PHILIPPE LABAUNE L’interview
Litzic : Bonjour Philippe. Avant toute chose, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Philippe Labaune : Je suis metteur en scène de théâtre. J’ai créé ma compagnie, le Théâtre du Verseau, en 1983. J’ai dû signer environ 35 spectacles depuis. Je suis totalement autodidacte. Aucune formation théâtrale en amont. J’ai appris en faisant, en écoutant et regardant.
Jeune homme j’étais très attiré par le cinéma, le théâtre est arrivé presque par hasard, un enchaînement de circonstances. J’ai avancé en tâtonnant.
Puis, très tardivement, et récemment l’écriture a surgi. Je le comprends comme une sorte de prolongement de mon travail de mise en scène. C’est comme si j’écrivais déjà avec le plateau. Et les ramifications bourgeonnent ces derniers temps. Un duo voix-textes-guitare avec Christophe Petchanatz, ça s’appelle Construire des cabanes. Et aussi l’expérimentation avec les outils du studio électro-acoustique autour de Patrick Dubost et sa bande Ecrtits/Studio.
L : Tu es metteur en scène de théâtre. Tes premiers souvenirs de lecture y sont-ils liés ?
Philippe Labaune : Pas du tout. Pendant très longtemps les textes de théâtre me tombaient des mains. Un ennui profond. Comme j’avais envie de mots dans mes spectacles je me suis tourné vers ce qu’on appellerait des écritures « poétiques » ou tout au moins des textes dans lesquels la langue et ses expérimentations, son oralité, résonnaient fort en moi. Dubost, Prigent, Gleize, Collobert, Zürn, Rilke, Pessoa.
Dans mon premier spectacle, Augure d’innocence, il n’y avait que quelques secondes de parole. C’était quatre vers d’un poème (déjà) de William Blake.
Et depuis quelques années, une dizaine peut-être, je suis revenu au texte dramatique avec et grâce à une jeune génération d’auteurs qui ont, pour moi, bouleversé totalement le texte de théâtre. Il se passe des choses passionnantes chez les écrivains de théâtre en ce moment. Je cite mes « chéris » : Sandrine Roche, Magali Mougel, Samuel Gallet, Lisiane Durand, Laura Tirandaz, Moreau, Sabine Tamisier, Milena Csergo…j’en oublie (pardon) , ils sont nombreux. Ce sont pour certains de très jeunes gens et on se rendra compte dans quelques années combien l’écriture dramatique d’aujourd’hui a fait bouger les lignes.
Pour revenir à mes premières lectures, j’étais enfant un lecteur assez boulimique. Une maladie qui m’a immobilisé enfant pendant des mois a été un événement pénible mais qui m’a permis de plonger dans les livres avec appétit.
Premiers souvenirs : Ivanohé – Le livre de la jungle
L : Quel est ton premier « choc » littéraire ? Qu’a-t-il déclenché chez toi ?
Philippe Labaune : Pas très original, le premier choc c’est Rimbaud. Grand séisme intérieur de le lire. Et ça dure toujours aujourd’hui. Les Illuminations, forever.
Ce qu’il a déclenché ? L’envie de les dire. Le foisonnement sidérant des images articulé à une pensée révolutionnaire, radicale. Un alcool fort, lu cul sec. Cela a ouvert comme un (des) arrière-mondes, une zone de sensibilité et de conscience improbable, un flux de pensées, d’émotions, d’images qui réclamait une « sortie » dans le monde. Le théâtre a été le terrain de cette exigence d’expression.
L : Quel est ton auteur préféré ?
Philippe Labaune : Question très difficile. Un seul c’est impossible. Une galaxie qu’on pourrait tenter de cartographier. Dans le désordre un chapelet de noms : Rimbaud (donc), Collobert, Gleize, Beckett, Pessoa, Saer, Bernhard, Rilke, Apollinaire, Bataille, Venaille, Royet Journoux, Frédéric Boyer….pffff….liste impossible. Ce serait faire le tour de ma bibliothèque. C’est sans fin.
L : Quel auteur n’aimes-tu pas et pourquoi ?
Philippe Labaune : Je ne sais pas. Rien ne me vient. Je crois que je ne les fréquente pas. Quand je les lis je les oublie.
L : Le livre dont tu attendais beaucoup et qui t’a déçu ?
Philippe Labaune : ???
L : Si tu devais n’en citer qu’un :
Philippe Labaune : Exercice encore impossible…
Disque : pas UN disque mais des artistes immenses dont l’écoute ne s’étiole pas : Zappa – Hendrix – Davis – Coltrane – Nick Cave – Alan Vega et Suicide – Bashung (l’album Fantaisie militaire est une merveille) – Scott Walker
-
Film : les films de Tarkovski, en particulier Stalker – Godard, en particulier Nouvelle vague. Mais je pourrai ajouter Lynch, Paradjanov, Bergman, Fellini, Rosselini, Kiarostami, et d’autres.
-
Artiste : Rothko (là je m’en tiens à un nom…mais les autres poussent derrière…) Si, je vais quand même en citer un, ou plutôt une autre. C’est une jeune artiste qui travaille dans le domaine du Land Art. Elle s’appelle Douce Mirabaud et ce qu’elle crée est sidérant de puissance et d’intensité.
-
Pièce de théâtre : les spectacles de Pina Bausch, en particulier Barbe bleue – Tout Kantor – Roméo Castelluci – Les spectacles de Bruno Meyssat – ceux de Claude Régy –
L : Tu nous confiais t’être lancé dans l’écriture à un moment particulier de ta vie. Pourquoi t’être tourné vers l’écriture plutôt que vers le dessin ou la musique?
