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DENIS BRUSSEAUX & MARC GODIN, Quentin Tarantino
« Le cinéma dans le sang » See, les éditions du Layeur
Le cas Quentin Tarantino est à part dans l’univers du cinéma. Encensé ou conspué pour ses films, pour leur violence ou pour leurs partis pris, Quentin Tarantino reste malgré tout une icône du cinéma. Dans ce beau livre, Denis Brusseaux et Marc Godin reviennent sur la filmographie du cinéaste, une fois encore de façon très objective et honnête, ce qui rend, forcément, ce livre obligatoire pour tous les amoureux du 7é art.
De Reservoir dogs à Il était une fois…à Hollywood, toute la filmographie de celui qui défraya la chronique à Cannes lors de la Palme d’or réservée à Pulp Fiction y est décortiquée avec minutie. Qu’il soit aimé ou non, de ses pairs, des journalistes ou du public, Tarantino est une rock star qui ne laisse personne indifférent.
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Les débuts.
Quentin Tarantino n’aime pas l’école. Une seule chose l’attire : le cinéma qu’il consomme avec avidité. La faute à une mère cinéphile qui, si elle a un peu tendance à laisser son fils faire ce que bon lui semble, l’emmène voir des films totalement en adéquation avec son âge, mais possédant des qualités esthétiques, scénaristiques et artistiques indéniables. Ainsi, il verra La Horde sauvage, de Sam Peckinpah, à 6 ans ; Ce Plaisir qu’on dit charnel, de Mike Nichols, à 8 ans ; et Délivrance, de John Boorman, à 9 ans (rien que ça).
Cela façonne le caractère du garçon, qui, vu la description qui en est faite, n’est pas loin de ressembler à un autiste (il ne se lave pas, garde les mêmes vêtements sur lui et se déscolarise progressivement, jusqu’à quitter les bancs de l’école adolescent à l’âge de 14 ans).
Sa vie, il la veut sur grand écran. Mais pas en tant que réalisateur, en tant qu’acteur. S’il doit suivre des cours, ça sera pour devenir acteur, rien d’autre. Alors il suit des cours, mais ça ne débouche pas véritablement sur de vrais rôles, simplement des apparitions (remarquées) en arrière-plan, où son obsession du détail fait déjà parler de lui. À côté, il bosse dans des vidéo-clubs, puis fait des rencontres qui dirigeront un peu sa fougue créatrice.
Il se met alors à écrire des scénarios, à réaliser un premier film. Mais ce sont avant tout ses écrits, qu’il apprend à canaliser et à diriger dans une direction constructive qui tapent dans l’oeil de réalisateurs. Parmi ses scénarios figurent ceux de Reservoir dogs, True Romance et Natural born killer (Tueurs nés). Si ce dernier, réalisé par Oliver Stone, a totalement été réécrit, faisant en sorte que Tarantino refuse d’y être associé autrement que comme l’instigateur de l’histoire, True Romance, réalisé par Tony Scott sera un premier pas franchi par Tarantino dans l’univers de 7é art, où son nom se fait remarquer. Mais c’est Reservoir dogs, qu’il tient absolument à réaliser, peu importe avec quels moyens, qui le mettra sous les feux de la rampe.
Weinstein.
C’est par le biais de Miramax, qui accepte de sortir le film, que Reservoir Dogs verra le jour et commencera à tisser des liens quasi indéfectibles entre Harvey Weinstein et Tarantino. Ce dernier, intransigeant, refusera tout net de modifier la fin de son premier long métrage, imposera ses choix à un pourtant très difficile Weinstein qui semble littéralement bouffer dans la main du réalisateur. Cette première collaboration s’avèrera fructueuse et conduira les deux hommes à se retrouver pour Pulp Fiction (avec le succès qu’on lui connait), Jackie Brown, Les Kill Bill, Boulevard de la mort, Django Unchained jusqu’à la déchéance du producteur pour on sait quoi.
En attendant, les films marchent bien, très bien même. Leur succès repose en partie sur le fait que Quentin Tarantino déjoue les attentes des spectateurs, change les codes du cinéma de gangster (Reservoir dogs, une histoire de casse dont on ne voit rien du fameux casse par exemple), en laissant apparaître, au gré de ses longs métrages une foule de détails et de références, ainsi qu’un art ciselé des dialogues (on lui reproche d’être bavard, ce qui deviendra progressivement problématique, notamment dans Les 8 salopards, relativement imbuvables à notre avis).
Parmi les autres très bons points de son cinéma, l’amour qu’il porte aux acteurs et le soin méticuleux qu’il porte à ses castings, désirant créer une alchimie entre tous ses acteurs. Grâce à lui, John Travolta, Pam Grier ou Robert Foster virent de nouveau la lumière des projecteurs se diriger vers eux.
Mais…
… petit à petit, son cinéma perd de son éclat, s’autoparodie. La faute à qui, à quoi ? Pas évident à dire. Mais il apparaît que son cinéma devient trop bavard, qu’il ne parvient plus à aller là où on ne l’attend pas, ne crée plus la surprise, et surtout qu’il semble d’une violence disproportionnée, pas toujours très inspirée. Non pas qu’il devienne suffisant, mais qu’à force de trop référencer ses films, il oublie d’y mettre un peu plus du sien. Et puis ses libertés avec l’histoire, comme dans Inglorious Basterds par exemple, lui valent quelques foudres.
Le duo d’auteur est lucide et explique de façon limpide de quoi est fait chaque film, ses points forts et ses points faibles, là où il pèche et là où il nous embarque véritablement. Objectif dans son approche, le livre ne manque pas d’étriller les deux derniers films de Tarantino, de pointer certaines dérives du réalisateur qui lui valent les colères de Spike Jones par exemple (l’utilisation abusive du mot Nigger, notamment dans Django Enchained, mais pas que).
Marc Godin et Denis Brusseaux mettent aussi en lumière la mise en abyme du réalisateur et de ses personnages dans une sorte de monde parallèle. En effet, les protagonistes de ses films vivent dans un univers où, par exemple, Hitler se serait fait descendre dans une salle de cinéma, rendant par là même la scène d’Inglorious Basterds tangible et réaliste. Car l’une des facéties de Tarantino est de se foutre royalement de la réalité (la vraie) pour créer la sienne (du coup la vraie pour ses personnages). On peut crier au génie ou bien à l’imposteur, mais ça se tient.
Amoureux.
Comme dans le livre Sur la route de Clint Eastwood, Le cinéma dans le sang dédié à Quentin Tarantino est aussi une déclaration d’amour, plus nuancée néanmoins car portant un regard presque impitoyable sur les dernières productions du cinéaste. On retrouve, comme dans l’autre livre, un abécédaire, des paroles de fans (ou pas) de Tarantino, un avis de la critique, ce qui, au-delà de l’unique regard du duo d’auteur apportent un autre éclairage sur l’enfant terrible du cinéma américain.
Reste dès lors cette ultime question. Tarantino a dit qu’il ne réaliserait que 10 films, or Il était une fois…à Hollywood est le neuvième de ceux-ci. Sur la pente descendante de son art, commettra-t-il l’impaire sur le dernier film espéré (et craint) par ses fans ou ira-t-il au bout de son délire? Nul ne le sait. Mais, 30 ans tout juste après Reservoir dogs (son meilleur film, à notre avis), Tarantino aura changé la face du cinéma américain, ce que fait de lui l’un de ses plus habiles et beaux représentants.
On termine sur cette citation : « Quand les gens me demandent si je suis allé à l’école de cinéma, je leur dis : “Non, je suis allé au cinéma.”» Y a-t-il meilleure école ? Assurément, non.