ARNAUD MARTIN Palette poétique
Avant de vous parler de son recueil de poésies Renaissance des lumières, nous vous livrons l’interview passionnante que nous a livré Arnaud Martin, peintre, dessinateur et poète. Elle nous décrit son processus créatif et ses inspirations. Nous le remercions chaleureusement pour sa simplicité et son amour de l’art communicatif.
Quant à la chronique de son recueil, elle ne saurait tarder.
Interview d’Arnaud Martin, poète et peintre
Litzic : Bonjour Arnaud. Tout d’abord, peux-tu te présenter en quelques mots, évoquer ton parcours, tes goûts, ce qui t’a conduit à la peinture et à la poésie ?
Arnaud Martin : Je suis un artiste autodidacte de 46 ans, après des études de psychologie et d’anthropologie, je me suis tourné vers le travail social où j’ai travaillé pendant de nombreuses années auprès de personnes en situations de handicap psychique. Actuellement, j’exerce la fonction de coordinateur de projet dans un centre social parisien.
Passionné depuis mon adolescence par les arts en général, j’ai découvert le plaisir de la dérive urbaine lors de mes années universitaires. Ces promenades solitaires au cœur d’un terrain de jeu chaque jour renouvelé ont été pour moi un élément déclencheur dans la mise en œuvre d’un processus créatif, qu’il soit pictural ou poétique.
L : Quelles sont tes influences en matière de peinture ? On pense presque au célèbre Cri de Munch quand on voit les visages/silhouette sur tes toiles, mais nous pensons également à certaines toiles de chagall, ou du moins dans son esprit.
Arnaud Martin : Mes influences en matière de peinture sont nombreuses, cela va de Bacon bien évidemment en passant par Jérôme Bosch, Bruegel, Redon, Blake, Bernard Réquichot, les artistes outsiders (art brut), les primitifs à Paul Klee, Dado, Giacometti, Ronan Barrot et Gérard Garouste. Pour le dessin que je pratique, je suis un grand admirateur de l’œuvre de Fred Deux, Cécile Reims, Georges Bru et richard Laillier.
L : Quelles sont tes influences en matière de poésie et/ou de littérature ?
Arnaud Martin : Là aussi mes influences sont nombreuses, je peux toutefois nommer « les chants de Maldoror » de Lautréamont comme œuvre essentielle à mon entrée en écriture. J’aime également Jacques Dupin, Yves Bonnefoy, Guy Viarre, Venaille, Jacquottet, Kafka, Pessoa, Dante, Miller H, Joe Bousquet, André Du Bouchet, paul Ceylan, Artaud, robert Antelme, Modiano…
Je rajouterai également que le cinéma (même si je ne le pratique pas) occupe aussi une place importante notamment un certain cinéma français des années 70 marginal et poétique avec les films de Guy Gilles, Philippe Garrel et jean Eustache.
Le mouvement situationniste de Guy Debord a occupé une place importante à mon adolescence et m’a donné le goût de la pensée critique, de la déambulation urbaine ludique et poétique au cœur de la ville comme un acte subversif de liberté totale et qui reste une de mes occupations préférées encore aujourd’hui !
La marche me permet de penser à des œuvres à venir, à élaborer des constructions littéraires, des sujets à peindre et d’être au cœur de mes semblables. Car l’art permet aussi et surtout de tisser des liens entre les gens ce qui est fondamental pour moi.
L : Question d’ordre philosophique : penses-tu que l’art peut guérir nos maux ?
Arnaud Martin : C’est une question complexe, pour ma part j’essaye toujours de faire la part des choses entre l’art et la vie car même si je suis un artiste exigeant, sombre et profond, je suis aussi un père de famille et un mari attentionné (enfin j’espère !). L’art pour moi permet d’exprimer l’indicible, ce qui est en moi depuis toujours, peut-être même avant moi. C’est une quête existentielle dont je sais qu’elle est sans réponse mais je ne peux m’y résoudre, j’y reviens toujours. Il y a du plaisir, voire de la jouissance à donner vie à une toile, à un texte. Un plaisir complémentaire des plaisirs de la vie qui chez moi prend une forme singulière, que je ne m’explique.
L : Sur ton site (https://www.arnaudmartinpeintre.com/2016), nous découvrons 35 peintures et presque autant de dessins. Dans ton recueil de poésie Renaissance des lumières, nous découvrons à peu près le double de textes. Pourtant, tout semble lié et provenir du même matériau. La question est la suivante : qui de la peinture/dessin ou de l’écriture t’est venue en premier ?
