CARRÉ D’AS 4 : Steve Flato, R$kp & Black Saturn…

… Maeki Maii & Ljazz, Dakila

Dans ce Carré d’As 4, Ben évoque pour nous 4 projets issus de l’underground. Autoproduit ou appuyés par un label, ces artistes, que l’on ne voit pas aux victoires de la musique, sont une des forces vives de la créativité musicale actuelle.

carré d'as 4 Steve Flato – Microtonal Guitar (autoproduit / Tape Drift)

Des rives du lac Érié à celles du Gange, il n’y a qu’un pas. C’est en substance le message que nous délivre cette avant-dernière livraison de Steve Flato. Seul avec sa guitare surfrettée, l’Américain délivre quatre longues pièces méditatives dont les harmonies hypnotisantes invitent à l’introspection et au voyage intérieur. De qualité égale, les morceaux explorent les possibilités infinies de cet instrument à la musicalité atypique.

« Blues » orchestre la rencontre des musiques traditionnelles américaines et indiennes, « Quill » laisse à entendre une jam improvisée entre Brian Jones et des Byrds dont Lee Ranaldo tiendrait le manche de la six-cordes tandis que « The Red » lorgne du côté de Ravi Shankar et de John Cale, proposant un contrepoint guitaristique aux travaux du trompettiste norvégien Espen Lund.

Ces références ne doivent pas occulter le fait que Steve Flato dispose essentiellement d’un style qui lui est propre. Et l’écoute répétée de ce sublime « Microtonal Guitar » donne parfois l’impression d’entendre des échos de la musique d’une civilisation oubliée. Ainsi en est-il des vingt-quatre minutes terminales de « Junk Orbit« , toute en montées et descentes, qui laissent une place importante aux vagabondages de l’esprit. Steve Flato y donne à entendre toute la maîtrise de son art, déchaînant tour à tour des tempêtes électriques lardées de dissonances entrecoupées de plages à la quiétude himalayennes. Du très grand art.

https://steveflato.bandcamp.com/album/microtonal-guitar-2  

R$kp & Black Saturn – Burning Ambitions (Coeur Sur Toi)

De ponts, il est également question dans cette collaboration entre R$kp et Black Saturn avec le premier morceau l’album, ce « Bridge Over Troubled Water » qui ne doit rien à la balade de Simon & Garfunkel sinon son titre, et qui enjambe l’océan Atlantique, reliant Cajarc à Washington DC. Beat percutant, atmosphère dystopique : le producteur occitan assemble le véhicule idéal pour recevoir le flow minimaliste de Ned Jackson. Fidèle à sa ligne, privilégiant une certaine économie de mots, Black Saturn, lâche ici quelques-unes de ses meilleures partitions. R$kp, lui, flirte avec l’abstraction musicale (« No Hope Is Allowed« ), la noise (« Irritant Drug« , « Doesn’t’ Matter Anymore« ) et ce faisant, le duo explore les recoins les plus sombres du hip-hop expérimental. Il livre ici un album aride, impressionnant, riche d’une dimension fantomatique parfaitement illustrée par le magnifique artwork.

Surtout, « Burning Ambitions » contient deux bombes, deux titres de la trempe de ceux qui mettent tout le monde d’accord. « I Am A Tree » et le morceau éponyme sonnent comme de futurs classiques. Production minimaliste, nappes lugubres et phrasé brumeux, R$kp et Black Saturn élèvent leur style à son paroxysme. A eux seuls, ces deux tracks valent l’achat de l’album -disponible, d’ailleurs, en cassette chez les marseillais de Coeur Sur Toi. L’antidote parfait aux Victoires de la Musique.

https://coeursurtoi.bandcamp.com/album/burning-ambitions

Maeki Maii & Ljazz – Art Feeling

Changement d’ambiance radical avec cette autre collaboration entre le MC genevois Maeki Maii et le producteur chilien LJazz. Et si l’on reste dans le hip-hop (le bon, le vrai, l’authentique, celui que l’on ne trouve pas vous avez compris où), c’est son versant poétique et langoureux que le duo explore ici. Perfusé au jazz, porté par les instrus organiques du beatmaker sud-américain, ce « Art Feeling » est une déambulation nocturne dans le Paris enfumé des années cinquante, rythmée par les notes de « Thelonious Monk » et les samples de clarinettes.

