[BD] Benjamin Read et Chris Wildgoose, Porcelaine – Gamine (Tome 01)
La clé du mystère.
Nouvelle chronique BD par notre chroniqueur Florent Lucéa. Il nous parle aujourd’hui de Porcelaine – Gamine Tome 01, de Benjamin Read et Chris Wildgoose (Delcourt, Collection Contrebande, 96 pages, 2014), une bande dessinée à l’esthétisme assumé pour une histoire révélant un affreux secret qui ne cesse de poindre au fur et à mesure des planches qui s’enchaînent. Mais la chronique vous en dira plus (et vous invitera à lire cette histoire étrange et dérangeante).
L’histoire
Une gamine des rues espiègle est envoyée par une bande d’enfants désœuvrés dans la propriété d’un homme riche que l’on soupçonne d’être un sorcier, puisque ceux qui s’aventurent sur ses terres n’en reviennent jamais. Elle trouvera pourtant dans la demeure-prison de verre, visitée à l’origine pour la délester de son argenterie, un semblant de stabilité et de vie familiale.
L’atmosphère du refuge soi-disant salutaire fleure bon le Steampunk, ce courant littéraire qui mêle technologie avancée et références de l’époque victorienne, comme une revisite du passé à la sauce Rick et Morty. Les deux créateurs de Porcelaine mixent redingotes, robes soyeuses, runes et mécanismes magiques. Nous baignons dans une uchronie, puisque l’hôte de l’enfant est un alchimiste, adepte de la transfiguration du kaolin en automates animés par la science mystique de leur « père ». L’atelier de ce dieu de la porcelaine recèle, hélas, le plus sombre des secrets. Un secret qui scellera funestement le destin de nos deux principaux protagonistes.
Conte macabre figé dans le kaolin
Porcelaine fait écho à nos souvenirs d’enfance, lorsque nos parents nous lisaient des contes de Perrault, des frères Grimm ou d’autres auteurs et autrices, s’inspirant souvent de la réalité de leur époque. Nous tairons le titre qui nous vient en tête dès les premières pages, nous vous dirons simplement que l’interdiction d’une pièce à une jeune femme par un homme nous a tout de suite mis la puce à l’oreille.
Le style graphique est léché, pourléché même comme les babines avides du Loup attendant le Chaperon, alors qu’il usurpe l’identité de Mère-Grand de manière grossière entre des draps rose bonbon. L’esthétisme élégant, légèrement froid comme la peau de porcelaine des automates du gargantuesque maître de maison, détone avec l’horrible révélation que l’on sent sourdre à travers l’enchaînement des planches. Teintée d’art nouveau, la patte du dessinateur s’exprime en fausse douceur comme pour endormir notre vigilance, nous bercer d’illusions pour mieux par la suite abattre le couperet sur nos cous graciles !
Nous sentons bien que l’enfant est tombée entre les griffes d’un ogre qui boit du thé, mais qui cache des secrets peu ragoûtants. Cet ogre, sous couvert d’un masque avenant d’homme raffiné, recèle une intériorité qu’aucun thérapeute ne voudrait explorer. Sa fascination pour ses êtres de porcelaine qu’il façonne de ses mains dantesques peut prêter à sourire au début, mais nous glace le sang très rapidement et nous fait entrevoir un dénouement à la Edgar Alan Poe ou à la Robert Louis Stevenson.
L’alchimiste et la petite curieuse
La figure de l’alchimiste fascine depuis toujours les consciences collectives, mais ici, elle s’incarne dans un homme à la bonhomie toute relative, lorsque son affreux négoce nous apparaît sous son vrai jour.
Il modèle la matière inerte pour lui donner forme et vie, mais tout ceci n’est qu’artifice et faux-semblants. Il modèle aussi sa pupille recueillie comme un oiseau tombé du nid. La curiosité infantile est attisée par le Pygmalion comme un creuset incandescent abritant une pierre philosophale en gestation. Il veut en effet faire de cette fillette brisée par l’âpreté de l’existence miséreuse une « dame », mais en la poussant à se cultiver et par la même, à s’émanciper, il nourrit aussi en elle le désir de découvrir ce qui se cache dans l’atelier de son père de substitution.
Résistera-t-elle à la tentation ou y cédera-t-elle comme Pandore, Ève et Adam avant elle ? Car nous oublions bien souvent que la pomme n’a pas été croquée par une seule personne. N’en déplaise aux misogynes patentés, la curiosité n’a jamais été le propre de la femme, mais plutôt de ceux et de celles qui se posent des questions sur ce qui les entoure et prospectent pour obtenir des réponses, quitte à embraser leur destinée.
Pour conclure
Le premier tome de Porcelaine soigne ses effets, ménage son suspense, distille le fantastique avec parcimonie pour provoquer une sorte d’addiction chez son lecteur. Laissez-vous embarquer dans un monde aux multiples inspirations, comme autant de facettes d’un prisme horrifique et fragile comme la porcelaine, cette matière qui cristallise ici les desseins les plus noirs d’une humanité désabusée.
Notre chroniqueur BD Florent Lucéa
Florent Lucéa a rejoint l’équipe Litzic. Il chroniquera pour vous les BDs qui lui ont tapé au coeur et à l’oeil. Peintre, dessinateur et auteur protéiforme, il apporte son regard à la fois curieux et pertinent sur ce que l’on nomme communément le Neuvième art. Il a été notre auteur du mois en mai 2019.
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