ADELINE FLEURY, Ida n’existe pas (inspiration libre d’un fait divers).
Ida n’existe pas, roman d’Adeline Fleury, paru aux éditions François Bourin.
Une petite fille de quinze mois a été retrouvé morte, sur la plage. Sa mère l’avait laissé là, alors que la marée montait, et était partie, laissant l’enfant seule. C’était la nuit. Ce drame nous avait ébranlé, nous-même parents, et nous ne comprenions pas comment un tel acte d’abandon pouvait être possible. Déni de la part de la mère ? Assassinat ? « Simple » oubli ? Autant de questions pour tenter de comprendre comment un être humain pouvait en arriver là. Avec Ida n’existe pas, Adeline Fleury nous plonge dans les rouages ayant conduit à un tel drame.
Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il s’agit ici d’un roman, non d’une enquête policière. Adeline Fleury ne cherche pas non plus à tracer le portrait d’une mère défaillante, ni à la dédouaner, ni à l’accabler. Il s’agit au contraire d’un portrait essayant de plonger dans les entrailles d’un acte fou, ayant des racines profondément plongées dans la psyché d’une femme cabossée par la vie.
Comment un tel acte peut-il se produire ?
S’agissait-il d’un acte de folie, d’égarement ? D’un acte prémédité ou impulsif ? En remontant dans l’histoire de cette mère, l’autrice nous guide sur un itinéraire de vie aux accidents de parcours nombreux, et eux aussi horribles. Cette femme, enfant métisse dans une fratrie dont elle est la seule à avoir bénéficié de la pigmentation du père, est vue d’un mauvais œil (c’est un euphémisme) par son entourage.
Qui plus est, elle est doté d’un QI de 150, élément supplémentaire qui la place à part dans une famille qui ne la comprend pas, la rejette. Elle suit des cours particuliers et a une relation sexuelle avec son précepteur alors qu’elle est encore très jeune. Viol ? Les choses ne sont pas dites clairement. Toujours est-il que cet élément amplifiera l’écart entre elle et sa famille (mère et tantes) qui décidera de recoudre l’hymen pour effacer l’affront.
Adulte, la vie en commune avec Alfonse, un homme plus âgé qu’elle. Deux grossesses, l’une se terminant par une fausse-couche, l’autre par un avortement. La troisième sera menée à terme, mais avec un déni jusqu’au cinquième mois de grossesse. À terme, Ida verra le jour. En secret. Ida n’existe pas aux yeux de l’administration.
Amour/haine.
Commence une relation amour/haine, au paroxysme. Un amour étouffant, dans les deux sens du terme, c’est-à-dire celui qui donne des bouffées si fortes qu’elles en viendraient à vouloir nous forcer à étouffer l’enfant contre notre poitrine, lui briser le cou. La violence, omniprésente, est décrite avec une économie de mots de la part de l’autrice. Mais cette économie de mots, justement, tape là où ça fait mal (alors que c’est là où ça devrait faire du bien) et rend la lecture plus percutante.
Le malaise est déjà présent au début du roman, mais va en s’amplifiant. Nous connaissons la fin de l’histoire en commençant le livre et, d’une certaine manière, c’est un soulagement. C’est un soulagement car nous n’entrons pas en empathie avec cette femme. On devine, on comprend ce qu’elle a elle-même vécu enfant, le rejet, l’abandon, les violences répétées, mais nous ne pouvons pas, jamais, nous identifier pleinement à elle.
Là où l’écriture d’Adeline Fleury est puissante, c’est qu’elle est en équilibre constant entre la description d’un être humain et celle d’une assassine, sans jamais sombrer dans le pathos qui pourtant ouvrait grand ses bras sur une telle histoire. Non, elle a un point de mire, elle le fixe, ne détourne jamais les yeux et va au bout du chemin qu’elle s’était tracée. Dans les remerciements, elle nomme Aude Chevrillon qui a su la « pousser encore plus loin dans ma démarche en glissant ces « petites touches d’humanité » auxquelles elle tenait tant ». Grand bien lui a pris, car il fallait glisser ces touches d’humanité, parce que la mère, toute assassine qu’elle soit, demeure un être humain. La diaboliser n’aurait que desservit le propos.
Une écriture puissante.
L’écriture d’Adeline Fleury est très précise, tout en évitant d’être clinique. Nous avons déjà parlé de l’économie de mots dont elle use avec brio, mais nous devons aussi parler de son rythme. Celui-ci est presque ronronnant, comme pour mieux décrire l’état psychique de la mère. Mais ce rythme, s’il ne gagne pas en « vitesse », gagne en intensité. Nous sentons une force qui gronde sous la surface, une puissance sourde qui menace d’éclater, comme si nous sentions l’orage arriver sans pour autant voir le ciel s’obscurcir.
Le choix de ce rythme, couplé avec une narration effectuant des flashbacks utiles et décris avec sobriété, est absolument démoniaque car nous plonge dans une torpeur nerveuse, stressante, mais également forte addictive. La prouesse est similaire à celle de ne pas basculer dans le pathos, ou de ne pas effectuer un portrait auquel il aurait été facile de s’identifier en le rendant trop humain. Elle sert le propos de façon irréprochable.
Des questions.
Bien évidemment, ce livre nous donne des réponses plausibles à cet acte horrible. Nous disons bien plausibles car qu’en est-il en réalité ? Comme nul ne peut entrer dans la tête de cette mère, nul ne peut réellement le savoir. En revanche, l’autrice pose de vraies questions quant à la maternité. Des phrases très justes se dégagent du livre quant à celle-ci, quant à l’instinct maternel, quant à l’invisibilisation de certaines personnes dans une société qui se veut pourtant omnisciente.
Devenir parents, pour la première fois ou pour les suivantes, est toujours en soi une naissance. Nous ne naissons pas parents, nous le devenons. Mais si nos cartes sont faussées, nous risquons à chaque instant de perdre une partie, intime, et l’amour inconditionnel peut vite se transformer en haine. Ce roman permet donc également de s’interroger sur la parentalité qui, fort heureusement, ne conduit que rarement à ces extrémités dramatiques. Néanmoins, il est clair que les institutions n’aident pas les parents en difficultés, ce que dénonce, d’une certaine façon, ce roman d’une force peu commune.
Autre sujet de société romancé ? Si belles en ce mouroir.