[ROMAN] AÏSSA LACHEB, Erostrate for ever //vie de merde.

Erostrate for ever d’Aïssa Lacheb, disponible chez Le diable Vauvert.

Il y a des livres comme ça, des livres qui décrivent la merditude de la vie d’une façon directe, coup de poing. Forcément, quand nous le prenons de plein fouet, cela fait des ravages et amène à y réfléchir à deux fois avant de s’extirper de son lit au petit matin. Aïssa Lacheb, dans ce roman qui pourrait être pris comme un recueil de nouvelles mais qui est véritablement un tout, nous bouscule, nous tiraille entre sentiment d’empathie et d’horreur. Erostrate for ever est une gifle assénée avec une force littéraire peu commune.

Un rythme.

Tout commence par un rythme. Fait de phrases brèves, presque pronominales, posées les unes à la suite des autres, le roman nous donne une impression immédiate d’urgence. Premier chapitre, une famille détruite par un père dont la violence latente, puis explosive, terrorise tout le monde. Le garçon se meurt (se laisse mourir est plus exact comme terme) dans sa chambre, la fille cherche un point de fuite, la mère est totalement effacée. Puis petit à petit, tout s’accélère, les phrases se rallongent au fur et à mesure des pages que nous tournons. Cela n’arrive pas au deuxième chapitre, consacré à cette fille, justement, qui fuit le domicile familial et fait la mauvaise rencontre, fatale, ni même dans le troisième où un garçon répète les erreurs (et l’existence, à peu de choses près) du père.

Le glissement est subtil, l’allongement intervient petit à petit, nous amène un peu à ressentir le tragique de chaque situation d’un point de vue totalement passif et médusé par la violence qui règne en ces pages. C’est bien simple, nous ressentons un peu de l’impact d’un film comme Requiem for a dream, l’impression de se prendre un TGV en pleine tronche quand bien même le début du film (et ici du roman), semblait un démarrage en gare. Il faut attendre les deux derniers chapitres, l’un consacré à deux filles/femmes dont l’une, saisie d’une folie inexplicable, écrit à s’en déchirer l’âme et le dernier, reliant ces différents chapitres, nous conduisant aux portes de la mort.

Une plume.

Ce rythme ne pouvait être guidé que par une plume magistrale, et elle l’est. Elle possède une force descriptive à la fois brute et aux contours arrondis. Brute car le langage reflète la violence disséminée dans chaque phrase, ou presque. Le langage peut se faire familier, ordurier, quand il le doit, rompant avec toute la bienséance que nous sommes en droit d’attendre (surtout quand on perçoit toute la richesse de la langue quand elle n’est pas ordurière finalement). Mas ce langage parfois fleuri correspond parfaitement à l’image des personnages, Parce qu’ils paraissent tous provenir du même environnement social, à l’exception du dernier, Monsieur Pimpon, nous ne nous attendons finalement pas à autre chose qu’à un langage des bas quartiers.

C’est justement en alternant les vocabulaires, les images, Aïssa Lacheb parvient à amplifier son rythme, à nous emmener plus loin que la simple description sociale d’un milieu défavorisé pour rendre corps à ces personnages. Jamais dans la caricature (il eut été facile qu’il y sombrât), les histoires présentes n’en sont que plus fortes. Et elles le sont d’autant plus qu’elles ne laissent place à aucun espoir, jamais, si ce n’est celui que nous nous créons nous-même pour tenter d’y voir clair dans ce mirage dévastateur de nos sociétés implacables.

Empathie.

Tout cela, néanmoins, est engoncé dans une empathie non feinte et surtout non surjouée. Cette empathie (et amour des personnages par leur auteur) permet de ne pas sombrer dans un ouvrage insoutenable. Il possède en effet une humanité qui sauve Erostrate for ever de la dépression profonde. Parce qu’il faut en avoir de l’amour, de l’empathie, pour décrire les turpitudes de l’existence vécues par les différents protagonistes. Alcool, drogue, sexe, tout y passe, dans une valse terrible, morbide, mais où le désir de survie est pourtant bien présent, survie teintée d’autodestruction, survie teintée du désir de mort. Paradoxe. Pourtant, la vie ne les quitte pas, les suit tous et toutes à la trace, avec un avenir noir en point de mire, pour ne pas dire totalement bouché. Chaque personnage continue cependant sa progression vers cet horizon, et y laisse des plumes, et la raison.

Ce livre est un rouleau compresseur, une descente aux enfers (presque littéralement à la lecture du dernier chapitre) par la face nord, une photo d’une société qui va mal. Car tout va dans ce sens et la dernière histoire d’Erostrate for ever le dit plus ou moins clairement. Ce bouquin parle effectivement d’indifférence, d’impuissance, de résignation, de ces combats et ses meurtrissures invisibles générées par une société carnassière n’hésitant jamais à regarder ailleurs que là où elle devrait. Cette indifférence s’avère destructrice, un véritable poison faisant que jamais, justement, cette société ne peut aller mieux. Décourageant, mais conscient. Donc impossible de passer à côté.

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On pense à Images de la fin du monde (déjà chez Au diable Vauvert)

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