[ ROMAN ] MARIE LABORDE, Si belles en ce mouroir.

Si belles en ce mouroir, roman de Marie Laborde (disponible aux Éditions François Bourin).

Alexandrine, 85 ans, revient sur sa vie, à travers le journal qu’elle tient alors qu’elle se trouve en convalescence dans une résidence pour personnes âgées. Dans ce journal, elle évoque l’assassinat de son ex-mari Léo, qu’elle a jeté dans le vide. Entre humour et tristesse, Si belles en ce mouroir de Marie Laborde dresse le portrait d’une femme au crépuscule de sa vie.

L’histoire.

Alexandrine, 85 ans, s’est cassée le col du fémur. Pour se remettre d’aplomb, elle effectue sa convalescence dans la résidence Biarritz Bonheur. Elle y côtoie Marie-Thérèse (une presque centenaire) et Gisèle (une jeune femme de 80 ans), le personnel soignant et la famille de Marie-Thérèse. Quand elle a le temps, elle écrit dans son cahier. Elle y écrit les souvenirs de sa vie, les moments qu’elle traverse dans cette résidence. Un mouroir. Elle raconte, enfin, son terrible secret. En effet, elle écrit qu’elle a tué son ex-mari, Léo, en le poussant dans le vide. Son crime, resté secret et inavoué, qu’elle a besoin d’exprimer. Pour tuer le temps, cette fois-ci.

Cette histoire, vue du point de vue de la narratrice Alexandrine Dumas (aucun lien de parenté avec Alexandre Dumas), est un mélange de rires et de larmes. En effet, cette héroïne peu commune, de par son âge avancé, possède un bel esprit de « sale gosse », juste corrosif comme il faut pour nous faire rire. Certains grinceront en revanche peut-être des dents car Si belles en ce mouroir expose crument certaines réalités. Ce livre, en effet, est plus qu’une farce. En prenant pour prétexte un meurtre commis 30 ans auparavant, il permet de dévoiler une vie faites de blessures intimes, de relations filiales difficiles, de tristesse, de rancœurs. Une vie, malgré tout.

La plume.

Marie Laborde nous glisse dans la peau de son héroïne avec beaucoup de talent. Certes, le ton mordant n’y est pas étranger, mais ce n’est pas tout. Si belles en ce mouroir est un portrait du monde carcé… euh du monde dans les résidences pour personnes âgées, établissements souvent décriés pour la mauvaise qualité des soins prodigués à ce que l’on nomme pudiquement nos aînés. Autrement dit les vieux. Et le portrait est ici sans fioritures : nous y voyons un personnel irrespectueux, impolis, ne prenant pas de gants (hormis pour la toilette des vieux, versions papier de verre pour faire bien disparaître la crasse et l’odeur d’urine) pour le bien-être de leurs résidents.

Bien sûr, cela est un peu forcé, car toutes les résidences pour personnes âgées ne sont pas ainsi. Marie Laborde y dévoile l’univers de Biarritz Bonheur comme une synthèse de faits divers entendus aux informations. Elle nuance tout de même ce propos en évoquant les cadences infernales et le manque de moyens, ce genre de choses que ne fait qu’exacerber la présente crise sanitaire. Le portrait est donc plutôt juste, parfois risible, souvent affligeant. Mais pas uniquement contre ce personnel soignant payé au lance-pierre et, surtout, n’étant pas reconnut à sa juste valeur (parce qu’il faut bien les rentabiliser, n’est-ce pas, ces mouroirs), le propos est ici plus vaste.

Des familles sans scrupules.

En effet, Marie Laborde nous parle également de ce genre de famille pour qui les aînés n’ont que peu d’importance, ou du moins dont les économies sont plus aimées que les personnes les possédant. Les véritables coupables, ce sont eux, ceux qui se débarrassent de leur vieux sans scrupules, pour avoir la belle vie et la conscience tranquille, laissant à des inconnus le soin de s’occuper de tout ce qui est peu ragoutant (changer les couches, ce genre de petits plaisirs dont nous nous passons fort bien il est vrai). Bon, nous caricaturons, et Marie Laborde aussi, mais à peine, et surtout de façon plutôt intelligente car exprimée du point de vue de ces personnes délaissées par leurs proches.

Il n’y a pour autant rien de plombant dans Si belles en ce mouroir. En effet, le roman est très drôle, très rythmé. Nous avons l’impression de lire le journal intime d’Alexandrine, une sorte de Tatie Danielle en moins caricaturale (et en surtout beaucoup plus marrante et plus jeune dans sa tête). Elle a le verbe haut, le tacle facile, le mauvais esprit à fleur de peau, dresse un portrait féroce et tendre de ses paires, et surtout nous balade du début à la toute fin de son roman. Celle-ci nous laisse avec une boule au creux du ventre, une boule de sourde mélancolie, une tristesse non feinte. Non pas parce que, comme Alexandrine nous quittons Biarritz Bonheur, mais parce que les échos qui se répercutent dans nos têtes n’ont de cesse de réveiller nos propres douleurs.

Petites et grandes déceptions.

Ce livre, très facile à lire, très bien écrit également, malin et roublard, dévoile au fil de ses pages des petites et des grandes déceptions, des petites joies aussi. Mais comme le dit l’héroïne, «  Mais ça, il est vrai, c’est la vie qui n’a pas besoin de s’écrire puisqu’elle va bien. » Cette vérité que nous connaissons tous parce que nous aussi avons tendance à retenir le mauvais plus que le bon. Et puis, c’est dans la douleur que nous touchons les autres, voyez les réseaux sociaux. Nous nous égarons….

Ces petites ou grandes déceptions, ces actes manqués, Marie Laborde les étale doucement, de façon insidieuse, les faisant ainsi ressortir de façon plus forte une fois la dernière page lue. Un peu comme si ce mal vécu par les vieilles femmes infusait tranquillement en nous, pour exploser une fois l’histoire finie. Et nous interroger sur le sort que nous réservons à nos vieux. Et potentiellement à nous-même. Bref, derrière une idée de départ en forme d’aveux, l’autrice nous projette en fait dans une réflexion plus poussée, sur l’un des thèmes récurrents dans notre société, celle du respect pour ceux qui nous ont un jour guidé, et que nous laissons trop souvent sur le bas côté.

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