Chronique musique EP-mini album
MURMAN TSULADZE, Aperist (EP déjà disponible)
Pop psyché caucasienne.
Il est assez délicat de placer le trio Murman Tsuladze (Bacho Tsuladze, Lucas Nunez Ritter, qui officie également chez La Femme, et Victor Gascon) dans une catégorie bien distincte. Aperist (affairiste en français) est un EP qui démarre comme du post disco punk, qui emprunte, au fur et à mesure des 6 titres qui le composent, à la pop, à la musique de série (En ogoz nous évoque presque le générique d’Amicalement votre, mais version « Mer noire »), au disco, à la synth pop, au rock anatolien, le tout avec une classe totalement improbable et littéraire. C’est donc l’esprit aux aguets que l’on découvre ce nouvel objet sonore aux charmes enjôleurs.
Il y a plusieurs éléments qui nous font craquer d’emblée. Le premier, et non des moindres, est ce décalage plein de groove entre une musicalité colorée, explosive, entrainante, et un chant de crooner se situant souvent un peu au fond du temps. Cela, donne une impression de désinvolture cool absolument géniale, sur Gvirabi notamment. L’effet est terrible parce que la structure disco du titre répand une fièvre à facettes sur un dancefloor qu’on image presque désert, à l’exception de Murman Tsuladze, peut-être éméché, qui viendrait chanter, autant pour lui-même que pour une quelconque assemblée, un spleen légèrement teinté d’amertume.
Faire travailler son imaginaire.
Le point fort de ce mini-album, c’est avant tout cet imaginaire qu’il met en branle. En effet, les paroles ne sont pas forcément accessibles pour qui ne parle pas… turc ? (du géorgien en fait). En effet, à l’exception des morceaux situés aux extrémités, en anglais, le reste est exprimé dans une langue que seuls les natifs peuvent comprendre. Cela dégage un « exotisme » magnétique, fait que nous pouvons simplement nous raccrocher au pouvoir évocateur des mélodies et des lignes de chant (ponctuées d’une voix grave relativement improbable). Cela ne manque pas de nous procurer des électrochocs de plaisir ainsi qu’une sensation de lâcher prise totale grâce à cette musicalité qui coule, de miel, des 6 compositions de ce mini album parfaitement équilibré..
La musique de Murman Tsuladze, tout comme son éthique, mêle avec brio tradition et modernité. Nous y retrouvons instruments analogiques vintages et électro dernier cri, principalement au niveau des bases rythmiques et de certaines trouvailles sur les voix. Mélodiquement, les thèmes nous renvoient vers un orient fantasmé, fait de sable et de vent, d’oasis ou de souks, où une foule mordorée se mouvrait lentement, en paix, à la recherche de quelques produits exotiques.À moins que nous ne nous trouvions dans une ville bouffée par une corruption latente, où règne la loi du plus fort et les bakchichs les plus vils.
Entre tradition et innovation.
Les thèmes possèdent ce parfum de vieux films un peu kistchs (d’ailleurs, Rayon doré, superbe instrumental central, possède quelques fragments de dialogue qu’on imagine aisément provenir d’un de ces films) qu’on a tous vu un jour où l’autre, avec ses héros un peu caricaturaux, à forte pilosité labiale et moquette qui ressort du col ouvert de la chemise.
La puissance évocatrice des thèmes est un puissant catalyseur d’endorphine. L’envie de fêter la vie nous saisit dès Darling (pièce disco de toute beauté)pour ne pas nous lâcher avant la dernière note de They closed the roads. Pourtant, il réside sur Aperist une certaine tension dramatique, une noirceur tenace, de celle qui est propre au peuples bafoués dans leur âme et dans leur chair. Le contraste joie/mélancolie bascule cependant toujours vers l’optimisme, ce qui fait que l’EP n’est jamais plombant, bien au contraire.
Il faut avouer que tout, dans les rythmiques électro, le groove de la basse, les motifs aux synthés nous convient à la danse, à la communion, mais jamais de manière totalement décérébrée. Il y a à la fois du premier et du second degré, mais toujours un respect incroyable dans ces compositions malignes comme tout. Le voyage est au rendez-vous, mais aussi la joie, celle qui ressurgit toujours après les épreuves. Aperist nous fait donc un gros effet.
Oublier nos repères.
Peut-être que ce qui nous touche aussi dans cet album, c’est le fait qu’on soit dans un pur univers « factice ». Ou plus exactement, le trio fait de Murman Tsuladze le personnage principal d’un monde imaginaire cohérent où les chansons y sont racontées comme dans un roman dont il serait le narrateur omniscient. Cette univers romanesque joue à fond son rôle, celui de divertir, mais en y mettant des formes de séduction massive.
En un sens, Aperist nous fait perdre nos repères. Il génère un univers bien à lui, croise les codes, dépoussière les mythes, fusionne les idées avec un art consommé du décalage. Sans fausse note, ce mini-album est un ravissement à chaque nouvelle écoute, notamment parce que le trio s’emploie à y apporter une richesse folle, notamment au niveau des arrangements. Rien n’est cédé à la facilité et c’est ce qui fait que jamais la musique ne sombre dans le kitsch. Bien au contraire, on reste dans un bon goût absolu et assumé.
Vous l’aurez compris, ce disque, s’il ne ressemble à rien de balisé, possède le charme de certains groupes qu’on aime beaucoup, comme Altin Gün par exemple, ou Derya Yildirim & Grup Simsek, ou encore Hun Hun. Quand l’ouverture à la culture mondiale donne des résultats si convaincants, on ne peut que s’en émouvoir et espérer en découvrir plein d’autres. C’est pourquoi nous recommandons chaudement cet Aperist de toute beauté.