JOHN KING, Anarchy in the U.S.E

anarchy in the U.S.E John kingDisponible chez Au Diable Vauvert.

Nous avions découvert John King, penchant littéraire de ce que peut-être un Ken Loach au cinéma, avec son roman coup de poing White Trash (déjà publié chez Au Diable Vauvert). Ce roman revenait sur les dérives des réductions de budget dans l’hôpital public anglais et nous mettait un violent taquet derrière les oreilles. Changement d’ambiance avec Anarchy in the U.S.E, fable dystopique qui, elle aussi, amène sérieusement à réfléchir.

L’époque dans laquelle se passe ce roman n’est pas clairement définie. Disons qu’elle se situe dans le futur. Mais ce futur nous semble bien loin du monde que nous connaissons. L’Europe n’existe plus réellement en tant que telle, elle est devenue L’U.S.E. Dans cette super patrie, les règles ont bien changé. Dans un environnement aseptisé, les habitants, vivant sous des dômes desquels sont absents presque toute forme de vie animale sauvage, y compris de simples moineaux, vivent une vie réglée par leur paume (sorte de smartphone greffée dans le creux de leur main) et par les Bureaus, les Crates et les Conseillers.

Les livres y sont tous dématérialisés. Plus aucune trace du passé n’existe, si ce n’est celle que les fameux Technos ont réécrite. Dans celle-ci, l’Angleterre n’a jamais existé, Winston Churchill et De Gaulle étaient des traitres, contrairement aux visionnaires qu’étaient entre autres Adolf Hitler et les dignitaires nazis. Les animaux y sont torturés pour le fun, la pédophilie est acceptée et plus personne ne semble se rebeller contre ce système inhumain mis en place. Vraiment ? Non, car des rebelles, vivant en marge des grandes métropoles, cherchent à faire s’effondrer cet état despotique.

1984, Le Meilleur Des Mondes, Farenheit 451.

John King rend ici hommage aux œuvres fondatrices des dystopies sociales. Dur, en effet, de ne pas y lire des relents de ces œuvres majeures, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur vient de cette relecture de nos sociétés modernes surmédiatisées qui nous font avaler des couleuvres en énonçant tout et son contraire (ce que nous avions déjà dans 1984 par exemple). John King s’en donne à cœur joie pour nous déboussoler. Les deux premiers chapitres nous placent de force dans un environnement auquel on ne comprend pas grand-chose, dans lequel les codes ont complètement changé. Résultats, nous découvrons, horrifiés, le monde tel qu’il pourrait (presque) devenir. Et le résultat est glaçant (et le devient de plus en plus au fur et à mesure des pages que nous tournons).

Le pire vient de ce que les êtres humains croient finalement être la norme. Vidé de tout esprit critique, les cerveaux passés à l’essoreuse du divertissement à outrance, ils sont complètement déshumanisés, complètement à côté de leur pompe. L’exemple en est frappant lorsque 5 moineaux pénètrent dans un dôme, créant une panique monstre avant d’être abattu (à l’exception d’un seul) et grillés sur un barbecue. Mais cet épisode n’est rien en comparaison des fonctionnements de « l’élite » qui gouverne, ces technocrates qui manipulent, grâce à la dématérialisation forcée, l’histoire et la réalité.

Nous découvrons deux d’entre eux, l’un au sommet de l’échelle, l’autre y aspirant. Si le premier à des souvenirs du monde d’avant, le second lui est totalement dans le moule de ce nouveau monde sans morale. Pour contrebalancer ces deux visions du monde, un troisième personnage se greffe à l’histoire, un rebelle, dont le monde, certes plus rude, ressemble au nôtre. Cela nous procure un indicible soulagement quand nous abordons le premier chapitre qui lui est attribué, car nous retrouvons un semblant d’humanité qui, jusqu’à présent, manquait au livre.

Un rouleau compresseur.

Le livre est écrit dans une langue fluide, magnifiquement rythmée. Le talent de conteur de King ne fait aucun doute. Cependant, dans Anarchy In the U.S.E nous ne retrouvons pas ce parti pris, un peu délicat à appréhender, de langage existant dans White Trash. Dans le cas présent, sa langue se montre pointue pour d’écrire ce que son imaginaire lui impose comme images, mais reste facilement accessible pour le lecteur lambda (ce qui n’était pas le cas pour White Trash dans lequel les phrases étaient à rallonges et juxtaposées les unes aux autres, du moins pour une des deux protagonistes).

Le souffle ne retombe jamais, de même que l’oeil acerbe de l’auteur ne bascule jamais dans un manichéisme qui lui pendait pourtant au nez. En effet, il aurait pu déclencher une forte empathie pour son héros, mais il la nuance toujours d’un soupçon de gravité et d’une sorte de morale qui rend répréhensible certains de ces actes. Ainsi, nous ne nous identifions pas totalement à son héros, même s’il nous reste toutefois fortement sympathique (il est libraire hors la loi, ça aide). Ses autres personnages principaux bénéficient eux aussi de traitement de faveur ne les rendant pas totalement pourris jusqu’à la moelle, même s’ils restent tous les deux fortement antipathiques. Mais l’un de ceux-ci garde un tant soit peu d’humanité ancrée en lui, tandis que le deuxième ressemble à s’y méprendre à un sociopathe fou dangereux, mais subissant de plein fouet l’environnement dans lequel il vit, n’étant plus capable de discerner la vérité du mensonge.

Les messages.

Évidemment, ce livre est un vecteur de messages. Le premier est celui qui consiste à démontrer que les livres sont une richesse qu’il ne faut jamais sous-estimer. La dématérialisation galopante pourrait rendre le format physique caduc, et cette disparition entrainerait de graves conséquences. Les livres possèdent ce pouvoir de nous instruire par des chemins de traverse, ce qui s’avère plus que jamais indispensable à l’heure des détournements d’informations et autres monopoles étatiques sur celle-ci (voir ce qui se passe en Russie ou en Iran en est deux beaux exemples). Dictature du divertissement et capitalisme à outrance en prennent ici pour leur grade.

Le second vise à démontrer que croire tout ce qu’on nous dit sans prendre un minimum de recul s’avère absolument néfaste pour toute démocratie. Ainsi, nous re-réfléchissons aux épisodes passés lors de la pandémie mondiale qui stigmatisait les non vaccinés, les rendant coupables de tous les maux alors même que les vaccins s’avéraient très approximatifs. Attention à ne pas suivre aveuglément la masse, prenez le temps de resituer les éléments dans leur contexte avant de prendre une décision, quelle qu’elle soit.

Enfin, ce livre nous montre à quel point il est facile de sombrer dans une dictature si l’on ne se fie qu’à nos smartphone. C’est toujours bête à dire, mais les procès qui y sont faits ne sont que des réactions à chaud sur des événements dont, finalement, personne ne maitrise les tenants et aboutissants. En revanche, tout le monde, ou presque, y voit là parole d’évangile. La méfiance est donc de rigueur, encore et toujours, et peut-être même plus que jamais à l’heure où certaines de nos libertés individuelles sont de plus en plus bafouées. En deux mots, Anarchy in the U.S.E est un livre utile et essentiel, comme ses illustres exemples!

Patrick Béguinel

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