MESSYL/WOLF CITY, Trip

Trip Messyl Wolf City

Album disponible le 03 avril chez Lotophagus records/Coeur sur toi

Dans ce concept album, car s’en est un, Messyl et Wolf City nous embarque pour un trip saisissant, poétique, oppressant, d’un noir lumineux romantique et cabossé. Rien d’étonnant quand on connait le talent des deux protagonistes pour les chemins cahoteux, underground, arty mais jamais abscons.

L’une des têtes de ce projet bicéphale est Cartographie Messyl. D’elle, nous connaissons certaines marottes, dont la route et ce qu’elle lui inspire (et pour cela, un détour par sa page facebook s’impose), une poésie fractale (que l’on retrouve dans son recueil de poésies Fractale, et j’ai le ventre rond de toutes ces enfances, paru aux éditions Sans Crispation) qui ici s’avère plus au long cours, celle d’une pensée qui se développe, comme un ruban de bitume, à perte de vue, mais qui offre aussi cette porte de sortie à qui sait y regarder, tout comme elle invite à y ressentir l’oubli et, peut-être, une forme de pardon.

L’autre tête, c’est Wolf City, connu sur nos pages pour, entre autres, ses projets musicaux, ceux de son label Lotophagus records mais également pour ses papiers, Carré d’As ou chroniques d’albums et autres interviews. Ici, il œuvre à la musique. Le mariage entre les mots de Messyl et la musique de Ben impose une esthétique ouverte sur l’extérieur, comme un fondu en ouverture dont l’ampleur semblerait ne jamais s’atténuer.

L’ambiance.

Elle se situe quelque part, entre chien et loup, au moment propice où les ténèbres commencent à rendre les perspectives légèrement plus irréelles, immatérielles. Les feux arrières illuminent le pare-brise tandis que nos phares balayent le bitume avec l’espoir de trouver un point d’appui pour continuer à se projeter vers l’avant (ou un point de fuite, car prendre la route est parfois, souvent une fuite, une évasion). La route. Le bitume. Le caoutchouc qui s’écrase sur le macadam. Les kilomètres que l’on bouffe comme pour mettre une distance entre les autres et nous, entre le passé et nous, entre un avenir qu’on ne veut pas voir mais qui pourtant semble la seule alternative qui nous est proposée.

Entre chien et loup donc. De sa voix presque crépusculaire, avec une prédilection pour le mâchage de mots en bonne et due forme, c’est-à-dire théâtralisé, ou simplement dramatisé, comme pour leur donner plus de corps, mais jamais à l’extrême non plus, juste ce qu’il faut pour impliquer l’auditeur, Messyl nous plonge dans une moiteur de courant d’air, celle qui glace parfois les os mais qui pourtant demeure accueillante. Le paradoxe s’avère prenant, captivant, et trouve une résonance dans la musique âpre et sombre de Wolf City.

Pas loin de la cold wave.

Celle-ci joue avec les codes du rock, de l’ambient, de l’électro. On retrouve, au-delà des sacro-saintes batteries basses et guitares, des drones, des synthés, lesquels posent avec force et conviction une ambiance « déshabitée », légèrement désincarnée ou décharnée, tout en étant paradoxalement prégnante, en place. Nous ne sommes pas loin d’influences nous rappelant The Cure, le côté romantique de la bande à robert Smith en moins. Est-ce un mal ? Non car nous avons moins l’impression de racolage qui subsiste parfois sur certains des albums des Cure.

Pour autant, la musique de Wolf City n’est jamais froide, tout comme elle n’est jamais chaude. Allez croire qu’elle est tiède serait une hérésie car elle possède un mode narratif qui lui est propre et sur lequel les paroles de Messyl prennent toute leur aise. Nous lisons, en commun, des aires industrielles, des autoroutes parsemées de paysages en friche, d’autres paysages (intérieurs et extérieurs) ternes, des points de mire, des boussoles déglinguées, des stops contournés, ou pas toujours, une lassitude, une colère ou une résignation marquant le caractère inéluctable de ce Trip.

La musique appuie les mots. Les mots renforcent la musique. Et vice versa. De bicéphale, Trip devient monocéphale, pulsation intime en concordance avec des idées qui fusent. Homogène malgré des caractères frondeurs, Trip est un tableau d’un être qui cherche sa route, la voie qui est la sienne dans la vie.

Ego (trip) ?

Forcément, il y a une mise à nu. Forcément mais tellement subtile que le « je » devient un « nous ». Chacun peut y retrouver un écho à sa propre existence, à ses propres interrogations métaphysiques. Qui suis-je ? Où vais-je ? Quelle autoroute emprunte-je ? Pourquoi ? Des réponses s’esquissent, des éclairs de distorsion les dessinent. Et ce bourdonnement, comme un cœur qui bat trop vite, cette pulsation de vie qui n’en finit jamais de nous replacer dans son contexte nous ligote au sens, souvent métaphorique, des paroles. Car la route, cet enchevêtrement d’échangeurs et de voies ressemblent à s’y méprendre aux tumultes organiques de nos vaisseaux sanguins et autres nerfs.

Comme un voyage, parfois méditatif, plus souvent contemplatif (pour ne pas dire contempl’actif), Trip nous embarque et nous berce d’illusions (perdues) et d’histoire (de Kerouac). Mais surtout, il nous rapproche toujours un peu d’un but à atteindre, celui de notre propre guérison, voire d’une rédemption que nous nous devons depuis toujours. Et cela ne laisse jamais de marbre tant l’impact s’avère durable. Il faudrait des mois pour creuser le sens profond des paroles, comme les méandres de la musique (y compris celle des mots), pourtant l’ensemble s’avère tout de suite immersif.

Immersif même si abstrait, car cette abstraction projette, qu’on le veuille ou non, une succession d’images sur nos rétines. Et c’est tout ce que l’on demande à la musique : nous faire voyage. Pari réussi pour ce Trip inattendu qui restera longtemps à nos côtés.
Patrick Béguinel

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