[BD] LOÏC MALNATI, Dédé-tattoo, du l’art et du cochon tatoué
Dédé-Tattoo de Loïc Malnati (disponible chez Robinson)
Florent Lucéa, notre spécialiste es bande dessinée, nous parle aujourd’hui de Dédé-Tattoo de Loïc Malnati (Robinson, 96 pages, septembre 2020), qui met à l’honneur un artiste graphique à la pointe épidermique.
L’histoire
Dédé est un tatoueur old school, comme l’on en rencontre peu (peut-être que c’est mieux d’ailleurs), et il n’a pas son pareil pour imprimer un souvenir indélébile dans la peau et le cortex de ses clients au regard parfois convexe. Poète à la JCVD, Dédé forme son fidèle apprenti Jicé qui en voit des vertes et des pas mûres au sens propre comme au figuré.
Être tatoueur est un sacerdoce qui vous prend aux tripes et vous rince comme si vous vous trouviez sur le pont d’un drakkar viking cerné par un poulpe géant avec trente paires d’yeux. Autant vous dire que Dédé traverse la vie comme une ogive nucléaire rose fluorescente. Son interprétation des désirs de ses clients donne lieu à des scènes d’anthologie où l’on perçoit un humour corrosif qui ne vous laissera pas de marbre (sauf si vous avez un cœur nécrosé bien sûr, petite référence à l’un de ses clients very bad gluant).
L’humour au bout du dermographe
Dédé enfonce des portes ouvertes, traumatise, écoute, se perd en élucubrations, jongle entre sa fille, ses conquêtes et ses failles. Il ne fait clairement pas dans la dentelle. Avec Dédé, ça passe ou ça casse. Les situations ubuesques s’enchaînent à un rythme effréné, ce qui donne un ton de joyeuse gaudriole au vitriol. L’humour impétueusement trash est présent presqu’à chaque case, et nous fait dire que la Rubrique-à-Brac de Gotlib s’est ensemencée dans certains esprits créatifs.
Dédé a aussi un petit côté Mister Bean sous acide, puisqu’il se met dans des situations rocambolesques, adopte des attitudes radicales, tout en conservant un cœur énorme. Il prend en effet soin de son apprenti, éduque sa fille qui a un talent certain pour la rebelle attitude et traite ses clients parfois plus comme des patients. Évidemment, un thérapeute comme Dédé peut vous faire autant de bien que de mal, et parfois, seulement du mal. Dédé a une part de folie de doux dingue qui nous rappelle des mangas des années 80, tels que le Collège Fou Fou Fou ou Nicky Larson, et nous parlons bien du manga subversif et non de la version animée française, édulcorée pour ne pas choquer les âmes pudibondes.
Satire et ça pique
L’art du tatouage, sorte de thérapie dont le résultat est encré et ancré en vous de manière définitive, nous apparaît dans sa vérité crue, puisque des termes techniques nous sont expliqués de manière précise. Les clients/patients forment une galerie d’estropiés de la vie qui cherchent chez Dédé-tattoo ce qu’ils ne peuvent trouver ailleurs. C’est un peu comme s’ils venaient surmonter leur mal-être, expulser les démons qui les habitent et purger en quelque sorte leurs passions, comme des spectateurs assistant à la représentation d’une tragédie.
Véritable Dieu de l’Olympe, Dédé a tout pouvoir sur ces pauvres hères échoués sur les rives de son salon de tatouage. Il leur propose une aventure cathartique qui ne les laisse clairement pas intacts, mais certains en redemandent.
Nous sentons aussi poindre l’astre de la satire tous azimuts. Ces personnages, caricaturés à l’aiguille effilée, paraissent complètement givrés, mais leur folie fait bizarrement écho à nos propres interrogations. En effet, nous sommes tous plus ou moins en proie au doute, à la désespérance et au spleen, et nous cherchons tous un exutoire quelconque pour dépasser nos fragilités et guérir nos fêlures. Les clients de Dédé, eux, ont trouvé dans le tatouage une façon d’oublier leurs failles un court instant, le temps pour la dextérité de Dédé de faire des miracles. Nous nous attachons à ces frappadingues, bien malgré nous et à leur tortionnaire créatif et incisif, ce gugusse de Dédé, aussi spirituel qu’un champignon hallucinogène géant.
Pour conclure
Dédé-Tattoo joue une carte radicale pour susciter la réaction de ses lecteurs. Âmes étriquées et amis de la bien-pensance, passez votre chemin. Se tracent, se gravent, se tissent ici les méandres d’encre de l’humour caustique et sans filtre qui sont autant d’enluminures pour les esprits ouverts, nourris au lait d’Hara-Kiri ou de tout autre parangon de la presse satirique française. Quant aux moutons de Panurge, aux conformismes de tout poil, il vaut mieux pour eux lire des textes aseptisés, ce sera plus prudent pour leurs écoutilles de bachibouzouks, tonnerre de Brest !
Notre chroniqueur BD Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chroniquera pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
Instagram
FB
Site
Une autre chronique BD par Florent Lucéa : Le loup des mers
Retrouver Litzic sur FB, instagram, twitter