[ Interview ] Questions à Marie Liebart, autrice.
Interview de L’autrice Marie Liebart.
Nous vous proposons de découvrir l’interview que nous a accordé Marie Liebart. Dans celle-ci, nous parlons de son travail d’autrice, de son roman Loin, de ses inspirations. Dans une deuxième interview, nous reviendrons sur son travail d’éditrice puisque Marie Liebart est également à la tête de MVO édition (avec Marc Vandamme). Mais tout d’abord, c’est l’autrice qui nous parle.
Les questions.
Litzic : Bonjour et tout d’abord question rituelle : comment vas-tu ?
Marie Liebart : Bonjour Patrick, merci de me recevoir les bras ouverts sur ton blog culturel. Je vais bien, très bien. J’ai beaucoup de chance, santé, activité professionnelle dévorante et passionnante …., le sourire est mon compagnon de route.
L : Peux-tu présenter ton parcours d’autrice rapidement, en évoquant tes premiers émois de lectrice, tes premiers écrits, jusqu’à la rédaction de ton premier roman ?
Marie Liebart : Mon intérêt pour le langage et surtout sa musicalité remonte à l’enfance. J’ai d’abord été percutée par la parole et l’éloquence, bien avant de rencontrer l’écrit. Je me souviens d’un film vu à la télé quand je devais avoir 7 ou 8 ans. Celui-ci se déroulait à Versailles et mettait en scène les joutes verbales des courtisans du roi soleil. J’ai immédiatement été subjuguée par la finesse, la subtilité et la virtuosité de l’expression. J’avais mis le pied dans un autre monde et il m’avait totalement possédée, un univers où les mots étaient comme des notes de musique. L’intérêt pour la lecture est venu bien plus tard, curieusement lire a été pour moi un désir d’adulte. La littérature antillaise m’a envoutée : E. Glissant, P. Chamoiseau, R. Confiant et surtout M. Condé qui m’a énormément inspirée. Elle a toujours été dans un petit coin de ma tête durant l’écriture de ce roman.
Mes 1ers écrits, ce sont mes lettres à mon grand-père maternel. J’adorais lui écrire de longues lettres, j’y mêlais l’intime enfantin au plaisir de faire naître ma propre musique sur le papier. Il est la première personne à m’avoir dit : « Tu seras écrivain. »
J’ai commencé à écrire un matin, au réveil, suite à un rêve étrange que j’ai voulu noter avant de l’oublier. C’était en 2015, je revenais de Guadeloupe. Ce songe a servi de point de départ à mon 1er roman. Je n’ai aucune explication à cet envol, ça devait couver, le barrage a cédé ce jour-là et depuis lors l’écriture est une compagne plus ou moins envahissante.
« J’ai rencontré Céleste en avril 2015 » et « Chimen chyen »
L : Je viens de lire ton troisième roman, Loin, paru récemment aux éditions Poussière de lune. Peux-tu, avant que nous en parlions, évoquer tes deux précédents romans ? De quoi parlent-ils ? Quels en ont été les points de départ ?
Marie Liebart : Comme je l’évoquais précédemment, mon 1er roman « J’ai rencontré Céleste en avril 2015 » est né d’un rêve dont je me suis souvenue. Dans celui-ci, je voyais 2 silhouettes marchant au bord de l’eau sur une plage. Elles venaient à ma rencontre, se rapprochaient peu à peu jusqu’à ce que je puisse distinguer nettement leur visage. L’une d’entre elle, un homme, m’était totalement inconnue, quant à l’autre : il s’agissait de moi, mais dans un futur lointain, une vision de ma vieillesse à venir. De cette hypothèse de départ, c’est-à-dire avoir accès à son futur par le biais des rêves, est né mon 1er livre.
En ce qui concerne le 2ème, « Chimen chyen » qui signifie Hors des sentiers battus en créole, je suis partie d’une expérience personnelle pour édifier ce roman. C’est une auto-fiction. Adolescente, dans un contexte familial de souffrance, j’ai mis au point et effectué une longue fugue, une escapade folle durant laquelle j’ai réussi à passer entre les mailles des filets de la police comme par miracle.. et à atterrir en Guadeloupe, premier contact, premier coup de foudre avec cette île. Il faut croire que tôt ou tard, lorsque l’on écrit, ce qui nous a meurtri finit toujours par remonter en surface.
L : De la même façon, qu’est-ce qui est à l’origine de ce troisième roman ?
Marie Liebart : Depuis longtemps, j’avais envie de parler de l’île, de son histoire, de sa culture mais je ne trouvais pas de support satisfaisant à ce projet et certainement aussi me demandais-je si j’étais vraiment légitime pour le traiter d’une façon juste. L’écueil quand on parle d’une culture qui n’est pas la sienne est d’être complètement à côté de la plaque, je ne voulais pas de ça.
« Elle m’a ouvert la porte de son coeur, j’ai foncé tête première dans l’aventure. »
L : Il est inspiré d’une histoire vraie. Peux-tu m’en dire plus sur les circonstances t’ayant conduit à cette rencontre (avec Marlyse Bordelais) et à faire de son histoire celle de ton hérone Gaïa ?
Marie Liebart : Il y a quelques années, j’ai vécu plusieurs mois en Guadeloupe. J’habitais un hameau perché sur les hauteurs du Gosier et j’y ai fait la connaissance d’une de mes voisines avec laquelle j’ai sympathisé. Au cours de nos repas partagés, de nos balades, de nos confidences sur la vie, est né le projet de ce 3ème roman. C’est tout simple, presque une évidence, elle a été le lien qui me manquait jusqu’alors pour oser. Elle m’a ouvert la porte de son coeur, j’ai foncé tête première dans l’aventure.
