FELDRIK RIVAT & JEAN-BAPTISTE HOSTACHE, Naissance du tigre
Le fin limier et le spectral squatteur
Une femme élevant seule son enfant fait appel à l’inspecteur Lacassagne pour la protéger du fantôme de son mari. Ce dernier, un tueur implacable, a été exécuté voilà un an. Légèrement dubitatif sur le côté surnaturel de l’affaire, Lacassagne cherche d’abord un être de chair et de sang, avant de tomber sur un os de taille. Il n’est bientôt plus maître de lui, et ses collègues sont obligés de le mettre aux arrêts. L’on découvre que le spectre de l’étrangleur prend possession du corps de l’inspecteur la nuit pour commettre des crimes horribles. Il ne poursuit qu’un but : retrouver son épouse et sa progéniture et les éliminer. Quoi de mieux que de se glisser dans la peau d’un policier chevronné et fort comme un tigre.
Il faudra toute l’ingéniosité d’hommes de science et du chef de la sûreté pour empêcher le fantôme malsain d’arriver à ses fins.
Gothique, vous avez dit gothique.
Dans cette BD, nous sentons fleurer une ambiance lugubre digne des soirées occultes où une madame Irma interroge les morts autour d’une table de convives facilement impressionnables. L’atmosphère nous rappelle aussi la revue sombre et élégante des Éditions de l’Abat-Jour, L’Ampoule, qui laisse la part belle à l’inquiétante étrangeté si chère à Freud.
Il est question d’ectoplasme, mais ici point de Belphegor terrorisant le Louvre, ni de spectres titillés par un Beetlejuice au mieux de sa forme, ni de types armés de canons à particules et de boîtes bizarres dévolues à l’emprisonnement de revenants. Nous assistons à une possession ignominieuse. Un meurtrier quitte sa sépulcrale dernière demeure pour se venger de sa femme et de tous ceux qui l’ont conduit à la guillotine. Vous ne verrez pas non plus Hercule Poirot débarquer pour confondre un assassin manipulateur qui use de stratagèmes pour berner les plus crédules. Le fantôme est bien réel, et pour le débusquer, les sciences expérimentales seront utilisées pour contrecarrer ce démon.
Notre inspecteur a un petit côté de L’homme qui rit de Victor Hugo et se débat avec les écheveaux d’une histoire à vous faire dresser les cheveux sur la tête.
Temps modernes
La BD nous transporte dans un monde où la technologie est la source de promesses incroyables. Cette période de bouleversements, de recherches tous azimuts, de passions pour le mysticisme est une époque frontière, entre deux eaux, entre le cartésien et l’onirisme, entre la science et l’occultisme, entre le réel et l’imaginaire.
Notre inspecteur est un homme de principes, poursuivis par ses propres démons. C’est un personnage totalement romanesque du fait de sa complexité intrinsèque. Ce n’est guère étonnant, puisque cette BD est l’adaptation de l’univers de La 25ème heure déjà écrite par le scénariste de la présente BD. Qui mieux que son créateur pour transfigurer son œuvre ?
Encore une preuve qui étaye ma théorie sur les ponts entre les arts. N’en déplaise aux élitistes à l’esprit étriqué, la BD est bien de la littérature, et elle détient ce super-pouvoir de fusionner images et textes en se servant des codes de différents genres comme le cinéma, le roman ou la nouvelle horrifique par exemple. Bien plus chavirant que les romans-photos des magazines de nos grands-mères, non ?
Pour conclure
Naissance du tigre est une BD qui réussit le pari de nous parler de fantôme avec un prisme inédit. Elle lie la possession souvent représentée à travers L’exorciste ou le personnage de Constantine avec l’enquête policière aux portes de la modernité. Ce monde digne d’une dimension parallèle qui serait idéale pour la série Fringe nous transporte avec aisance dans un tourbillon de péripéties endiablées.
Nous regrettons que la confrontation avec le spectre retors au regard torve ne dure pas un peu plus longtemps, mais ce bémol est dû à notre passion pour les batailles épiques à multiples rebondissements et n’entache en rien notre enthousiasme pour les aventures de cet inspecteur Scarface qui vous fera oublier L’inspecteur Murdock.
Naissance du tigre, de Feldrik Rivat et Jean-Baptiste Hostache, éditions Les humanoïdes associés 114 pages, septembre 2020
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