PHILIPPE LABAUNE Feu cheval

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avancer penché dans la courbe du chemin une ligne qui se perd dans le gris du soir une trace comme suspendue courir sans voir écrire l’espace et son risque voyez les aveugles les mains en avant on sent la chaleur une sente qui invente le dessin à mesure par tout le corps penché et la vitesse du pas sans horizon à quelques centimètres de l’accident – je recommence – tentation du vide précipitation en boucle et à nouveau le parfum du feu au bout des doigts je marche et je rêve surchargé d’yeux j’avais promis de parler des larmes nuit et jour il arrive des choses dans mon visage d’aveugle je cours sur le chemin je sens la courbe je sens le feu sous chaque main chaque foulée je suis celui qui court sans voir tout entier dans l’inclinaison du virage au milieu du ciel noir et gris de fumée suspendu entre deux foulées extase de la suspension entre les flammes je sens les herbes hautes et flexibles je suis le vent qui passe caresse du monde qui penche avec moi l’un et l’autre accordés à la foulée dix mètres de parfait aveuglement un passage une traversée comme un glissement vers quoi une extase une ligne sans repentir – je recommence – le sol de graviers de terre asphaltée au pinceau il n’y a rien que mon rêve de mouvement si rapide et immobile une pensée animale je suis le chien et le froissement qui s’évanouit dans la nuit et la fumée je suis l’herbe sèche écartée piétinée par les ombres – les larmes voient croyez-vous – pleure mon dessin pleure ma course – je ne sais pas – autrefois j’ai pleuré un cheval dans les bras je cours avec son souvenir et mes larmes d’aveugle c’est la vue invisible j’entends la course du cheval il y a mille ans la même courbe me porte la sueur de la bête dans la bouche et tout le corps galope maintenant entre les herbes en feu sans hésitation ni tremblement se dessine une ellipse en plein champ je n’oublierai rien de ce que je n’ai pas vu j’entends l’herbe qui brûle au bord du chemin invisible je danse une prière pour mes morts je traverse la ligne d’horizon reste un fin nuage de cendres

Ce texte, extrait du recueil Panoptikon*, est publié avec l’aimable autorisation de Philippe Labaune.

© Philippe Labaune – tous droits réservés, reproduction interdite.

 

*Ce recueil est à la recherche de son éditeur. Contactez-nous pour plus d’informations : correspondance@litzic.fr

 

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