Oates fait partie de ces auteurs régulièrement pressentis pour décrocher le prix Nobel de littérature. Sa bibliographie, en terme de volume, en ferait pâlir plus d’un. Mais s’il ne s’agissait que de quantité, cela ne nous intéresserait que moyennement. Nous parlons bien là de qualité. L’œuvre de Joyce Carol Oates, en ce sens, est impressionnante, à l’image de Sacrifice, roman basé sur un fait réel sordide remontant à 1987.

Une autrice puissante.

Nous disions plus haut que Joyce Carol Oates est régulièrement pressentie pour devenir le prochain prix Nobel de littérature. Du coup, l’année ou Bob Dylan obtient le titre, certains n’en croient pas leurs oreilles, leurs yeux, leur amour-propre, ce qui peut paraître justifié, notamment à la lecture de Sacrifice, roman paru aux Éditions Philippe Rey, qui est une petite merveille dans tous les sens du terme.

Sacrifice nous raconte l’histoire survenue à Sybilla Frye, jeune fille noire de tout juste quinze ans, retrouvée ligotée, couverte d’excréments de chiens, le visage et le corps tuméfiés. Une voisine, alertée par des cris étouffés, la découvre dans la cave d’un immeuble désaffecté du quartier de Red Rock, ville de Pascayne. Sur la poitrine de l’adolescente est inscrit « Pute nègre, Ku Klux Klan ». Lors de son hospitalisation, elle parvient à écrire que les responsables de ces actes sont 5 ou 6, dont au moins un flic. Blanc.

Historique du racisme ordinaire.

Après les émeutes survenues aux États-Unis au cours des dernières années, souvent pour des bavures policières commises à l’encontre des noirs, Joyce Carol Oates s’inspire d’un fait divers pour nous expliquer comment une étincelle peut produire un véritable feu de forêt.

Pourtant, l’auteure ne fait pas dans l’empathie avec ce roman. Elle décrit froidement les engrenages menant à la révolte. Son écriture, faite de répétitions, de circonvolutions, appuie le côté inéluctable de ce qui va se produire, appuyant son propos par des faits sociétaux historiques, ce qui crédibilise fortement son propos.

Son regard est acerbe. Elle nous montre que tout vient des racines du mal, racines ayant conduit les uns à se frotter aux autres. Elle ne prend jamais parti pour un clan (celui des flics, celui des noirs), elle se contente, d’une manière quasi journalistique, de montrer les éléments des vies en jeu.

Une plume subtile, mais explosive.

Ici, tout n’est que détails, ressentis, préjugés. Rien ne tient et pourtant tout s’imbrique à merveille. La tension monte au fil des pages, nous sommes soumis à la manipulation des personnages secondaires. Ceux-ci, pour le bien d’une communauté ou leur propre ego, exhortent au mensonge.

Cette tension est d’ailleurs insupportable, car inexorable, reposant sur des fondements de haine, pas injustifiés, mais qui auraient pu être terrassés depuis longtemps si la bêtise des hommes n’était pas la bêtise des hommes.

Au final, Sacrifice se révèle être passionnant. Il nous rappelle que nous devons réfléchir à nos actes et à leurs conséquences. Superbement écrit, passionnant, terrible également car nous y voyons une certaine forme de fatalisme.

Sacrifice s’imprègne en nous comme une mauvaise fièvre.

Nul doute que Joyce Carol Oates aurait mérité le Nobel. Nul doute qu’elle l’obtiendra un jour…

Joyce Carol Oates Sacrifice

Podcast Bande Originale de Livres diffusée le 06/01/2020.
Retour sur un roman lui aussi Podcasté sur Radio Activ ‘ ? Animale de Laure Anders

 

 

 

 

Voici la version écrite du podcast, complétant cette chronique ci-dessus, initialement publiée lors de la sortie du livre.

Version écrite (légèrement remaniée) du podcast consacré à Sacrifice.

Je commence l’année avec une autrice majeure. Elle est souvent pressentie pour le Nobel de littérature et certains ont crisé en apprenant que Dylan l’avait obtenu avant elle. Je ne remets nullement le talent de Bob Dylan en doute, loin de là, mais je peux comprendre ces détracteurs qui voient en Joyce Carole Oates un digne prix Nobel de littérature tant sa plume possède à la fois finesse et force. J’ai pu lire trois ouvrages de cette grande dame de la littérature mondiale, dans trois styles très différents. Tous trois sont parus aux Éditions Philippe Rey.

Aperçu de la bibliographie de Joyce Carol Oates.

