Live report Portrait/interview
MeliSsmell : L’arme à l’œil
Mélanie Coulet, plus connue sous le nom de MeliSsmell, a sorti l’an passé un quatrième album remarquable, « Les enfants de Maldonne ». Vendredi 21 avril dernier, elle était en concert au Forum Léo-Ferré à Ivry-sur-Seine. L’occasion d’un concert magnifique en piano-voix et d’une rencontre taboue. L’arme à l’oeil, coeur ouvert et poing serré.
Le Forum Léo-Ferré, c’est un peu le Limonaire, une salle dédiée à la chanson française du IXe arrondissement de Paris, de MeliSsmell. La chanteuse venue d’Ardèche y est comme chez elle et y joue depuis dix ans une fois l’an avec toujours la même ferveur. Vendredi 21 avril dernier, la petite salle située à l’est de Paris, à proximité du boulevard périphérique, affichait une nouvelle fois complet pour une soirée de gala face à un public averti.
Pas bégueule, Mélanie partage le repas avec le public avant de monter sur scène accompagnée d’un musicien installé devant un piano à queue Steinway & Sons, « le même que Léo Ferré ».
Elle va visiter son répertoire avec brio et même proposer un nouveau morceau beau et mélancolique, » J’ai tant rêvé« . Il ne sera a priori pas sur le prochain disque… Au programme également, de nombreux titres de son dernier album, dont le superbe « Putain de miracle« .
Le concert est généreux, moins crispé que celui du Café de la danse, plus libre et plus souriant aussi. « J’ai quand même fait le doigt d’honneur sur « Aux armes » et sur « Bleu marine ». Mais le concert au Café de la danse est loin déjà. C’était il y a un an … Avec le temps qui passe, on prend du recul. Les doigts d’honneur, on m’en a fait la remarque, j’en fais peut-être moins inconsciemment.»
Un caractère bien trempé
Dans la petite salle d’Ivry-sur-Seine, MeliSsmell semble apaisée, plus heureuse aussi. « Je suis retournée vivre en Ardèche dans mon berceau familial, surtout pour des raisons de sécurité, celles de mon enfant essentiellement. »
Le stress de la release party de l’an passé est visiblement évacué, les nouveaux titres s’incluent naturellement dans le répertoire déjà fourni de MeliSsmell. Depuis ses débuts en 2004, et surtout son premier album en 2011, elle n’a cessé de gravir les marches du succès sans pour autant casser le plafond de verre, la dernière marche d’accès à la notoriété comme a, par exemple, su le faire Zaz.
MeliSsmell a une voix exceptionnelle, rauque et profonde, mais se traîne aussi un caractère bien trempé, le terreau de son anticonformisme sans doute. Femme de conviction, elle l’est depuis sa plus tendre enfance. Et sur scène encore ce soir, elle n’hésite pas, à la manière de Charlie Hebdo, à s’attaquer aux prophètes de tous poils, quel que soit leur religion. Même pas peur.
Un bon bagage musical
Sa passion première reste la musique. Forte de quatre années de solfège au piano et de nombreux cours de chant, Mélanie maîtrise parfaitement sa voix, compose et écrit seule ses chansons avant de les confier à ses musiciens pour les arrangements. « Je n’ai pas un niveau de malade au piano mais les harmoniques je les connais, et les rythmiques, je les connais. J’ai aussi beaucoup travaillé ma voix même si là, je la repose car je vieillis, je suis davantage à rester dans le silence. La voix change avec l’âge, il faut s’adapter.»
Le combat contre l’injustice
Ce qui ne vieillit pas, c’est la qualité des textes et des musiques. Sur « Les enfants de Maldone« , MeliSsmell a livré onze nouveaux brûlots en résonnance avec son histoire. « « Les enfants de Maldone », ceux sont les enfants de l’injustice par rapport aux autres enfants. Le combat contre l’injustice, c’est ce qui me fait me lever le matin. »
Sur cet album, un titre, « Eldorado« , semble puiser sa source au plus profond de l’artiste. Une interprétation vite démentie par l’intéressée. « J’ai écrit cette chanson pour les échoués de la mer Méditerranée, à l’époque où l’on mettait des tulipes noires sur le bord des plages pour faire un signe à tous les bateaux échoués de la Méditerranée, ces bateaux qui n’amarrent pas dans certains pays. « Eldorado », c’est la France des droits de l’homme. Après, chacun fait son cheminement sur cette chanson.»
