[ALBUM] PALO ALTO, Difference and repetition
Difference and repetition, 10é album de Palo Alto (disponible chez Sub rosa)
Il faut en avoir dans le calbute pour proposer pareil disque, à l’heure de l’instantanéité tous azimuts. Il faut du temps pour apprivoiser la bête, pour la comprendre et tenter, non pas de l’apprivoiser, mais pour lui laisser le temps de nous ronger les os et l’esprit. 6 titres, 73 minutes, un objet musical non identifié qui pourtant nous prend aux tripes et accommodera à merveille tout imaginaire épris de science-fiction, de littérature, de liberté, de différences et de répétitions. Palo alto frappe fort et juste avec Difference and repetition.
La musique du trio est expérimentale. Elle est un mur de pierre qui s’érige devant nous et, comme il nous est impossible de le contourner, nous n’avons d’autre choix que d’essayer de l’escalader. L’entreprise pourrait être aisée, car il y a ce petit élément, comme une prise facile qui se propose à nous et permet de gravir les premiers mètres avec une déconcertante facilité. Mais très vite, nous nous retrouvons dans le vide, la tête à l’envers, emportés par un univers qui tourne, nous heurte, nous guide, nous désarçonne, nous rendant fous, nous obsédant envers et contre tout.
Pourtant, magnétisé par la folle inventivité du combo, qui ose les guest inspirés (le toujours génial Alain Damasio), le violoncelliste virtuose Thierry Zaboizef et Richard Pinhas, Palo alto nous balance une mandale en pleine tronche à laquelle nous ne nous attendions absolument pas.
SF, électro, littérature.
Cet album porte bien son nom. Difference and repetition parce que la musique ose l répétition, à outrance, de façon à creuser jusqu’à la maniaquerie un thème qui nous obsédera des jours entiers par son esprit presque tribal, presque world, électro forcément, mais rock, post rock, jazz, abrasif, qui écorche les tympans tout en les caressant, sado-maso musical qui fait du mal et du bien en même temps, qui rend fou et apaise les tourments. La spirale est sans fin, vis du même nom, vice que l’on consomme quand nous voulons nous fracasser le crâne sur une musique qui ne s’explique pas mais se ressent, comme une première fois maintes fois répétée.
Il est différent cet album. Parce qu’il est un hommage, à Deleuze, à Soft Machine. Il est différent parce que tout hommage qu’il soit, il l’est avant tout à lui-même, mais pas de façon égocentrique, narcissique, mais imprégnée de sa musicalité parfois insupportablement géniale, parfois génialement insupportable (non, ce n’est pas la même chose). Les stridences sont insupportables, parfois, mais leur pertinence, elle, est géniale. Elle exorcise une douleur, une idée qui doit accoucher, violemment. Génialement insupportable donc. Et puis, ce vrombissement, qui nous tourne autour de la tête, comme un moustique qui viendrait irriter notre sommeil, en pleine nuit, insupportable idée, mais pourtant mise ici en musique de façon absolument géniale… Insupportablement génial donc…
Instrumental, sauf…
La musique est majoritairement instrumentale. Sauf qu’Alain Damasio a ici carte blanche sur Triptych, et qu’il parle avec sa fougue brûlante, puissante. Non pas pour lui, mais pour Deleuze. Le verbe haut, il appuie là où la musique devient abstraite. Ses mots font mouche, déclenchent des émotions en cascade, celles qui font pleurer, qui font rire, celles aussi qui font réfléchir, tout en étant toujours instantanées, comme fruit d’une idée qui serait recrachée aussi viscéralement qu’elle s’était imposée. Ce dynamisme casse l’instrumentale passion qui la précède et la suit. Non, il les nourrit, les complète. L’un est vampire, l’autre proie, maître et disciple, intervertissent les rôles, n’en font qu’un. Comme un tout fondu dans la masse.
L’effet est totalement déstabilisant, totalement addictif, toujours juste, toujours inventif, toujours rugueux, mais toujours charmeur, inspirant, déroutant. Fort. Comment dissocier la raison de l’irraison ? Comment sortir indemne d’un tel choc ? Parce que, ce n’est pas tout de déblatérer comme nous le faisons, il faut se remettre d’une telle écoute. Parce que, foncièrement, c’est beau, au-delà du dicible, parce que ça se ressent plus que ça s’explique, et que la beauté irradie, pour le coup, d’ailleurs, d’on ne sait véritablement où, mais nous laisse K.O debout.
Le pouvoir de la musique, c’est bien cela, redessiner des perspectives, effacer des frontières. Cet album, Difference and repetition abolit tout, nos repères comme nos envies. Il est un voyage épique à nul autre pareil, qui, loin de nous faire vaciller sur nos acquis, nous donne au contraire envie, encore, toujours, d’être surpris par la musique, et la littérature, et les hommes et les femmes qui sont pris dans la nasse des deux. Vous comprenez pourquoi nous ne pouvions passer à côté d’un tel objet musical non identifié. Il est la synthèse de tout ce qu’on aime, ni plus, ni moins.
On pense à Limite.
Revoir Rhizome (extrait de Difference and repetition)