KIM DONG HWA, La bicyclette rouge (T2)
Bande dessinée parue aux éditions Paquet.
Avant d’entamer cette chronique, nous précisons que bien qu’il s’agisse du deuxième tome de la série La bicyclette rouge de Kim Dong Hwa, il ne faut pas obligatoirement avoir lu le tome 1. En effet, ce livre se dévoilant sur 4 saisons et peuplé de courtes histoires formant un tout existe par lui-même. Et de quelle manière ! Touchant, poétique, terrien, à part, cette bd nous parle du temps qui passe et de l’importance des petites choses (et des grandes, aussi et surtout).
Kim Dong Hwa, comme son nom vous l’évoquera peut-être, est un auteur sud-coréen, né à Séoul en 1950. Reconnu en son pays, c’est l’un des auteurs de manhwas les plus populaires de Corée, qui excelle dans l’évocation de la vie des petites gens ou des laissés-pour-compte. Le manhwa, c’est le nom coréen du manga, bien qu’il en diffère par ces codes graphiques. La bicyclette rouge nous conduit dans un village rural de Corée, auprès de vieillards philosophes qui nous rappellent que la vie peut-être douce et simple dans le dénuement et la nature.
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Le rythme des saisons.
Ce livre est une ode au temps qui passe. A travers le personnage du facteur, celui-là même qui livre le courrier à l’aide de sa bicyclette rouge, nous découvrons une batterie de personnages attachants, des vieillards aux traits expressifs et aux yeux moqueurs. Le dessin, très coloré, nous place au cœur d’un petit village rural. Les verts, les rouges sont vifs, les dessins de nature très proche du regard réel, mais rehaussés par l’oeil du poète. La terre y tient une place importante. Celle que l’on cultive, mais aussi celle que l’on chérit par l’attachement que l’on prête aux lieux.
Ces vieillards y ont leurs habitudes, leurs amis. Seuls les enfants sont partis, à la ville, pour le travail. Nous n’avons donc quasiment à faire qu’aux seuls aïeux, qui dispensent ici et là des vérités absolument imparables de justesse et de sagesse. Car ils ont vécu, ils ont traversé des périodes difficiles, mais surtout ils ont compris l’essentiel, que tout ne se compte pas en argent.
Un dessin « minimaliste » mais qui s’attache à l’essentiel.
Pour rendre ces personnages vivants, Kim Dong Hwa ne va pas dans la surenchère ou le naturalisme. Il reste au contraire léger dans son trait, appuie les traits essentiels aux expressions du visage. Si les yeux sont « schématiques » (parfois de simples points noirs), ils sont rendus extrêmement expressifs par tout le reste du visage. En effet, comme si celui-ci évoluait de manière concrète, nous voyons les regards des personnages s’éclairer de mille feux au détour de la présence d’un de leurs enfants ou petit enfant. En un sens, c’est comme si le dynamisme combiné des cases et du texte permettait d’amplifier le corps même des différents protagonistes.
Ce dynamisme est aussi rehaussé par les couleurs. Celles-ci sont directes, franches, lorgnant parfois le pastel mais restant assez marquées néanmoins. Certaines cases sont parfois colorées, contre des fonds plus ou moins blancs d’ordinaire, apportant du contraste et du rythme durant les phases de dialogue. Le choix de faire tenir une multitude d’histoires sur 4 pages nous entraîne aussi dans un rythme de lecture soutenu, nous rappelant d’ailleurs les strips lisibles dans les journaux.
Le respect du concret.
Dans La bicyclette rouge Kim Dong Hwa nous parle d’humanité. De celle que, dans les sociétés occidentales, nous ne voyons plus. Les vieux sont relégués dans des mouroirs, les campagnards sont traités de bouseux, quantités négligeables face à la toute-puissance des urbains, de la jeunesse qui va vite mais qui brasse de l’air. Non seulement l’auteur prend le temps de figer la vie, de rendre vivant ses dessins, mais en plus il nous permet de comprendre ce que nous en comprenons plus, que la richesse de l’âge n’est pas liée au passé dit actif, mais dans la transmission quotidienne et présente.
Et cette transmission, elle apparaît par des détails, des bols dépareillés, des toilettes dans un cabanon au fond du jardin, dans l’amour d’un père pour sa fille, allant bien au-delà des traditions d’un pays. Et surtout, il y a aussi cet amour tendre entre ces couples de vieillards très touchant, un amour pur, fort et qui met encore le rose aux joues. Enfin, il y a aussi ce petit message, très subtil, selon lequel il ne faut pas prendre les anciens pour des idiots, qu’ils y voient beaucoup plus clair qu’on ne le croit.
La question de la transmission.
Nous terminerons par le personnage central, celui du facteur, seul « jeune » récurrent. Il porte un regard très lucide sur le monde, mais également poétique et doux, fait partie de ce qu’on nommerait ici un doux rêveur (sous-entendu il n’a rien compris à la vie, celle qui fait figure de modèle occidental en tout cas) mais qui pourtant est primordial au maintien du lien. Sensible, pertinent, chacune de ses apparitions est un rayon de soleil. Sans doute parce que ce personnage dégage un rythme totalement différent, celui qui s’arrête véritablement sur les choses et ne se contentant pas de les survoler, un peu à la manière de ces facteurs d’antan qui connaissaient tous les habitants d’un village et prenait le temps de s’arrêter, quitte à ce que sa tournée se finisse bien plus tard que prévu.
Toute cette bd est comme une parenthèse au rythme trépidant qui est le nôtre, une douce injonction à regarder le monde tel qu’il est, non déformé par un filtre instagram, non déformé par des ego boursouflés ou des portefeuilles bourrés de billets et prêts à exploser. La bd est aussi une prise de conscience, non seulement de ce que nous gâchons en produisant de la « matière » à outrance (notamment par l’agriculture comme le démontre la toute première histoire du livre), mais aussi de ce qu’une autre culture peut pointer de nocif dans la nôtre. Ainsi, La bicyclette rouge s’insinue en nous et nous modifie en douceur et en profondeur, de façon durable. C’est donc une bande dessinée précieuse.
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NOTA : Fondées en 1996 à Genève, les Éditions Paquet entretiennent un catalogue de BD, romans graphiques et beau-livres à destination de tous les publics et pour tous les âges. Indépendantes depuis leur création, les Éditions Paquet sont un acteur incontournable du paysage éditorial de la BD francophone.
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