Avec les restos du cœur
Pas d’équivoque par contre pour « Bérézina« . Le clip a été réalisé l’occasion d’une maraude avec les Restos du Cœur à Rouen. « J’ai fait quatre maraudes comme celle-ci et on en a filmé une. Lorsque j’étais à Rouen, il y avait le Covid, alors on ne faisait pas grand-chose. J’étais enceinte puis j’ai passé deux ans à pouponner. »
La chanson renvoie à la déliquescence de la société actuelle et pourrait bien devenir une référence à la manière de « Aux armes« , le titre le plus connu de MeliSsmell. « 15 millions de vues sur les réseaux. C’est devenu un hymne pour les Gilets jaunes et les Anonymous. »
« Le plus fort moment de ma carrière »
MeliSsmell a écrit cette chanson au début des années 2010 en mixant L’Internationale et La Marseillaise. « L’idée, je l’ai eue à 8 ans. Je voulais changer le drapeau de la France. Le professeur nous avait donné comme sujet de changer le drapeau français en un drapeau plus européen. Il nous a demandé de quelle couleur nous le voulions, et avec quelle chanson comme hymne. Cela m’a amenée sur la chanson « Aux armes » : j’ai pris « L’Internationale », « La Marseillaise » le, tout sur une chanson des Cranberries, « Zombie », et j’ai créé quelque chose autour de cela. Et je suis allée sur les traces de Jeanne d’Arc, à Strasbourg, écrire cette chanson. Je l’ai ensuite amenée de Strasbourg à Paris, sur la place de la République. En 2017, 150 000 personnes l’ont pris pleine face alors que d’habitude je ne la chantais jamais devant plus de 500 personnes ! Cela a été filmé et cela s’est répercuté jusqu’aux 15 millions de vues.»
Un choc pour le public mais aussi pour l’artiste, interloquée de toucher une aussi large audience. « Je ne l’ai pas vu venir. Trois jours avant, je ne savais pas que j’allais jouer devant 150 000 personnes place de la République ! Cela a été le plus fort moment de ma carrière chanteuse, le plus intense. »
Des parents d’extrême-droite
L’engagement semble donc chevillé au corps de MeliSsmell depuis sa plus tendre enfance. Souvent, les gens portent ces valeurs par engagement familial, surtout dans leur jeunesse. Ce ne fut pas son cas. La jeune fille au contraire dû très vite se démarquer du carcan familial. « J’ai grandi dans un milieu très fermé, avec des parents d’extrême-droite. On n’aime pas les arabes dans ma famille. Je me suis rebellée contre elle, elle avait peur de la différence. Et avait des préjugés pas possible. »
Cette rupture familiale, forcément difficile, forge la rébellion de la jeune artiste. Elle se réfugie dans la lecture, découvre et se nourrit d’écrits anarchistes et de la littérature de gauche.
Hommage à Noir Désir
Logiquement influencée par les grands chanteurs à textes, MelisSmell a également été fortement impressionnée par les groupes français des années 80. Dans son très électrique titre « Pigalle« , peut-être le meilleur morceau du dernier opus, elle rend hommage à La Mano Negra (Manu Chao) et surtout à Noir Désir. Elle cite même dans le texte l’album « Du ciment sur les plaines ». « Pigalle » est un titre à la gouaille alternative, musclé, entraînant et brillant. Un vrai moment fort de « Les enfants de Maldone ».
Le morceau résonne particulièrement aujourd’hui, une époque où Bertrand Cantat est honni par beaucoup. Pas de quoi empêcher MeliSsmell de garder ce chanteur et parolier exceptionnel en haute estime. « Noir Désir, c’est ce qui a bercé mon enfance et mon adolescence. Je suis des années 80/90. J’ai eu 20 ans en l’an 2000, le groupe était au sommet de sa gloire. Je ne peux pas effacer 20 ans de connaissances, de chant et de travail. Je ne peux pas effacer ni Mano Solo, ni Noir Désir, malgré les actes de Bertrand Cantat. Je ne peux pas effacer l’amour que j’ai pour Noir Désir.»