Je vais m’attarder sur l’un d’eux mais je vous mentionne néanmoins les deux autres. L’un d’eux se nomme Valet de Pique et c’est un thriller diablement efficace. J’utilise diablement à très bon escient puisqu’il est question d’une âme tourmentée, en proie à son alter ego, le valet de pique. Qui plus est, il parle d’un écrivain, et souvent les mises en abime de ce genre sont toujours explosives. Je pense notamment au bouquin de Stephen King, Vue imprenable sur jardin secret, paru dans le recueil de nouvelles Minuit 2, et adapté au cinéma sous le titre fenêtre secrète, avec Johnny Depp, film soit dit au passage anecdotique.

Le deuxième livre de Joyce Carole Oates que j’ai pu lire est une autobiographie. Il s’appelle Paysage perdu et ressemble à s’y méprendre à un roman. Pourtant, l’autrice n’y glisse rien de romancé, elle s’en garde en indiquant ne relater que les souvenirs dont elle est absolument certaine. Néanmoins, sa manière de conter sa vie est passionnante, car c’est à la fois simple à lire même si la langue y est riche, mais c’est également une transcription d’une vie passée à écrire, et à travers ça à se sortir d’une catégorie sociale pour une autre. Bref, on y lit un peu l’aboutissement du rêve américain.

Mais le bouquin qui m’intéresse aujourd’hui n’est en rien un thriller ou une autobiographie. Inspiré d’une histoire vraie, d’un fait divers sordide, Joyce carole Oates nous parle pouvoir, manipulation et mensonge. Ce bouquin s’appelle Sacrifice et c’est de lui dont je vais vous parler, juste après ça.

L’histoire de Sacrifice.

Il est question dans Sacrifice de lutte raciale, de précarité, de pouvoir, de mensonge, ou du moins d’une quête de vérité. Le livre est tiré d’un fait divers sordide, qui n’est d’ailleurs pas forcément ce qu’il semble être, et Joyce Carol Oates en démontre les rouages de façon magistrale. Comment ? Déjà, elle nous plante dans le décor de façon directe.

Aucune explication, nous débarquons dans ce quartier pauvre, un ghetto, dans lequel la population noire tente de survivre malgré la pauvreté et l’injustice, notamment celle des forces de l’ordre toujours encline à taper sur les noirs en premier. Bref, on débarque dans Pascayne, dans le new jersey, ou Sybilla, une adolescente, est retrouvée attachée, maculée d’excréments, et qui dit avoir été violée. Elle accuse des flics blancs de l’avoir fait. Mais est-ce vraiment le cas ?

Cette question apparaît rapidement dans le roman, jouant sur des imprécisions, des approximations du témoignage de la gamine. Mais peu importe car ce viol lui échappe. Je sais la formulation est choquante, car qui peut s’enorgueillir d’avoir été violé et de revendiquer sa garde ? Mais la vérité est là, elle s’en retrouve dépossédée par des gens qui érigent ce fait en acte de guerre des blancs contre les noirs, mais également à des fins religieuses. Tout le monde veut s’accaparer cet acte à ses propres fins, quitte à encore plus déstabiliser la jeune fille.

Explosif.

Ce bouquin est une allumette jetée dans un baril d’essence. Car Joyce Carol Oates provoque avec Sacrifice. Elle provoque autant qu’elle dresse un portrait au vitriol de l’Amérique et de son racisme. Oui, le délit de faciès y est toujours très très très présent (mais comme en France ne nous voilons pas la face), les noirs y sont toujours traité comme des individus suspects, de façon toujours plus hâtive qu’envers les blancs. Mais voilà, personne n’est ni tout blanc ni tout noir, et tout blanc soient-ils qu’ils n’en sont pas forcément racistes, et tout noirs soient-ils n’en jouent-ils pas également ? Ce bouquin met en exergue, sous le prisme d’une vérité aléatoire, tout ce que le comportement humain peut avoir de vil, de mesquin, d’égoïste aussi. En deux mots comme en mille, ce bouquin met une claque !

Une écriture puissante.

L’écriture de Joyce carol oates est vénéneuse. Elle possède l’art de raconter une histoire en développant des détails pour en faire des armes de destruction massive. Tout réside là-dedans, dans ce fil qu’elle ne cesse de dérouler, avec une exactitude implacable.

Elle est également, et à elle seule, un voyage dans un monde différent de celui que nous foulons chaque jour. Il n’y a pas de jugement de valeur dans ce roman, juste une vérité mise sur une table d’autopsie que chaque lecteur décortique avec ses armes. Ce roman est bouleversant, puissant, poignant, et me fait me dire que ce n’est pas impossible, effectivement, que cette grande dame de la littérature remporte un jour le prix Nobel de littérature. Et il ne s’agirait pas d’un vol.

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