[ ECRITS ] NATHALIE STRASEELE, 3 extraits de sa plume

3 extraits d’écrits de Nathalie Straseele.

Afin que vous puissiez vous faire une idée de la plume de notre auteure du mois, Nathalie Straseele, celle-ci nous a fournit 3 extraits de textes, très différents les uns des autres. Vous y trouverez un extrait de son roman Je t’avais dit : ne viens pas avant midi, au paradis (paru chez L’Orpailleur), un extrait d’un livre qui parle de son travail de peintre (paru dans la collection classique de az’art atelier éditions, maison mère de la collection L’Orpailleur) et enfin un texte réalisé à la demande de Christian Carrère, photographe et ami de l’auteure, à l’occasion d’une expo, photo et vidéo. Ce texte est rythmé pour coller à un montage vidéo réalisé par le photographe. Nous vous les présentons dans cet ordre.

Premier extrait.

Et tu écris :
Grand voyageur solitaire de l’ombre,
lassé d’espérer l’apparition de l’aube,
la lente et froide évasion et l’infini sourire,
il avance, écrasant sous le pavé hideux les carcasses de bête e t les squelettes d’homme,
traversant le feu et fouillant dans les flammes la trace ensorceleuse et joyeuse d’une femme.
Il est grand voyageur solitaire, voyeur, sous les décombres.
Voir, dans ses yeux, le soleil éclore. Jusqu’à la nuit des temps et l’aube, par ses yeux encore,continuer cela,
éclore.
Tu tournes la page, et tu écris :
« Je mange des petits oignons
blancs
comme tu le faisais tout le temps.
Je n’en achetais jamais,
avant »
Tu te lèves tu es sur la terrasse. Un insecte vole et son vol monte et s’approche et passe juste au dessus de ta tête.
Tu le pensais libellule, et tu vois bien alors que c’est un colibri.
Nous étions mercredi.

Extrait de«Je t’avais dit: ne viens pas avant midi, au paradis.»roman paru aux éditions az’art_atlier, collection l’orpailleur, décembre 2018.
Tout droits réservés, reproduction interdite.

Deuxième extrait.

Presque deux ans de travail, avec Paula comme modèle (extrait de P(au)ose)

Et une nouvelle grande toile repris sa place à l’atelier. Nous avions le projet d’un portrait debout. Une pose de danse. La danse très codifiée et stylisée qu’elle pratique, la danse indienne. Le tableau-là prit rapidement forme, avec une belle position élégante, plein cadre, marquant le mouvement des mains et des pieds, et accentuant leur présence. Simplement je n’arrivai pas ensuite à le construire avec aisance. Le fond desservait le sujet, ou l’inverse.

Alors il reposa.

Il reposa de longues semaines. Je l’observai. Puis je le retournai face au mur. Les semaines devinrent des mois. Je voulais oublier ce que sans doute je vivais comme un échec. Je crois que je m’étais faite à l’idée de ne pas aboutir, de laisser ce tableau-là, de le reprendre plus tard, de refaire une pose, l’envisager autrement,je ne savais pas.

Jusqu’à ce qu’un matin, un tout petit matin, avant même l’aurore, quelque chose d’aigu et impérieux me réveilla.
Lève-toi, lève-toi, prends le pinceau, va.
Un élan qui me traverse. Sans que je ne sache exactement qui me commande ce mouvement, ni d’où il vient. Comment puis-­je raconter sans savoir qui mettre à la première personne ?

Et donc ce matin-là, à peine sortie du lit sans avoir déjeuné ni rien, le pinceau à la main déjà, les tubes de couleur sortis déjà, un grand coup de blanc à la grosse palette pour isoler et le bleu et le vert et la terre de sienne brûlée quasiment des deux mains le tableau par terre puis relevé je dressai la carte de l’Europe et l’Afrique, de tête bien sûr, et donc les deux continents bien cadrés et de rapports harmonieux mais très peu respectueux des valeurs relatives, laissant seuls du modèle la tête et les extrémités mains et pieds apparaître sur le décor intégré.

