JOHN KING, White trash, la douce vie des hôpitaux.

white tras john king

Roman paru chez Au diable vauvert (2014).

Angleterre, on ne sait trop où. Sans doute pas Londres. Peut-être plus une ville comme Liverpool, ou Manchester. Une ville ouvrière très probablement. Un hôpital. Y travaille Ruby James, infirmière. On l’imagine dans la vingtaine, moins de 30 ans c’est quasiment sûr. Peut-être un peu ronde, mais ça lui va bien), un peu punk aussi, mais passionnée par son boulot, empathique. Y travaille aussi M.Jeffreys. Lui, nous l’imaginons dans la petite quarantaine, tout fin, mais athlétique, un balai dans le cul, un comptable. Il a pour mission de traquer le gaspillage, là où l’hôpital perd de l’argent, là où il n’est pas rentable. White trash, c’est la vie de ce service en compression d’effectif, un service où les économies sont primordiales.

John King, c’est un peu le Ken Loach de la littérature, mais en plus noir, en plus tourmenté. Social en tout cas, mais jusqu’au point de non-retour. Il alterne, par chapitre, la plongée en apnée dans la psychologie de ses deux personnages gravitants autour de l’entité hospitalière, mais pas que. Si les descriptions de lieux et des personnages restent dans le flou, c’est comme pour mieux couvrir ces endroits et ces personnes que nous connaissons. Parce que, dans White trash, au superbe majeur squelettique sur fond d’union jack, ça peut être n’importe quel hosto de n’importe quel pays occidental.

Ruby.

Ruby s’exprime à toute vitesse. Un peu comme si les idées s’enchainaient les unes à la suite des autres, succession de sensations, de ressentis, d’observations, d’émotions. C’est un flux ininterrompu, qui voit tout, qui entend tout, qui scrute tout, sans cesse, alors ça ressort tel que sur le papier, dans des phrases à rallonges, sans ponctuation. Elle est l’image de la jeunesse, celle qui bosse dur la semaine et fait relâche les week-ends. Lors de ceux-ci, elle abuse gentiment de l’alcool, de drogues douces, mais au boulot, elle assure, comme elle peut, mais toujours avec une considération et une humanité qu’impose presque le job, mais elle a ça dans le sang.

Elle ouvre le bal des chapitres et nous apparaît sympathique. Sans faire dans le cliché, elle nous rappelle forcément une infirmière que nous avons pu côtoyer, gentille, qui prend le temps d’échanger quelques mots même si elle est pressée (et elle l’est assurément). Quand elle perd un patient, elle est touchée, véritablement. Elle s’en remet, c’est la vie, en particulier dans ce cadre où la vie parfois ne tient qu’à un fil.

M.Jeffreys.

Lui, c’est un peu, même carrément, l’inverse. Il observe beaucoup lui aussi, posément. Il analyse, tout, tout le temps, mais lentement, méticuleusement. Son job, c’est traquer la dépense inutile, le manque de rentabilité, la perte de temps. Il calcule, ne laisse rien passer, d’ailleurs rien ne lui échappe, ni les mots ni les actes. Nous le croyons raisonnable, mesuré, même un peu, beaucoup, chiant. Genre le type qui ne fait pas de vague, qui ne dit rien de ce qu’il pense vraiment. Le mec qui est invisible mais qui règne sur l’hôpital, celui dont les rapports comptent.

Dans les chapitres qui lui sont dédiés, les phrases sont courtes, bien structurées. Elles sont des couperets, des jugements irréversibles. Mr Jeffreys est froid, distant, pas sympathique, même foutrement perturbant, dérangeant, irritant. Mais au fur et à mesure du roman, on le découvre autre, il nous dévoile sa personnalité de plus en plus cachée, et on finit par en avoir peur, véritablement. C’est le visage du capitalisme à outrance, tout comme il est le visage de faits divers horribles entendus ou lus dans les journaux.

Suspens.

Ce bouquin demande un peu de mal, à son début, parce que nous commençons cette histoire du point de vue de l’infirmière James, avec son débit intarissable, laissant peu de place à la respiration, à l’aération. L’écriture de John King portant n’est pas foutraque, elle déroule des idées de façon ordonnée, elle fore vraiment la psychologie de la jeune femme (comme celle de Jeffreys) pour nous en restituer la beauté (ou la beauté horrifique). Comme un rouleau compresseur, elle nous entraine, nous aplatit au fur et à mesure de sa progression.

Nous sommes emballés par la jeune femme, nous ressentons un malaise croissant, de plus en plus pressant lors des descriptions du comptable. Sans doute est-ce son caractère maniaque qui nous met si mal l’aise. King déroule son histoire presque lentement, et quand nous lisons sur la quatrième de couv qu’il s’agit d’un « roman noir puissant », nous ne le comprenons pas vraiment, sauf dans les dernières pages. Un peu comme pour un film du genre Requiem for a dream, nous nous prenons un train en pleine tronche lors des derniers rebondissements, quand l’implacable logique de l’auteur nous délivre le fin mot de l’histoire.

Noir et social.

Il est dit, toujours en 4 de couv’, que John King nous « offre un roman noir puissant sur la fracture sociale, émouvant et d’une actualité troublante », ce qui pourrait nous échapper presque 20 ans après sa parution. Hélas (oui hélas), cette actualité est toujours ultra présente puisqu’elle concerne les suppressions de lit, les fermetures de certaines unités ou de certains services hospitaliers. Elle traduit, cette actualité, le monde comptable dans un milieu où le chiffre ne devrait pas être prioritaire, loin derrière le soin.

Or, c’est là que tout est troublant, dérangeant, c’est que notre chère pandémie actuelle a démontré tout ses dérapages, toutes ses compressions d’effectifs, toute la déliquescence d’un système financé par nos impôts, rendant plus que crédible les trajectoires des deux protagonistes, avec d’un côté des soignants au bout du rouleau (ils l’étaient déjà avant la covid19) et de l’autre des gestionnaires avides d’économies, maintenant un hôpital dans un équilibre qui, nous l’avons vu, bascule soudainement dans des entrailles d’incapacité à soigner les gens, ce qui tend à ériger une dictature sanitaire.

White trash, sans être visionnaire, est pourtant un livre qui parle, au plus juste, au plus fort, d’une économie prédatrice, celle qui détruit les hommes pour ne profiter qu’à une minorité. Glaçant.

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