[ BD ] REMI FARNOS, Calfboy 2, western atypique
Un frère boulet pour un poor lonesome cowboy, Calfboy 2 par Rémi Farnos, aux éditions La Pastèque
Avec un parti pris artistique original, Rémi Farnos (re)dynamite les codes du western dans Calfboy 2. En y intégrant une bonne dose de « social », il nous éloigne de l’image véhiculée notamment par le 7é art. Une oeuvre à découvrir.
L’histoire.
Burt a un problème épineux à gérer : son frère Chris a oublié où il a enterré leur butin, parce qu’il a un vieux passif avec l’alcool qui rime avec beuveries, ennuis et oublis. Burt n’en peut plus et décide de faire cavalier seul.
Sur sa route, il croise une chamane bizarroïde qui sait écouter ses doléances fraternelles et lui susurrer ce qu’il veut entendre, or, une oreille compatissante ne signifie pas oreille amie. Pourquoi ne pas s’acoquiner avec d’autres bras cassés des casses pour perpétrer un nouveau coup.
Le cow-boy, qui au départ, voulait se la jouer loup solitaire afin de se redorer le blason, se retrouve bien vite empêtré dans un imbroglio qui lui fait des nœuds au cerveau. Le plus déstabilisant, c’est qu’il est cerné par bien trop de partenaires. Pas très pratique lorsque l’on veut être tranquille. Une ribambelle de criminels de grand chemin n’est clairement pas propice à l’introspection. On ne s’entend plus penser.
Saura-t-il se défaire des boulets qui fleurissent sur les mortes plaines ? Se réconciliera-t-il avec son frangin et sans doute avec lui-même ?
Traits fins sans fioritures.
La couverture donne une ambiance de calme apparent et ouvre sur un monde abrupt traité avec des couleurs pastel et une économie de traits. Les personnages, les chevaux, les décors sont esquissés avec élégance et finesse. Les traits se font ténus comme pour exprimer le fil sur lequel évoluent les habitants de ce décorum cinématographique à plus d’un titre, notamment avec la manière judicieuse de morceler les cases, comme un réalisateur découpe ses séquences. Les cases sont d’ailleurs tracées avec une sorte d’urgence, et la propension à réduire les formes à leur plus simple expression ne dérange pas du tout la lecture. Bien au contraire, ces deux marques de fabrique traduisent l’envie d’aller à l’essentiel. On distingue les animaux des humains, les roches des arbres, les villes des déserts sans souci.
Rien de spectaculaire, pas de visages à la mine patibulaire, pas de poudre qui parle à outrance ni de jets d’hémoglobine. Il est question de créer une ambiance. Nous sommes plongés dans l’Ouest américain tout de suite. L’auteur n’en fait pas trop, n’est pas dans la surenchère, mais dans le doigté. Il nous emmène dans son univers, caricature les attitudes et les êtres et se joue des codes classiques des films de cowboys tout en y apportant un éclairage nouveau. Il nous offre une vision détonante, bien différente de BlueBerry ou Lucky Luke, et c’est cette « néovision » qu’il faut saluer et admirer. Les bandits ont des problèmes comme tout le monde : de famille, de logistique, d’addiction ou de remises en question.
Famille dysfonctionnelle en milieu aride.
Rémi Farnos développe donc une signature graphique qui lui est propre. Il simplifie sans qu’il s’opère une dénaturation. Le scénario est sensible et mené avec clarté. L’auteur s’attache à la psychologie de ses personnages, à leurs déboires, à leurs relations conflictuelles, à la résolution de leurs problèmes. Nous pouvons sentir l’humour sourdre dans les échanges entre les protagonistes. Le trait est fin, mais l’humour aussi. Il est distillé comme la liqueur suave d’un vieil alambic agencé par un esprit des nuages dansants.
Les deux frères et leur comparse féminine nous offrent des joutes verbales assez cocasses. Ils ne sont pas les seuls d’ailleurs. Tous les individus sont étonnants et dressent un portrait inédit d’un Far West qui n’a plus rien à voir avec les gros plans sur les yeux assassins de Clint Eastwood ou de Charles Bronson, la représentation insatiable d’une violence débridée des films spaghettis si chers à Tarantino ou les essais plus récents de westerns estampillés Costner ou Audiard.
L’univers de Calfboy 2 n’est pas plus ou moins rude que nos sociétés modernes. De plus, le graphisme tout en légèreté et les couleurs tendres focalisent l’essence de ce monde sur les rapports humains, plus que sur les coups d’éclat, les duels au colt ou les corps pendus à une potence et dévorés par les vautours, images d’Épinal des westerns de notre enfance.
Pour conclure.
Calfboy 2 nous offre une parenthèse hypnotique dans un monde de traits, de formes et de lignes à peine définis, et pourtant nous reconnaissons chaque élément. Les émotions passent, l’attachement à ces humains fils de fer (presque à la Calder) se fait, l’intérêt pour cet univers est nourri par la façon dont les cadres, les cases et les séquences se découpent comme autant de scène d’une œuvre cinématographique qui lie l’élégance de Morricone et les facéties à la Terence Hill et Bud Spencer. Ce trait qui nous obsède et ne nous quitte plus, voilà l’originalité et la force de Rémi Farnos, virtuose de la BD moderne, maintes fois récompensé et à juste titre, à qui nous ne pouvons que souhaiter un beau chemin sur les routes impétueuses du neuvième art.
Je peux vous dire sans divulgâcher quoique ce soit que la fin est ouverte et vous laissera dans l’impatience de la suite. Nous avons décrypté des signaux de fumée qui indiqueraient une possible conclusion des aventures de ces deux frères à la psyché tarabiscotée courant 2021.
Une autre chronique BD par Florent Lucéa : Une armée immobile par Sergio Toppi
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Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chronique pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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