L : Un soin très particulier est apporté à la langue dans Loin. De nombreux passages en créole le rythment, tout comme un phrasé et un choix de mots que nous n’utilisons pas en métropole. L’exercice est brillamment mené de bout en bout, mais il n’a pas dû être aisé à mettre en place ? Comment t’y es tu prise ?
Marie Liebart : Je voulais qu’en lisant ce livre, on sente les odeurs, la moiteur, l’ardence de la lumière et du soleil et qu’on entende débouler le créole avec ses ondulations, sa rythmique explosive, ses accélérations et ses freinages. Il y a dans cette langue quelque chose de la comédie, du théâtre de rue, une gouaille pimentée, exotique. Ça fait du bruit, ça caracole et en même temps, il y a du sirop, des métaphores délicieuses et tant de poésie. C’est pour cette raison que j’ai souhaité exprimer certains dialogues en créole avec une traduction accolée. J’avais envie que le lecteur s’essaye à prononcer ces mots, qu’il les goûte. J’en profite, à cet égard, pour remercier mon ami Aljy – Alain Jean-Jacques qui m’a épaulée pour la mise en place des dialogues en créole.
Quant au style utilisé pour parler en français, il n’y a là aucun effort ni démarche de recherches particulières. Ce qui est écrit sort directement de ma tête sans aucune préparation, c’est du brut de décoffrage. C’est ma façon d’écrire, elle est née de ce qui me touche et elle a certainement été nourrie de mes lectures créoles. Je suis toujours la même quand j’écris quelque soit le sujet, mes 2 précédents livres en témoignent.
L : J’imagine que les violences faites aux femmes ont une résonance particulière pour toi car il en est question au tout début de ce roman, de façon tragique. Est-ce que Loin est une œuvre féministe selon toi ? Pour moi, il s’agit avant tout d’un portrait de femme forte et libre, ce qui, dans mon esprit n’est pas la même chose. Mais peut-être que je me trompe ?
Marie Liebart : La violence est une composante constante de l’histoire de l’humanité. Il est à noter que les violences envers les femmes ont une incidence plus marquée dans les DOM qu’en métropole. J’ai la conviction que cet état de fait doit chercher sa cause, au-delà de la précarité et de la déscolarisation, dans les racines du peuple créole.La naissance de cette population repose sur une immonde barbarie : l’esclavage. La femme y était le dernier maillon de la chaîne hiérarchique, celui sur lequel les abus ne connaissaient pas de limites. Ce séisme, cette ignominie a levé une houle dévastatrice qui se propage de génération en génération. Il faudra du temps avant qu’elle ne s’apaise.
Je ne ressens pas ce roman comme une oeuvre féministe. Pour moi, être une femme n’est pas une revendication. Il raconte de quoi est fait un être humain, comment il fait face à ce que lui sert la vie. En l’occurence, il s’agit ici d’une femme, pleine de désillusions et débordante néanmoins de gaieté.
« Je suis immédiatement tombée en amour avec ce petit bout de terre, Karukera… »
L : Les décors guadelopéens nous transportent, nous sommes véritablement sur cette terre Antillaise. Petite question toute bête mais j’imagine que tu y es déjà allée car tout me paraît très juste (moi qui n’y ai jamais mis les pieds) ?
Marie Liebart : Comme je l’ai évoqué précédemment, ma rencontre avec l’île remonte à mon adolescence. C’est en tant que fugitive en cavale que j’y ai posé le pied pour la 1ère fois. Je suis immédiatement tombée en amour avec ce petit bout de terre, Karukera, et avec les personnes bienveillantes que j’ai croisées sur ma route. J’y retourne régulièrement, la Guadeloupe fait partie de ma vie.
L : La misère est très présente dans ton livre. Elle est effectivement très présente aux Antilles, mais aussi en métropole. Ton histoire aurait tout aussi bien pu se passer en France métropolitaine, non ?
Marie Liebart : Tout à fait, c’est le cheminement, le parcours de vie, la pâte humaine qui sont au centre de mon roman. La détresse et la précarité fleurissent également avec virulence sous nos latitudes européennes. C’est le contexte géographique, historique, culturel, le décor qui impriment d’autres couleurs au roman. Cette histoire est cuisinée avec de la cive, du piment, des épices à colombo comme elle le serait ailleurs avec de l’huile d’olive, du romarin et du laurier.
L : As-tu en ce moment en tête un nouveau projet d’écriture ? Si oui, peux-tu (ou veux-tu) nous en parler un peu ?
Marie Liebart : Et bien oui !!! Mon 4ème roman : Point final,sera publié normalement dans la 2ème moitié de décembre chez MVO Éditions. Il se situe dans un registre totalement différent du précédent. Il s’agit d’un huis clos que je qualifierais de « malsain » qui débute sur un tableau de meurtre orchestré par une mise en scène macabre, barbare et incompréhensible. L’intrigue va égrener des cadavres jusqu’au…Point final.
L : Je te remercie pour tes réponses. Une autre série de questions arrivera très bientôt pour évoquer ton travail d’éditrice.
Marie Liebart : Avec plaisir, c’est moi qui te remercie pour ta disponibilité et ton travail de mise en avant des auteurs et de leurs ouvrages.