En moi dansait cette phrase « Danse indienne à la méditerranée intérieure ».
Et ça marchait.
Le résultat dansait. J’y voyais d’elle les mouvements gracieusement contrôlés et la chaleur intérieure. Ce qui m’importe aussi du lien avec la terre et l’histoire du monde. Le mental, l’animal. Le féminin qui relie et accueille. Et puis ce nom de famille qu’elle porte et qui résonne des mouvements du monde au-delà des frontières, dans la géographie… Lorsqu’elle le vit, elle le regarda, elle ne dit rien d’abord, puis elle manifesta la prise en compte,se retourna vers moi et dit: « Waohh ! il parle d’unité. »

La semaine suivante, elle vint et me lut cette si belle phrase d’un Mythe mélanésien de l’ïle de Vanuatu : Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la pirogue, celui du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, celui de l’enracinement, de l’identité. Et les hommes errent constamment entre ces deux besoins, en cédant tantôt à l’un tantôt à l’autre ; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre que l’on fait la Pirogue.

Sur le tableau, j’agrandis alors le fleuve Congo.

Troisième extrait.

…que nous n’avons jamais connu…
Dehors.
Vas y. Marche. Respire.
Ecoute ton écho. Marche.
Relie, retient, retire ton souffle, prends tes pas car ils t’emmènent; tu as derrière toi le monde entier que tu traînes. Tu laisses les vivants là après toi. Et tu t’éloignes. Le monde te parle, il navigue à l’endroit et même il chante parfois. Les oiseaux sont cachés dans les arbres flous, et tout bouge. Toi tu tangues. Pense à tes pieds, avance encore et tu les vois ils vont par deux. Par deux leurs cornes montent et tâchent sur le doux du sol, ils sont vivants et bougent. Tu vois l’eau, tu la bois de tes pores. Tu la sens en toi, bleue et ocre. Un chemin te guide. Le ciel est grand, si grand, calme. De loin, le bruit, les lignes des troncs, les cheveux, les nids de branches.
Une demie lune à l’avancée. l’horizon penché. Le chemin, deux lignes sous tes pieds.Une fleur, un bruit… Ce son c’est une grue tu ne la vois pas, serait-elle cendrée? Tu marches sur quoi?

Espoir brouillé, soleil voilé, crissement sec, trop sec sous tes pieds, qui crissent.Quelque chose crie puis décroît. Engouffrement de sombre là-bas, et la lumière dorée,brise, courbe. Tu joues, tu danses et c’est rouge et tu t’apaises.
Tu danses, martèles, écoutes un meuglement de branches qui ploient et se frottent, se broient, plient la lumière sous bois. Frise lenticulée. Un pont sous la courbure avance.Herbe et pierre. Tu es l’eau, tu la longes, tu ne sais pas dans quel sens elle coule, elle t’invite.
Elle s’ouvre.
Elle abrite.
Les gouttes se déploient.
C’est une avancée, sémaphore, au devant de toi.

Demie courbe, une maison, les contours de la civilisation. Tu avances à reculons, le dos sous le poids du vent qui s’engouffre dans les rouleaux d’océan. Pierres effilées,finies, usées, rassemblées. Le sable en est la fin réunie.
Deux enfants sur la plage que tu ne vois pas bien, et la dune s’étale, penche, elle gonfle. Elle porte du vert à son sommet.
Tu es là, toi, devant.
Tu te sens tout cela.

Ces extraits de texte sont publiés avec l’aimable autorisation de Nthalie Straseele.
© Nathalie Straseele– tous droits réservés, reproduction interdite.

Remerciement à Az’art atelier éditions et à collection L’Oprailleur

extraits nathalie straseele

Foulard, crédit Nathalie Straseele (tous droits réservés)

 

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