[ALBUM] THOMAS GRIMMONPREZ, Big wheel, quartet jazz émotion.
Nouvel album de Thomas Grimmonprez, Big wheel, disponible chez Outnote records.
Quelques jours après avoir chroniqué l’excellent Six strings under d’Éric Legnini, nous revoilà en territoire jazz avec Big Wheel, troisième excellent, lui aussi, album sous son nom de Thomas Grimmonprez. Si nous y retrouvons des guitares comme dans l’album d’ Éric Legnini, nous sommes avec le Thomas Grimmonprez quartet dans un tout autre univers.
Un groupe épidermique.
Le jazz, ce n’est pas qu’une musique à la technicité folle, c’est aussi, et surtout, une histoire d’émotions. Et quand, justement, l’émotion prend le pas sur la technicité, le jazz nous donne des frissons des pieds à la tête. En optant pour une formule batterie/basse/guitare/piano, Thomas Grimmonprez, batteur reconnu dans son domaine, nous offre un disque liquide qui s’infiltre dans les rouages de nos ressentis.
La première remarque que nous pourrions faire concerne le mixage de l’album. Celui-ci est juste parfaitement équilibré. Aucun instrument n’est laissé en arrière-plan, même si la guitare (ici tenue par Manu Codjia) prend souvent les devants en termes de solo, bien que les fulgurances de piano/Fender Rhodes (Benjamin Moussay) lui damnent souvent le pion. La contrebasse de Jérôme Regnard est parfaitement audible (ce qui n’est pas toujours le cas sur les productions jazz), permettant à la paire rythmique d’instaurer une tension et/ou une poésie réelle.
Onirique, fébrile, passionné.
Le quartet se trouve à merveille sur Big Wheel. Il en résulte une forme de fusion parfaite, de cohésion sans failles entre les quatre instruments. Ils trouvent instantanément la place qui est la leur, sans doute parce que Thomas Grimmonprez, aux commandes du vaisseau, a su retranscrire parfaitement ce qu’il avait en tête. Ainsi, aucun temps faible ne vient troubler la puissance de ce disque qui étale entre nos deux oreilles autant de paysages que possible.
En effet, nous sommes parfois au bord d’un fjord, sauvage, à la beauté froide, lorsqu’un rayon de soleil vient nous réchauffer la peau, comme une caresse. L’instant d’après, nous sommes traversés par un éclair surgissant d’un nuage a priori anodin, qui vient nous électriser à travers quelques arpèges terriblement bien sentis. Ici, un cheval galope, et c’est le vent qui vrombit à nos oreilles dans un tourbillon euphorisant des balais frottant les peaux.
L’alchimie résultant du duo piano-Fender Rhodes/guitare permet de porter les émotions à leur paroxysme. Quand les deux instruments s’appuient l’un sur l’autre sur quelques notes, c’est un sentiment rond et puissant qui irrigue nos membres. Quand l’un prend les devants pour un solo, le second lui prête main-forte en imposant une rythmique sans qu’aucun ego malvenu ne prenne le dessus. Cela vaut dans un sens comme dans l’autre, et cela nous démontre bien, comme dans Six strings under de Legnini, que ces deux instruments peuvent exister conjointement sans tirer la couverture à soi.
Un disque flamboyant.
Ainsi, Big wheel s’avère un disque flamboyant, qui s’impose en douceur par ses thèmes et ses ambiances, l’inspiration de Thomas Grimmonprez n’y étant sans doute pas pour rien. La musique nous saisit directement par son approche sensuelle, très tactile. Nous sentons les touches du clavier du piano, le bois de la guitare et de la contrebasse, et le rebond des balais sur les peaux tendues de la batterie. Le tout s’avère extrêmement palpable, délicat, puissant mais sans aucune forme de violence.
Pour tout dire, nous avons l’impression d’écouter la bande son d’un rêve dans lequel tout est dissocié sauf cette musicalité pleine de pleins et de déliés. Nous conseillons vivement ce disque à toutes les âmes sensibles et rêveuses, fortes et douces en même temps. Un album à ne pas manquer.
LE titre de l’album.
Le titre de Big Wheel qui nous électrise par-dessus tout est Hypnosis. Il commence de façon très tendue, avec des cordes étouffées de guitare, baignées de delay et reverb, tandis que le piano s’avère très expérimental. Puis, petit à petit, tout se met en place, chassant les nuages pour que les éclaircies apparaissent, petit à petit, sous l’impulsion de la paire rythmique qui tient bon les commandes.
La quiétude survient lentement mais sûrement, comme si nous étions plongé dans l’œil d’un cyclone. L’aspect tendu de la composition refaisant surface peu de temps après, comme pour constater l’étendu du désastre. Pourtant, une touche d’espoir y perdure, comme si tout cela n’était qu’un nouveau départ, ce qu’entérine Spain Time qui le suit.