Chronique livre essais/biographies/témoignages
[BIO] ANNYE C.ANDERSON, Mon frère Robert Johnson
Dans l’intimité de la légende du blues (Rivagesrouge)
Vous croyiez tout connaître du légendaire bluesman Robert Johnson, celui qui, à un carrefour, aurait pactisé avec le diable ? Ou peut-être ignorez-vous tout de cet home, premier du club des 27, qui a tant inspiré les plus grands groupes au point qu’il leur doit sa renommée (oui, c’est paradoxale, mais c’est ainsi)? Dans ce récit, contenant pas mal d’éléments biographiques, c’est sa « soeur » qui nous raconte son « Brother Robert », loin du côté sulfureux que ce bluesman emblématique a laissé derrière lui. Mais en creux, c’est aussi le portrait d’une ville, d’une époque aujourd’hui révolue, qu’Annye C. Anderson nous érige.
En fait, cette jeune fille, à l’époque, n’était pas la véritable sœur de Robert Johnson, même pas véritablement sa « demie » sœur. Lui était le fils de Julia Majors Dodds et beau fils de Charles Dodds Spencer. Ce même Charles Dodds Spencer étant le père d’Annye C.Anderson. Sa mère à elle étant Mollie Winston Spencer. Aucun lien du sang donc. Comme à l’époque tout allait très vite, que les noirs américains, encore soumis à la ségrégation et aux crimes racistes, pouvaient voyager d’un lieu à un autre quand la nécessité faisait loi, Brother Robert a côtoyé Annye C. Anderson de très nombreuses fois. Replongeant dans ses souvenirs, elle nous livre avec une sincérité touchante un portrait loin des clichés véhiculés (mais nous y reviendrons)sur ce génie du blues.
Grande dépression et blues.
Tout se passe à Memphis, pendant la grande dépression. La ségrégation est ultra présente, mais la solidarité entre noirs fait que cette famille, pour le moins explosée/recomposée de façon parfois aléatoire, a vécu une vie trépidante, sans doute heureuse. En tout cas, c’est ce que nous nous disons en lisant le témoignage de cette femme ayant voulu raconter SA version de Robert Johnson, lasse des inepties qui couraient (et qui courent encore) à son encontre. Il faut dire que ce jeune homme, ayant inspiré les Beatles, les Stones, Led Zepp et bien d’autres, méritaient sa légende. Mais finalement, dans ce livre, nous apprenons à connaître, en pointillés, parce qu’elle ne le suivait pas à la trace, l’homme dans un cercle plus intime.
Affable, gentil, généreux de son temps, plutôt taiseux, toujours accompagné de sa guitare (qu’il ne prêtait à personne) et d’un étui dans lequel il gardait précieusement bottleneck et médiators, nous découvrons un musicien proche de siens. Sans doute est-il un peu trop sage dans ces descriptions, mais nous savons tous que la personne public et la personne privée peuvent avoir des comportements radicalement opposés, exubérant sur scène et réservé dans la vie quotidienne. Peut-être Robert Johnson était-il de ceux-là ? Sobre, proche de sa famille, nous sommes loin de l’image de cet homme ayant fricoté avec le diable, mort trop jeune, probablement empoisonné même si la cause officielle serait celle d’une syphilis, maladie à laquelle personne de l’entourage du musicien ne croit.
Mort et post mortem.
Le plus touchant dans cette histoire, c’est qu’il est mort seul, loin des siens. Ils n’ont su que 15 jours après sa mort qu’il était passé de l’autre côté. Ils n’ont pu récupérer sa dépouille qui, déjà, se décomposait. Sans doute enterré dans une fosse commune, ils ne retrouvèrent jamais « ses restes ». Mais le pire n’est pas là. Par jeux de malchance (celle que l’on appelle manipulation), les ayants droits de Robert Johnson sont des bancs qui se sont appropriés son héritages à force de mensonges et de beaux discours trompeurs. Et par la même occasion d’entacher l’aura de ce bluesman, mais paradoxalement en lui créant sa légende. Bref, une certaine rancœur habite donc les propos de sa sœur. On ne peut pas véritablement la blâmer pour cela.
Pour autant, ce livre permet, un peu, de remettre les pendules à l’heure. De replacer les responsabilités de chacun, les torts, de faire entendre aussi une autre version des faits. Ce n’est que justice en quelque sorte, même si la balance reste très déséquilibrée. Ce qui nous touche également dans ce récit, c’est la vie qui s’en échappe, cette vie propre aux quartiers dans lesquels vivait toute la famille, Il y régnait une joie de vivre, une solidarité incroyable, une générosité. On imagine aisément les rires, les joies, les peines, sans que jamais cela ne tourne à un quelconque règlement de compte face aux blancs ou aux divers escrocs. Il y est peu question de racisme, d’argent (la grande dépression était pourtant d’actualité), mais de musique, de fêtes, de déambulations dans une ville vivante, colorée.
Si, finalement, nous en apprenons assez peu sur Robert Johnson (ses proches pensant qu’il n’avait sorti qu’un seul disque et ne l’ayant jamais vu écrire de chanson, on comprend pourquoi nous restons dans un certain flou), nous en découvrons beaucoup sur la mentalité qu’était celle de cette famille, unie, soudée. Nous apprenons aussi cette guerre pour l’héritage entre requins aux dents longues (requins blancs il va sans dire) et la famille dépossédée de tous les biens, y compris les photos de Robert Johnson. Encore une fois, la racisme et la cupidité l’emportent. C’est triste, mais à l’image du livre, gardons en tête une certaine légèreté et joie de vivre, malgré les épreuves.
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