ÉVELYNE SELLÉS-FISCHER, Le figuier stérile

le figuier stérile Evelyne Selles-FischerRoman parut chez L’Harmattan.

Si le titre du roman fait référence à un passage de la bible (Luc XIII, 6-9°, ce n’est pas anodin. En effet, ce roman dystopique, se déroulant à la fin de notre siècle, évoque un problème de plus en plus fréquent dans nos sociétés, à savoir celui de l’infertilité. En se basant sur des éléments factuels, Évelyne Sellés-Fischer imagine, dans Le figuier stérile, une humanité en proie avec l’un des doutes les plus profonds auquel elle pourrait se retrouver confrontée dans les décennies à venir.

Car qui ne conçoit pas signifie société sur le déclin, fin de celle-ci. Se posent alors des questions pratiques, théoriques, métaphysiques, philosophiques, morales également. Pourtant, si le portrait est noir goudron, il pointe aussi un espoir de changement de nos mentalités.

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Le problème.

L’humanité se meurt : les femmes ne tombent plus enceintes, faute à un sperme défaillant de leur compagnon. Si le problème arrive de façon isolé, il en devient endémique, et ne touche pas simplement les hommes, il touche aussi toutes les espèces animales. Se reproduire devient un véritable problème.

Si, durant quelque temps, les donneurs sont légion, ils se raréfient eux aussi, créant une chute vertigineuse de l’offre au détriment d’une demande sans cesse croissante. Le problème d’infertilité touchant d’abord les pays industrialisés, il ne tarde pas à envahir le reste de la planète. Hommes et femmes sont dans le doute : vivre ? À quoi bon si l’on ne peut assurer notre propre descendance ? Au-delà de ce simple aspect, l’enfant est le fruit de l’amour. S’en priver, contre son gré, provoque des affres que nul ne parvient à supporter.

La faute à quoi ? Au stress ? À la pollution ? Aux accidents nucléaires survenus au fil du siècle ? Qu’importe, le constat est sans appel : l’humanité se meurt.

Les solutions.

Alors, elle a recours au FIV (fécondation In Vitro), qui, de plus en plus s’avère inefficace. Et puis, il y a les GPA, mais là aussi, les résultats ne tardent pas à devenir des plus incertains. Le nombre de cancer de l’utérus se multiplie qui plus est. Certains généticiens envisagent même des utérus artificiels pour concevoir des bébés hors d’une matrice humaine. La science devient science-fiction, mais l’avenir de la race ne prête plus à plaisanter, toutes les solutions pour remédier à l’extinction sont étudiées avec le plus grand soin.

Certains scientifiques sont pour, d’autres non, et l’espoir des couples de pouvoir enfin « enfanter », quelle que soit la manière d’y parvenir, se greffe quelque part entre les deux. L’espoir, tenace, rallume la flamme dans des cœurs devenus arides. Mais la conscience morale s’impose. Tout est si compliqué…

Les origines.

Tout le monde a, dans son entourage, connaissance d’un couple ne parvenant pas à avoir d’enfant. La détresse, la fatigue psychologique générée par ce combat dans lequel l’humain devient un numéro de dossier est insupportable. L’empathie joue son rôle, la révolte aussi. Comment en sommes-nous arrivés là ? Et surtout, comment faire en sorte d’inverser la tendance ? Les chiffres sont pourtant éloquents, et Évelyne Sellés-Fischer les cite, pour encore plus de crédibilité. L’avenir se dirige dans l’entonnoir, dans un cul-de-sac si les choses s’aggravent comme elle l’imagine.

Nous avons aussi tous eu connaissance de ces poissons de rivière, stériles eux aussi. Lorsque les eaux usées sont, en aval de la station d’épuration, rejetées dans les cours d’eau, puis dans la mer, elles sont propres, certes, mais les différents traitements, dont ceux à l’ozone, ne parviennent pas à détruire certaines molécules présentes notamment dans les urines des femmes. Ces molécules proviennent de la fameuse pilule. Si celle-ci fut une avancée sociale, elle est devenue un fléau.

Tout le monde est impacté. Mais, aussi dramatique cela soit-il, il reste un infime espoir.

Le roman.

Évidemment, ce livre reste de la fiction, de l’anticipation. Pourtant, en choisissant une narration mêlant passages romanesques, en suivant un couple dans son parcours, violent, pour devenir parent, et passages plus scientifiques, Évelyne Sellés-Fischer rend le tout ultra crédible, dérangeant, poisseux. Ces descriptions, parfois techniques, font froid dans le dos et les scientifiques, s’ils se prennent un peu pour des sorciers capables de donner la vie sans homme ni femme (pour ainsi dire), il n’en reste pas moins, eux aussi, concernés par le mur qui se dresse face à eux, et qui demeure infranchissable d’un simple point de vue « mécanique » (d’ailleurs, les gens font de moins en moins l’amour pour l’amour, obnubilé qu’ils sont par leur désir de procréer).

L’écriture est donc précise, oppressante, fortement mélancolique, si ce n’est une fin qui nous redonne espoir dans un changement de paradigme qui, s’il est logique, n’en est pas moins utopique. Ce livre met une claque derrière la tête, nous pousse à nous interroger, à grande échelle, sur notre façon d’être, de voir le monde, de consommer. Autant conte social que sonnette d’alarme, autant roman qu’hypothèse plus que probable d’où nous nous dirigeons collectivement, autant philosophique que concret, Le figuier stérile nous impacte fortement puisqu’il touche un problème grandissant, partout dans le monde.

Le figuier restera-t-il stérile ?

La fin amorce un tournant dans l’humanité. Les hommes semblent avoir compris de quoi il retourne véritablement. L’autrice ne pouvait rester noire du début à la fin, mais cette fin, crédible, pose elle aussi question même si elle s’avère plus lumineuse. Elle dissipe un peu les ténèbres, ce qui n’est pas une mauvaise chose au fond.

Sans jamais jouer sur le pathos, sans jamais enlaidir une réalité pour parvenir à émouvoir (au contraire, le ton parfois clinique d’ Évelyne Sellés-Fischer crée une distance bienvenue), l’autrice dépeint des faits qui pourraient devenir concrets et interroge sur d’éventuelles dérives de la science. Avec intelligence et lucidité, elle nous amène à nous poser la question ultime : est-on prêt à tout pour devenir parent ? Et, si les faits se concrétisaient, pourra-t-on changer la donne ?

Rien n’est moins sûr. Mais il reste l’espoir…

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