Justement, Detroit, le nouveau groupe de Bertrand Cantat, vient d’annoncer la sortie d’un nouvel album, le deuxième, en 2024. Une bonne nouvelle pour elle : « J’irai le voir en concert, c’est probable. »
Denis Barthe à la batterie
La relation entre certains membres de Noir Désir et MeliSsmell est très forte. Ainsi, Denis Barthe, batteur de Noir Désir, joue sur trois titres du nouvel opus, dont une chanson hommage à Noir Désir, « Joey III« . Les chansons « Joey I » et « Joey II » figuraient sur l’album « Veuillez rendre l’âme à qui elle appartient », le premier album de Noir Désir !
« Je suis fille de rien »
Un soutien inconditionnel pas du tout antinomique avec une forte adhésion aux valeurs féministes. Mais là encore, sa position détonne. « Les gens sont obsédés par #MeToo et cautionnent Darmanin … Moi, je suis un électron libre, je choisis les moments où je dois apparaître et avec qui je dois apparaître. J’ai choisi ceux qui m’ont choisie aussi. Dans les manifs et dans les grèves, qu’elles soient étudiantes ou pour les retraites, on retrouve les Gilets jaunes, les Insoumis, les Anonymous, les Blackblocs, la Nupes, le RN -il y a aussi le RN-. Ma chanson, elle est dans tous ces mouvements et dans tous ces gens, dans tous ces types de société d’en bas, de la classe du peuple. Je suis de la classe du peuple, je ne suis pas des élites, je ne suis pas fille de. Je suis fille de rien. Alors, MeToo ? Est-ce que je me suis fait violer ?Oui, à quatre reprises. Et je me suis fait casser la gueule plus d’une fois par un mec. Je suis plus que MeToo et tout ce que tu veux. Je défends les femmes, je n’aime pas la guerre, celle que l’on se fait entre femmes et hommes. Et je n’aime pas que l’on double condamne Bertrand Cantat. »
« Toutes les poufiasses télévisuelles »
Femme de conviction, Melissmell l’est forcément, fortement même. Elle en a d’ailleurs fait un art de vivre et cela transpire dans ses chansons. On n’écrit pas « Aux armes » par hasard, ni « Bérézina ». Son engagement aujourd’hui se veut aussi politique. « Je suis plutôt de la Nupes car je suis plutôt pour l’écologie, contre la pollution et pour le développement durable et altermondialiste. J’ai été anarchiste communiste mais je n’ai plus de carte. »
Militante d’un monde meilleur au quotidien, elle agit concrètement sur terrain. En chantant pour ambiancer les manifestations avec la CGT ou même en menant des actions citoyennes comme participer à des maraudes ou en menant des actions dans des prisons. « Il faut alors travailler avec des villes, avec les adjoints à la culture. Rentrer dans les prisons, c’est difficile. J’y ai fait des spectacles dans des salles prévues à cet effet. »
Aujourd’hui, Melissmell, revenue de tout, continue de raconter son point de vue politique et philosophique d’une manière très poétique selon une expression « Brelienne et Piafesque ». « Et je ne me minaude pas, comme toutes les poufiasses télévisuelles ! »
Site internet : https://melissmell.art/
Facebook : https://www.facebook.com/melissmell
Disque : MeliSsmell – Les enfants de Maldonne (Dionysiac Records/L’Autre Distribution)
MeliSsmell actuellement en tournée :
Texte et photos : Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)
Il a rejoint l’équipe début 2022 et son corps de métier se tourne vers la scène où il photographie les musiciens en même temps qu’il s’imprègne de leur musique, qu’il restitue son forme de live report hyper pointus.
Ancien rédacteur en chef à Publihebdos, Pat Auffret a également collaboré durant 20 ans avec le magazine Longueur d’Ondes et Rock & Folk. Il travaille régulièrement avec l’agence photo Dalle et ses clichés ont été publiées dans divers journaux nationaux (Le Monde, Les Inrockuptibles, Rock&Folk, …) et internationaux.
Il est aujourd’hui président de l’association dédié au spectacle vivant Out of time.
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