Guide titubant, Maeki Maii pose en douceur ses rimes chancelantes et quelques-uns de ses meilleurs textes (« La Nuit« ), fidèle à sa réputation de rappeur littéraire (évoquant Kerouac dans « Sublime Errance » et Oscar Wilde sur « Dandy« ) et cinéphile (« La Chatte Sur Un Toit Brûlant« , « Dolce Vita » magnifique ôde au pays de ses aïeux). Pour autant, le rappeur helvète n’a rien perdu de sa morgue et l’encrier dans lequel il trempe sa plume reste rempli d’acide jusqu’à ras bord (« Dandy« , « Sous La Neige Dort Un Cadavre« ).

Le style de Maeki Maii s’accorde parfaitement avec celui de Ljazz dont le goût sûr est un écrin de luxe pour le flow du premier. Élégants et mélancoliques, ces neuf morceaux convoquent le meilleur du jazz latin et de la vieille Europe et rappellent que le mélange des genres, pourvu qu’il soit bien fait, est toujours préférable à l’étroitesse d’esprit des chapelles. Avec cet « Art Feeling« , Ljazz et Maeki Maii nous ont concocté le genre d’album à écouter, calé dans un fauteuil club, « cigarette au bec (à la Humphrey Bogart), un verre de bourbon à la main.

https://maekimaii.bandcamp.com/album/art-feeling

Dakila – Dakila (Guerssen Records)

Si les Philippines n’évoquent pour vous que les aventures du Captain Barbell ou les directs de Manny Pacquiao, il est alors grand temps de vous pencher sur Dakila dont le superbe album éponyme de 1972 vient d’être réédité en vinyle et CD.

Chantés en tagalog ou anglais, les six morceaux de cet album empruntent davantage à l’Amérique du Sud qu’aux musiques du sud-est asiatique. Dès le déluge de percussions initial -à faire pâlir d’envie un orchestre de cumbia, le septuor américano-philippin basé à San Francisco affiche sa filiation avec le Santana d' »Abraxas » (« Makibaka / Ikalat« , « Gozala« ).

Sur certains passages, la ressemblance avec le bretteur mexicain s’étend aussi à « Caravanserai », pourtant sorti la même année (comme quoi une certaine communion des âmes opérait entre artistes à cette époque bénie). Claviers rutilants, basse groovy, guitares pyrotechniques, furia rythmique, cet album propose, tout au long des quarante-trois minutes qu’il dure, un carrousel musical où se télescopent rock, funk, soul et musique latine.

Tout en ruptures rythmiques parfaitement maîtrisées, les morceaux de Dakila distillent une énergie joyeusement communicative propre à engendrer des luxations de la hanche chez les moins souples d’entre nous (« Gozala« , encore, et Persiguiendo« ). Et lorsque le groupe baisse (momentanément) le tempo, il évoque le meilleur de Mandrill (l’introduction de « Make Me A Man » rappelle furieusement celle du « Love Song » sur le « Just Outside Of Town » des New-Yorkais que nous recommandons hautement au passage). On remercie donc chaudement les catalans de l’excellente maison Guerssen pour avoir exhumé ce joyau jusqu’alors inconnu. Et cela aurait été dommage qu’il le reste.

https://dakila.bandcamp.com/album/dakila

BenBEN

Frontman de Wolf City, impliqué dans des projets aussi divers que The Truth Revealed ou La Vérité Avant-Dernière, Ben a grandi dans le culte d’Elvis Presley, des Kinks et du psychédélisme sixties. Par ailleurs grand amateur de littérature, il voit sa vie bouleversée par l’écoute d’ « A Thousand Leaves » de Sonic Youth qui lui ouvre les portes des musiques avant-gardistes et expérimentales pour lesquelles il se passionne. Ancien rédacteur au sein du webzine montréalais Mes Enceintes Font Défaut, il intègre l’équipe de Litzic en janvier 2022.

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