ARMELLE LE GOLVAN, Barbara et les Bidouilleurs de bonheur

ARMELLE LE GOLVAN, Barbara et les bidouilleurs de bonheur

Bande dessinée parue dans la collection Encre Sèche des éditions Ex Aequo.

Il s’agit d’une histoire de peu de mots, mais de beaucoup d’émotions. Les uns pour les autres, avec un tact et une pudeur rare, appuyé par un dessin léger, aux formes souvent arrondies. En noir et blanc, comme pour s’extraire des tendances, comme une photographie d’un instant que nous ne pourrions situer dans le temps, Barbara et les Bidouilleurs de bonheur d’Armelle Le Golvan évoque le deuil, l’amour, la fraternité.

Barbara est chanteuse. Elle rêve de se produire à Paris avec son groupe, Les bidouilleurs de bonheur. Barbara, comme la grande chanteuse, mais malheureusement, elle a une voix banale, Barbara. Enfin, avait… Elle voulait se produire à Paris, non pour elle, non pour ses amis musiciens, mais pour laisser une trace à son mari Gabin et à leur fille Delphine. Mais la vie, parfois, en décide autrement.

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Le deuil.

Nous suivons des scènes de vie quotidienne. Le retour du travail, aller chercher son enfant chez la nounou. Rien que de très ordinaire. Sauf que la maman n’est plus là. Le crabe l’a dévoré. Comment annoncer cela à sa fille ? Lui laisser croire que Barbara est en répète depuis longtemps. Difficulté d’exprimer à la chair de sa chair que maman est partie pour toujours.

Tous les parents comprendront à la fois l’insondable tristesse de Gabin, qui intériorise, et la difficulté d’exprimer avec des mots simples ce qui ravage à l’intérieur, la perte de l’être aimé, la douleur de voir nos rêves de vie stoppés en plein vol.

Peut-être que les mots, le trop de mots, viendraient perturber cette expression. En dire peu en dit finalement plus qu’en dire trop et Armelle Le Golvan le suggère avec énormément de délicatesse. Si vous ne lisez pas la quatrième de couverture, si vous vous laissez cueillir par l’histoire, l’impact n’en est que plus fort, les non-dits ne sont ici pas des pièges, ils sont un vecteur d’émotions, d’identification aux différents personnages.

Le dessin.

Ce que les mots ne disent pas, le dessin le fait à leur place. Surtout au travers des regards. Peut-être est-ce cela qui nous parle le plus, ce mélange de tristesse tendresse, de compréhension profonde, qui irradie de ces deux fenêtres de l’âme. Les proches de Gabin y portent leur douleur, avec ce recul qui dit « on doit se montrer fort pour lui, pour leur fille, leur montrer qu’on est là ». Pudeur déjà, amour ensuite, douleur enfin.

Dans les yeux de Gabin, c’est la stupeur que l’on devine. Cet ahurissement de celui qui se retrouve orphelin de sa moitié. On y lit l’amour, plus que tout, qui lui ne s’est pas arrêté, qui perdure, le temps que le deuil se fasse. Et l’amour pour sa fille, qu’il tente de protéger. Et puis ce timide éclair qui indique que l’hommage doit être rendu, d’une façon ou d’une autre.

Les yeux sont les points de focalisation qui happent notre regard à la lecture de cette bande dessinée. Mais il y a autre chose, dans ces nuances de blanc et noir, dans l’intensité du trait. Celui-ci pose les contours mais colorise sur la pointe des pieds. Comme si l’ensemble était nimbé d’onirisme, comme si tout cela n’était qu’un (mauvais) rêve. Ce contraste renforce la dureté de cette expérience de vie, renforce l’amour, renforce aussi cette notion de soutien sans réserve des proches.

Hommage.

Il y a forcément l’hommage à cette jeune maman défunte qui est là en filigrane, sans qu’il soit pour autant évoqué de façon claire tout au long de l’histoire, cet acte qui la placera sur le devant de la scène. La surprise nous saisit lorsque celui-ci est dévoilé. Nous n’en parlerons donc pas, nous dirons simplement qu’Armelle Le Golvan réussit son geste avec habileté, en prenant à contre-pied total de ce que l’on pensait, espérait, attendait. Et ça fait du bien.

Cette BD porte en elle une humanité vibrante, au plus près des gens, voire des petites gens. Elle nous fait nous dire que peut-être que le deuil est l’un des rares moments de la vie qui unit les Hommes sans aucune arrière-pensée, dans ce que l’épreuve véhicule d’universel. Touchant.

Le livre.

La collection Encre Sèche dirigée par Florent Lucéa est dédiée à la littérature en bandes dessinées graphique, en noir et blanc donc. Barbara et les bidouilleurs de bonheur opte pour un format original, carré, tandis que la couverture, elle, est colorée de teintes presque pastelle (à l’exception du blé soutenu des chevelures blondes). La mise en page alterne le format des vignettes, ce qui donne un dynamisme particulier à l’histoire, impose quelques moments de suspension, comme pour respecter ce que véhicule l’histoire, mais aussi d’accélération (pour annoncer le dénouement).

La présentation globale est très soignée, la couverture à rabats plutôt originale dans le cadre d’une bande dessinée lui apportant un petit côté classe, notamment car il permet de présenter l’autrice. L’objet est donc plutôt raffiné et impose déjà une esthétique à cette collection dont Barbara et les bidouilleurs de bonheur est la première publication.

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