Etait-ce pour toi un besoin naturel, une envie de longue date ou au contraire est-ce quelque chose qui s’est imposé à toi ?
Philippe Labaune : L’écriture par ce que je sais écrire alors que je ne suis ni musicien ni peintre. L’évidence et la facilité.
L’écriture est arrivée dans un moment de grande et profonde douleur et paradoxalement de grande liberté. Comme la fin d’une contention.
Je crois que l’écriture s’est imposée. Je n’écris que de la « poésie »…enfin des sortes de blocs de prose assez denses et monolithiques. Pour l’instant. Probablement qu’un jour l’écriture se dénouera, trouvera de l’espace en elle.
L : Ton écriture est comme un diaporama, dans le sens ou elle déclenche des images, plus ou moins concrètes. Tu as écrit une série intitulé Oeils, une autre Panoptikon, toutes deux basées sur l’idée de regard (celui que l’on porte ou celui que l’on nous porte). Pourquoi ces thèmes ?
Philippe Labaune : Le regard, l’œil, sont liés au désir, à la pulsion scopique. Je suis familier des images. Je les collectionne beaucoup. C’est assez proche de ma façon d’écrire au plateau.
Oeils c’est l’écriture du voyeur. Panoptikon c’est l’écriture de celui qui est vu.
Le diaporama visuel dont tu parles s’articule avec un diaporama sonore. C’est assez baroque cette affaire.
Je suis un metteur en scène qui est fasciné par la naissance des images. Pour paraphraser un très beau texte de Didi-Huberman, ce que je vois me regarde.
Mais je travaille également beaucoup à l’oreille. Il m’est arrivé de diriger une répétition dos au plateau, sans rien voir de ce qui s’y passe.
L : Sont-ils un reflet de notre société de plus en plus encline au voyeurisme, via les réseaux sociaux notamment.
Philippe Labaune : Je ne crois pas. Je ne suis pas très sensible à cette « toile ». En tout cas je me méfie de ses tentacules même si j’y succombe parfois.
Cette histoire de regard fait sonner en moi des choses plutôt très anciennes comme une archéologie mentale. Pascal Quignard me touche beaucoup, me passionne. La nuit sexuelle, le sexe et l’effroi, Vie secrète sont des textes qui ont beaucoup compté pour moi.
Comme en leur temps Mircéa Eliade ou Gaston Bachelard.
J’essaie – souvent difficilement- d’échapper au brouhaha du monde actuel, ce bruit assourdissant. Je ne suis pas tellement « de mon temps » de ce point de vue là. Je déteste le bavardage de notre époque médiatisé et dématérialisé. J’ai besoin des corps, des souffles, des sueurs, d’une autre temporalité que ce culte de l’immédiateté dévorante. Du silence et de la lenteur voilà comment j’aimerais répondre à notre monde si violent.
L : Te mettre devant une feuille blanche et te lancer a-t-il été pour toi une épreuve ou une source de joie ?
Philippe Labaune : La page blanche ne m’effraie pas. Je ne la connais pas pour tout dire. J’écris directement à l’écran de l’ordinateur. J’écris assez vite. Les textes sont souvent « achevés » (si cette formule a un sens) en peu de temps. Une journée, voire deux. Mais certains sont récalcitrants…je les laisse bouder quelques temps et je les (re)prends par surprise.
Le moment de l’écriture est très joyeux, presque euphorique. C’est une danse, quelque chose qui engage et anime le corps. J’écris tout entier.
L : Tu mets en musique certains de tes textes. Penses-tu que la musique puisse compléter un mot, lui apporter une autre profondeur, un autre sens ?
Philippe Labaune : Probablement. La musique, le son – c’est ce que je cherche par exemple dans mes mises en scène – doivent dialoguer avec le reste, les mots, les corps, la lumière. Je déteste quand on utilise la musique, un peu vulgairement, comme une sorte de papier peint sonore, ou comme une béquille émotionnelle pour soutenir ce qui serait « trop faible » sans elle.
La musique parle de manière « magique » avec les images, elles dialoguent souvent chez moi.
L : Quels sont tes projets à plus ou moins courts termes ?
Philippe Labaune : Ils sont nombreux et incertains. Mon recueil Oeils va être publié en mars prochain chez Gros Textes.
Panoptikon – autre recueil achevé – cherche éditeur.
Nous allons jouer à la mi-mars, avec Christophe Petchanatz, Construire des cabanes au Périscope à Lyon dans le cadre du Cabaret poétique de Frédérick Houdaer.
J’aimerais terminer en 2019 deux autres recueils. L’un s’intitule Drones et le second Monde diplomatique. Et j’ai un second texte « dramatique » en chantier.
Côté théâtre il y a deux projets avec des textes de Sandrine Roche : Feutrine et La vie des bord(e)s.
Et un troisième que je porte depuis longtemps et qui verra peut-être le jour cet été au bord de la mer, Le marin de Pessoa.
Et le plus gros projet est d’aller au printemps s’installer dans la campagne beaujolaise pour y créer un outil de théâtre. Avoir notre propre lieu de travail sera un grand luxe. Il s’ouvrira à d’autres équipes de création qui pourront y venir en résidence et bien sûr à la population locale avec qui nous comptons bien travailler.
Merci d’avoir répondu à cette interview!