JOYCE CAROL OATES, Respire

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Éditions Points (poche)

Un mari malade, une plongée dans le monde des soins palliatifs, puis l’après. Dans Respire, roman en partie inspiré par la mort de son époux, Joyce Carol Oates explore le processus de deuil et surtout l’incompréhension qui règne lorsque l’on se retrouve seul.e après que l’on eut perdu la personne avec qui nous partagions notre vie.

Respire, tel est le titre de ce roman dans lequel l’autrice nous propose une immersion totale dans la tête de la narratrice. Respire, c’est aussi ce mantra que Mickaela, la narratrice, ne cesse de répéter à son mari dont le corps défaille inexorablement. Elle lui intime de ne pas baisser les bras, cesser le combat, cesser de vivre. Pourtant, la maladie l’emporte. Et respire devient son mantra à elle, dévastée, qui doit se résigner à respirer même si l’envie de mourir, de rejoindre Gérard (son époux) la taraude, la rend malade.

La force de vivre

Nous suivons ainsi son parcours, son chaos intime et personnel, ses pensées perturbées par l’incompréhension qui s’empare d’elle et ne la lâche plus. L’écriture se met au diapason, nous plongeant dans un tourbillon incontrôlable qui nous essore jusqu’à l’os. La magie de l’écriture de Joyce Carol Oates s’avère puissante autant que fragile, précise autant qu ‘elle élude nombre de questions, nous laisse dans un état fébrile, en attente d’une guérison ou d’une rémission.

L’autrice nous propulse au plus près d’elle. Nous comprenons ce qu’elle traverse tant Joyce Carol Oates s’immisce au plus près de sa vérité, et cela ébranle nombre de nos certitudes. Elle parvient aussi à nous mettre dans une position proche du déni, en répétant certains éléments comme si, dévastée par le chagrin, elle tournait en rond dans la perte de l’être aimé.

Chaque détail s’ajoutant au précédent parvient à édifier le processus de la perte et du deuil, du caractère inéluctable de la maladie et de ce qu’elle entraine. Comme sur une montagne aux flancs abruptes, nous nous agrippons au rationnel pour ne pas sombrer, comme la narratrice, dans un délire presque auto-destructeur. Mais nous sommes aussi conscients que dans pareil cas, nous verrions notre aimée dans chaque personne que nous croiserions dans la rue.

Un choix d’écriture au plus près de l’âme.

L’écriture, pleine de méandres, nous force à nous impliquer, tant dans sa forme que dans son fond, déclenchant une émotion jamais surjouée, jamais faussée. Même si l’écriture s’avère presque « clinique », l’afflux de vie ne se tarit jamais, déviant au gré de la peine, de la prise de conscience que ce n’est pas parce qu’on est veuve que nous abonnons l’autre à la mort, mais qu’au contraire nous devons continuer à vivre.

Sans chercher à imposer mais plutôt à exposer les différentes étapes du deuil, Respire nous permet de mieux comprendre ces mécanismes et nous met également face à notre propre finitude (ou face à la fin de vie d’un proche). Avec toute la maestria que nous lui connaissons, Joyce Carol Oates propose un livre poignant, brillant, exigeant, tout à l’image de cette femme pas tout à fait comme les autres et, quoi que nous en pensions, l’une des plus grandes autrices américaine.

Patrick BEGUINEL 

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