Arnaud Martin : J’ai longtemps refoulé cette part de créativité artistique que j’avais en moi. Adolescent et jeune adulte, je pratiquais surtout la percussion, je suis même parti plusieurs mois en Inde pour étudier les tablas. Ce n’est qu’à l’âge de 25 ans que tout a ressurgit comme une évidence, un appel. C’est d’abord le plaisir graphique qui est venu, de jouer avec les couleurs, les formes (j’ai commencé par des œuvres abstraites avant de m’orienter spontanément vers l’expressionnisme), les mots ne sont venus que plus tardivement (vers 35 ans) car la démarche poétique, son ascèse créatrice était pour moi un absolu que je n’aurai espérer atteindre, mais je me suis permis à mon tour de jouer avec les mots, d’aller questionner ma matière cérébrale pour faire ressurgir un passé, un mystère qui reste et restera sans réponse. Le mystère de ce qui est mort en nous et que l’on n’a pas vu mourir, le mystère d’avoir oublié l’enfant que j’étais et qui pourtant arpente toujours les mêmes quartiers, le mystère « de vivre ».
L : Par quoi commences-tu ? La peinture nourrit-elle ton écriture ou est-ce l’inverse ?
Arnaud Martin : Il n’y a pas de logique formelle, tout n’est que ressenti. Mon travail qu’il soit pictural ou d’écriture ne forme qu’un corpus unique qui s’autoalimente à l’infini, une matrice féconde aux multiples rouages. Rouages de mots ou de peintures qui finalement ne sont là que pour me tenir debout, vivant.
L : Nous avons tendance à penser que le geste spontané précède l’acte plus réfléchi de l’écriture. Est-ce ton cas ou ton écriture est-elle elle aussi très spontanée ? Peut-être que comme de grands peintres ta peinture n’est pas aussi spontanée que l’on pourrait le croire ?
Arnaud Martin : Effectivement je suis un perfectionniste et tous mes mouvements sur ma toile sont pensés comme chaque mot que je couche sur le papier. Même si la spontanéité du trait peut permettre une certaine tenue à l’espace de la toile, il y a toujours une pensée rugueuse et réfléchie qui vient valider ou pas la création.
Il y a inévitablement une idée de départ (consciente ou inconsciente), une ambiance, un souvenir, une sensation. Le but de mon travail d’artiste étant de faire que cette idée dans sa matérialisation soit en accord avec mes attentes, avec celui que je suis au moment donné.
Je détruis beaucoup de peintures, de poèmes cela ne me pose pas de problème, j’avance et je creuse toujours davantage dans cette recherche. L’idée est de privilégier l’acte créateur à la création elle-même, même si quand je fais une belle toile je suis content, en vingt ans de peintures, je n’ai gardé qu’une quarantaine d’œuvres ce qui est dérisoire par rapport au travail fourni durant toutes ces années.
L : De quel style pictural t’inspires-tu ? Nous pensons à de l’art brut de notre côté, sommes-nous dans le juste ?
Arnaud Martin : Par l’aspect sombre et profond de ma démarche, on m’a souvent affilié à « l’expressionnisme contemporain » même si pour ma part, je me sens plus proche de l’art primitif pour l’aspect incantatoire (voire chamanique), des dessins du Moyen Age peuplés d’êtres étranges et du romantisme sombre du XIXe siècle pour l’aspect mélancolique (avec cette figure marquante et Proustienne du promeneur solitaire à laquelle je n’échappe).
L : Tes écrits, comme tes œuvres picturales, provoquent des réactions fortes, un malaise, une sensation oppressante. Est-ce volontaire de provoquer la réaction ou celle-ci surgit-elle d’elle-même en fonction de nos vécus ?
Arnaud Martin : J’avoue ne pas préméditer mon coup ! Ce qui jaillit de la toile ou du poème c’est ce qui devait jaillir. Il n’y a pas la volonté de mettre mal à l’aise, c’est juste l’expression d’un questionnement artistique. En revanche, je ne me freine jamais dans mes investigations et je pense que d’autres artistes ont été beaucoup plus loin que moi dans le sombre. Pour ma part, j’aime être à la lisière d’un trouble, d’une peur que l’on ne peut nommer, d’un souvenir ou d’une scène que l’on ne sait plus si on l’a vécu ou rêvé.
L : La présence du noir évoque le deuil, la mort (certaines œuvres en porte le nom). Est-ce un thème qui t’a toujours fasciné, porté, ou bien est-il la conséquence d’une expérience douloureuse ?
