CHRISTOPHE SAMARSKY, Animals (paru chez L’Orpailleur)

animals christophe samarsky l'orpailleur

smart

Chercher la petite bête.

Animals, c’est l’histoire de Dogû et Kasumi. Lui, il vit dans une sorte de squat, aux murs de placo, aux ouvertures bâchées. Il passe ses journées à croquer des prostitués, à se créer une philosophie, urbaine, sensuelle. Elle, elle est une geek, passe sa vie dans un jeu vidéo qui confond réalité et monde virtuel. Le jeu ouvre des portes dans le monde réel, donne des indices à retrouver concrètement, qui eux-mêmes ouvrent des portes dans l’univers virtuel. Elle recherche son père qu’elle croit pouvoir retrouver grâce au jeu. Un jour, Dogû découvre une femme, à l’arrière d’une camionnette. Leur univers vole en éclat, pénètre dans une sorte de paranoïa colorée aux flashs d’une ville mystérieuse.

Dans ce roman halluciné, multi-référencé aux codes de la culture nippone, aux codes du jeu vidéo, aux codes du techno thriller, du thriller tout court, à la poésie, à la philosophie, on suit le parcours de deux âmes égarées, des jeunes gens qu’on imagine être des ados, comme ils le sont dans beaucoup de mangas ayant bercé notre enfance/adolescence. Avec une écriture qui n’appartient qu’à lui, Christophe Samarsky nous dévoile un roman polaroïd qui ne laisse surtout pas indifférent.

soutenir litzic

Pour faire en sorte que litzic reste gratuit et puisse continuer à soutenir la culture

Ville tentaculaire.

Nous ne savons pas où se passe l’action. On ne sait pas qui sont les protagonistes. Tout reste assez nébuleux. Mais on s’en fiche pas mal. Succession de flashs colorés, de sensations diffuses ou ultra concrètes, nous progressons dans l’intrigue à tâtons. Elle n’en a pas tant que ça, d’importance, l’intrigue, parce que c’est un peu comme si nous voyagions dans ce périple à l’aveugle, seulement guidé par notre odorat, notre ouïe, nos considérations physiques, métaphysiques, poétiques et philosophiques.

Des passages sont d’une beauté incroyable, un enchevêtrement de mots qui se télescopent en générant une chute de dominos, faisant elle-même tomber nos barrières, nos émotions. Succession d’images, des photos instantanées de situations potentiellement explosives, conflictuelles, avec un rapport à la réalité perverti par des vies sous acide. Réels ou pas ces acides. D’ailleurs, l’histoire est-elle vraie ? Ou ne serait-ce pas, pourquoi pas, l’histoire dans une autre histoire, un monde gigogne d’un autre monde.

Dans Animals les rapports au concret sont dévoyés par une linéarité explosée, par un mouvement saccadé, cyber punk poétique techno halluciné. Nous y retrouvons un poids sociétal, celui d’une société hyper connectée, hyper branchée sur le secteur, technologiquement avancée, mais aussi engluée dans les codes ancestraux de leur culture, engoncée dans des références traditionnelles pesantes, mais indéniablement présentes.

Au milieu des néons.

La ville est présente, les couloirs sombres, les sous-sols d’hôpitaux, les ruines, les squats, les crimes, l’amour, la vie trépidante, le besoin d’isolement, ou l’isolement forcé, les repères qui manquent, que les personnages recherchent envers et contre tout, sans même, le croit-on, le savoir. On est au milieu de « Tokyo » (on ne sait le nom de la ville, qui n’est pas Tokyo, que vers la fin du roman, même si rien n’indique que c’est bien d’elle dont il s’agit depuis le début), sous les lumières artificielles des écrans LED ou LCD, au milieu d’un tumulte aveuglant, où les êtres brisés se heurtent à des rêves qui ne sont pas les leurs.

Laissés à leur propre sort, ils se créent leur propre univers, conscient de ce qui les entoure, de ce qui les porte en avant d’eux-mêmes, de ce qui habite leurs tripes, leur âme. Le rapport à la philosophie est ultra présent, à la quête existentielle qui semble salvatrice, ou du moins être un but à atteindre avant qu’il ne soit trop tard. Griller la vie par les deux bouts, oublier la misère affective, la solitude, se trouver en l’autre sans se livrer à lui totalement. Chercher dans le mysticisme ce parfum de vérité qui se répand à travers les feuilles de cerisiers en fleur pleuvant sur le Mont Fuji ou sur le cratère d’un volcan/source thermale pseudo mystique.

Nous sommes tous des animals.

Animals est écorché. Il est subtil, malgré sa brutalité, et ne se livre pas. Court, trop peut-être, même si l’expérience de lecture est particulière, tellement personnelle qu’il faut s’échauffer avant d’y pénétrer pleinement, Christophe Samarsky ne nous offre pas tout sur un plateau d’argent, et c’est bien mieux comme ça. C’est à nous de nous impliquer, de nous isoler pour mieux entrer dans ce monde. De laisser tomber les codes habituels de lecture pour pouvoir apprécier ceux qu’il nous propose.

La littérature a ceci de magique qu’elle permet d’ouvrir des portes, entre le conscient et l’inconscient, entre le monde réel et le monde imaginaire. Et Animals parvient ce tour de magie de nous faire réagir, viscéralement, à ce qui ne se comprend pas forcément instantanément par le pouvoir des mots, mais plutôt par le pouvoir des images. Fort, intense, le roman ne donne qu’une envie, d’être relu pour éclaircir les mystères qui persistent une fois le livre achevé. Ce que nous n’allons pas tarder à (re)faire…

NDLR : vous pouvez approfondir l’univers d’Animals et du fameux jeu vidéo en vous rendant sur le site projetkarasu.wordpress.com

Découvrir d’autres parutions de L’Orpailleur : Faillir, Je t’avais dit : ne viens pas avant midi, au paradis, ou Retourner les mondes.

soutenir litzic

Nous retrouver sur FB, instagram, twitter

Ajoutez un commentaire