ALIAS, Jozef
1er album ébouriffant, déjà disponible chez Simone Records.
Dans ces albums attendus de longue date figure celui d’Alias. Le canadien, que l’on suit depuis plusieurs semaines désormais, nous promettait un opus de belle tenue, mais nous étions loin de la réalité. Jozef, son premier opus, s’avère une merveille rock, mais pas que.
L’artwork nous montre un hôtel en flamme, surplombé d’un œil tenu entre des mains aux doigts crochus. Une référence à Shining de Stephen King ? Pourquoi pas. En tout cas, l’imagerie rock = musique du diable est déjà présente, sur fond de rouge, noir et blanc. Ultra graphique, cette pochette serait-elle à l’image de la musique qu’elle renferme ?
Rock, groove, et références croisées.
Nous n’allons pas engoncer Alias dans une petite case. Elle ne rendrait pas justice à l’ouverture que propose sa musique. Évidemment, elle est rock, légèrement saupoudrée d’effets psychédéliques récurrents, parfois aériens, parfois souterrains. Mais nous y décelons également une pointe de soul, des envolées pleines de groove nous rappelant un funk presque introverti mais qui déclenche d’irrémédiables secousses du bassin. Enfin, un soupçon de jazz semble lier le tout, comme cette envie de ne pas faire du déjà entendu.
Sans partir dans des instrumentaux louches et avant-gardistes, cette pointe jazz lorgne plutôt du côté cool des compositions de ce genre. Tout est ici d’une rare fluidité, enrobé d’un mojo sensible et habité. Les notes coulent comme du miel, mais parfois, épicées, sortent les griffes. Les arrangements, discrets, ou au contraire ultra présents, colorent l’album à la manière d’un arc-en-ciel éblouissant.
Le son se calque sur les facéties de l’artiste. Les distorsions sont subtiles, les effets vocaux rendent l’entité narratrice presque désincarnée, fantomatique, effet renforcé par des claviers aux sonorités simplement étourdissantes, ni datées, ni kitchs, mais pourtant semblant provenir un passé fantasmé. La voix, mixée légèrement en avant de la musique, reste très concrète, comme si elle hantait les parages de son aura démoniaque et possiblement torturée. Posée sur des rythmiques relativement lourdes, elle apporte une dose de légèreté à l’ensemble, sans perdre en impact ou en aura. Le très fragile équilibre entre gravité et luminosité ne bascule jamais d’un côté ou de l’autre tant la recette est savamment dosée. Alias, tel un alchimiste, réussit ici un pari dingue, celui d’être à la fois ultra présent et évanescent. Cela sert à merveille l’album.
Revoir Together
Romantisme enflammé.
Si nous sentons des moments de fièvre ou de tension, ils sont souvent contrebalancés par une ballade inspirée, ou par un retour à des parties plus posées. Les cordes présentes sur l’album, ainsi que le saxophone, apportent une touche élégante à l’ensemble. Le carcan rock est donc étiré au maximum, dévie parfois vers une pop inspirée et relativement hors des sentiers battus. La tracklist est d’une redoutable efficacité, relançant ou calmant la machine lorsqu’elle s’enraye ou s’emballe.
Les codes sont à la fois respectés et dévoyés, comme si Alias prenait un malin plaisir à nous faire croire qu’il allait nous mâcher le travail, ce qu’il ne fait assurément pas. Car si un aspect aisément assimilable existe et persiste tout au long de l’album, la richesse des compositions, des arrangements, procure indubitablement des surprises de taille, et ce sur quasiment chaque titre.
Superbement produit, le disque possède une âme parfois tourmentée, en quête d’un possible pardon. Mais cet aspect n’est jamais plombant car Jozef déclenche des salves de plaisir à chaque écoute. Quand son « esprit » se fait plus apaisé, on dérive avec lui vers un plaisir sans contrainte. Cette ambivalence, qui nourrit le disque, se renforce au fur et à mesure de celui-ci et finit par se fondre en nous et finit par nous habiter complètement.
Alias en parle :
« Mon nouveau projet prend pour point d’ancrage un personnage imaginaire, Jozef, être bigarré, éclectique, habité d’une douce folie qui s’enchevêtre dans les interstices de ma création. Ce personnage habite une résidence qui n’est pas la sienne, partagée par d’autres occupants comme lui. Chaque chanson agit comme un chapitre de l’histoire de Jozef, selon une chronologie non-linéaire. Le projet ne fait que dévoiler l’essence de l’univers tel que perçu par le personnage, laissant libre cours aux interprétations de l’auditeur.»
Revoir Fantasy (feat. Les Deuxluxes)
Un Grand Album.
Nous l’attendions de pied ferme, ce Jozef. Souvent, dans pareilles circonstances, c’est une légère déception qui accompagne l’écoute du fameux disque, l’attente ayant ses effets pervers, notamment celui d’une perfection qui ne serait que celle que nous entrevoyons ou prédisons (ou pire que nous fantasmons). Mais dans le cas de Jozef, rien de tout ceci, parce qu’Alias semble à la fois aller totalement dans le sens de notre attente, tout en étant totalement à contrepied de celle-ci.
En proposant une œuvre intime, aussi personnelle qu’elle peut être universelle, Alias réalise ici un premier album exempt de toute faute de goût, proche de la perfection (d’ailleurs, n’est-il pas parfait ce disque?). Sans succomber au charme d’une mode changeante, le canadien impose sa marque de fabrique (qu’on souhaite durable), un rock à la fois tourné vers un glorieux passé et un avenir radieux, mais sans pour autant rester enfermé dans ces codes. Une prouesse. Mais il fallait bien ça pour ce chef-d’oeuvre qui se bonifie à chaque écoute.
LE titre de Jozef.
Gros coup de cœur, entre autres, pour Les Bois Perdus. Ne vous méprenez pas, ce titre n’est pas en français, on reste en anglais dans le texte. Démarrant comme une ballade psychédélique légère, folk, le passage à l’électricité lui donne un aspect épique absolument génial.Sans varier véritablement rythmiquement, on sent une accélération qui nous prend au ventre par son intensité, sans qu’elle devienne pour autant angoissante ou perturbante (c’est-à-dire en restant vaguement psychédélique et propice à l’exploration de notre moi profond). Le paradoxe entre douceur folk et folie rock agit comme un révélateur de ce que renferme Jozef et définit à la perfection cet album à la créativité débordante.
Patrick Béguinel
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