[BD] TIMOTHE LE BOUCHER Ces jours qui disparaissent
Ces jours qui disparaissent… et que l’on ne rattrape plus
Chronique de la bande dessinée Ces jours qui disparaissent, de Thimothé Le Boucher, paru aux Éditions Glénat.
L’histoire
Lubin, un jeune acrobate, rêveur et aventureux, découvre un jour qu’il abrite en lui un « autre ». Il vit un jour sur deux, l’autre prenant sa place. D’abord décontenancé, Lubin décidera par la suite de laisser des messages vidéo à cet habitant indésirable. Plus le temps passera, et plus Lubin perdra le contrôle de sa vie. Ce parasite, cet être antagoniste, qui vole son corps et déroge à sa vie de saltimbanque se révélera être un adversaire de taille. Dépossédé de lui-même, Lubin fera tout pour contrecarrer l’invasion galopante de son jumeau antithétique. Hélas, comme l’a chanté Barbara : « Dis ! Au moins le sais-tu ? Que tout le temps qui passe ne se rattrape guère… Que tout le temps perdu ne se rattrape plus ! » Le titre de Barbara résonne dans les coulisses du théâtre de Lubin : « Dis ! Quand reviendras-tu ? »
L’auteur nous attire dans sa toile
D’aucuns pourraient critiquer le choix graphique de Timothé Le Boucher, tout en aplats et en couleurs pastel, qui peut faire croire que tout est lissé, aseptisé et désincarné, mais c’est justement ce choix qui fait de Ces jours qui disparaissent une BD atypique, bouleversante et empreinte d’un message profond et complexe.
On ne peut pas ressortir intact de la lecture d’une telle BD. Premièrement, la couverture intrigue et attire le regard par un jeu de teintes douces. Le personnage central de cette couverture interpelle par son ambivalence qui résume efficacement le nœud de l’intrigue.
Le titre est mystérieux lui aussi et l’on se demande ce qui se cache derrière ces mots.
Ces jours qui disparaissent posent des questions existentielles intrinsèques à chaque être humain. Qu’est-ce qui caractérise notre conscience ? Notre maîtrise de nous-mêmes ? Qu’est-ce qui fait de nous un être pensant, agissant, à même de profiter de notre libre arbitre ? Ces questions, ce chamboulement intérieur du personnage, sa perte de repères, sa fureur de vivre malgré tout (car il ne sait pas combien de temps encore il sera lui-même) forment une toile que l’auteur tisse et détisse comme une Arachné moderne.
L’identité perturbée de Lubin renvoie à toutes les personnes qui se cherchent, qui ne savent pas quelle voie emprunter, qui se sentent différentes, hors-norme et rejetées à cause de leurs différences. D’ailleurs, l’escargot que l’on voit à la première page représente bien la dualité. À la fois mâle et femelle, il accueille deux facettes dans un même corps, mais contrairement à Lubin, il sait accorder ces deux côtés de sa pièce.
Paradoxe virtuose
Cette tempête, vécue par le personnage, est d’une rare violence et elle l’écrase. C’est justement ce qui rend le choix des couleurs et des aplats intéressants. En effet, le graphisme, les couleurs créent un contraste, un paradoxe même entre le calme des teintes et l’horrible crise qui dynamite l’existence d’un petit gars qui ne souhaite qu’une chose : construire sa vie.
Les couleurs s’épousent avec tendresse, les corps aussi, les ombres et les lumières se conjuguent avec grâce. Nos yeux s’habituent vite à cet esthétisme qui n’est pas sans rappeler les affiches d’Alphonse Mucha avec leurs courbes, leurs lignes claires et leurs couleurs douces.
Pour conclure
Ces jours qui disparaissent est donc une BD qui propose une expérience troublante, une plongée dans les méandres d’un subconscient qui se débat et tente de renouer avec son individualité. Lubin est un personnage attachant, l’auteur nous lie à lui tout en nous retournant le cerveau par un basculement. Il sème le suspens, il nous trouble, il nous chavire et nous pousse à nous poser des questions sur notre propre existence. N’est-ce pas cela le propre de l’artiste ? Divertir et en même temps pousser ceux qui posent les yeux sur sa création à réfléchir et à interroger leur psyché.
Notre chroniqueur BD Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chroniquera pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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