Arnaud Martin : Non je n’ai pas vécu d’expérience douloureuse ou du moins pas plus qu’un autre ! au concept de mort, de deuil, je privilégierai davantage les thèmes de l’absence et de la perte. Le noir et blanc par sa simplicité permet de faire apparaître des fantômes dans des mises en scène vaporeuses, de les figer sur la toile alors que le passé n’a rien retenu. J’aime cette idée de figer un instant, on a tous en nous des moments gravés que l’on garde pour soi, que l’on se remémore souvent au travers des années, ils nous accompagnent sans que personne n’en sache rien, jamais et bien ces fantômes aussi.
L : Dans tes poèmes nous relevons les mêmes thèmes de la mort, mais également la présence des oiseaux, des enfants. Pourquoi sont-ils si indissociables ?
Arnaud Martin : Bien que mon propos soit sombre, j’aime cette idée de vie qui vient tout relativiser. La poésie est cette force qui permet cette articulation entre la vie et la mort, entre l’homme qui se perd et l’oiseau qui n’a que faire de ces petits soucis dérisoires. La figure de l’enfant est quant à elle centrale dans mon travail, elle est la source de tout, c’est elle qui donne et ordonne le sens du monde, c’est elle qui nous rend meilleurs. Elle vient dans mon art rappeler cette pureté et en même temps cette incapacité à pouvoir comprendre vraiment ce qui se joue autour, à pouvoir avoir une emprise sur le réel. Je perçois mon enfance, l’enfance en général comme un temps absolu que l’on ne pourra jamais comprendre où la psyché naissante et tellement féconde porte toutes les émotions à venir, toutes les subtilités négatives ou positives des rapports humains. Je pense être (quelque part) resté « en enfance » bien qu’ayant fait ma vie d’homme et l’art, mon art, être une main tendue aux adultes qui m’entourent. C’est une étrange sensation mais qui me permet bien des fantaisies car comme l’enfant je joue. Je joue à me faire peur, j’anime des fantômes et je mets les doigts dans la peinture !
L : Nous pensons, peut-être à tort, que le côté très noir de tes œuvres est une part importante de ta personnalité. Es-tu quelqu’un d’optimiste ? As-tu déjà peint ou écrit sur des thématiques plus légères ? Est-ce vers cela que tu aimerais te diriger ou souhaites-tu approfondir cette question du deuil, de la mort dans tes prochaines œuvres ?
Arnaud Martin : Comme je le disais précédemment, je fais la part des choses entre l’art et la vie. Quand je rentre dans mon atelier, c’est le loup qui entre dans la bergerie, prêt à en découdre avec les pinceaux et les pigments alors que quand j’en sors (après un âpre combat) je redeviens un travailleur social empathique, porteur de projet et un père attentif. Mon art est un art de la nécessité, brut et sans concessions mais ce n’est que de l’art. Il ne faut pas se perdre dans l’art, il faut avoir des gardes fous (travail, famille, enfant, que sais-je…) sinon le combat est perdu d’avance. J’aime cette idée de l’artiste qui endosse un masque le temps qu’il est sur scène alors que dans la vraie vie il est monsieur tout le monde et bien pour moi c’est la même chose, mon atelier c’est ma scène !
Dans les années à venir je souhaiterai développer davantage ma partie dessinée, les poèmes (avec un projet de nouveau recueil) et créer des installations vidéos et sonores. L’idée de créer un collectif d’artistes est un de mes souhaits les plus chers donc à bon entendeur.
L : Tes poèmes sont brefs, incisifs, comme des fins de non-recevoir. Penses-tu qu’ils laissent place néanmoins à l’espoir et à l’optimisme comme le suggère le titre du recueil, ou bien cette renaissance des lumières survient-elle à la fin de cette mise à nu ?
Arnaud Martin : Pour moi il s’agit toujours de cette même dialectique entre la vie et la mort, entre le sombre et le clair, l’un ne va pas sans l’autre mais il est certain que dans mon recueil « renaissance des lumières » (toujours en quête d’éditeur), il aura fallu cette mise à nu pour renaitre, pour mettre des mots sur les maux, dire l’indicible, même si ce travail restera toujours inachevé, il est ma force de création, certains le nomment « trauma » chacun son langage.
L : Merci Arnaud d’avoir répondu à ces quelques questions.
Liens utiles : http://www.arnaudmartinpeintre.com/
également sur Fb
Chronique de Renaissance des lumière