CHUCK PALAHNIUK, Choke (Folio policier)

Chuck Palahniuk Choke

Le mal-être flamboyant.

Il arrive de tomber, dans une boîte à livres (merveilleuse invention), des romans que l’on n’espérait pas ou plus trouver. Souvent en effet, ces BAL ressemblent à une poubelle dans laquelle nous retrouvons moult livres de « stars » du petit écran, livres évidemment sans intérêt dans lesquels, par exemple, Véronique Genest nous parle de sa vie (mais qu’est-ce qu’on en a à foutre ?). Donc, on les retrouve par paquets dans ces boîtes à livres, preuve que cela ne vaut guère mieux que la benne à ordures (ce qui n’empêche pas les maisons d’édition de les signer pour faire du fric, ce qui s’avère un crime contre l’humanité puisqu’on tue des arbres pour ça), mais parfois, une bonne surprise nous y attend. C’est ce qui nous est arrivé en découvrant Choke de Chuck Palahniuk (paru, dans cette édition de poche, en 2010).

Nul doute que l’ironie de la chose aurait fait marrer l’auteur et son personnage central. Répondant au nom de Victor, ce dernier est un sexoolique, un accro au sexe donc, qui n’a pas énormément d’estime de soi (pour ne pas dire que celle-ci est inexistante). Il faut dire que sa vie n’est pas reluisante. Outre son addiction, il travaille dans une sorte de parc à thèmes, un village américain des années 1800 dans lequel le moindre anachronisme est puni d’une mise au pilori. Pour alourdir son quotidien, sa mère, placée dans une sorte de mouroir dans l’attente de sa fin prochaine, ne l’a jamais ménagé, le laissant plus qu’à son tour aux familles d’accueil. Choke raconte l’histoire de Victor, et autant vous prévenir tout de suite, elle dépote !

Un auteur culte.

Il ne vous échappera pas que Chuck Palahniuk est l’auteur du célèbre Fight Club, mis en images par David Fincher et incarné par Brad Pitt et Edward Norton. Cela vous donnera donc la teneur de l’ambiance qui peut régner dans ce livre qui, loin d’être aussi sulfureux que la quatrième de couverture le laisse présager, s’avère un portrait sans concessions d’un homme américain mal dans sa peau, rongé par les vices et par une mère complètement frappadingue.

Pourtant, bon fils, il lui rend visite toutes les semaines dans un hôpital sécurisé, dont aucun patient ne peut sortir. Enfermée, la mère, démente ou atteinte d’alzheimer, ne lui a jamais révélé le secret de sa naissance, à savoir qui est son père. En alternant des flashbacks consternants coïncidant avec les jours de visites, le tout s’incorporant dans la « routine » quotidienne de Victor, Chuck Palahniuk nous attire dans la conscience de ce type ravagé par une profonde mélancolie, homme qui s’étouffe volontairement dans les restaurants pour mendier un peu d’attention et d’amour (et soutirer un peu de fric à ses sauveurs).

Oui, dis comme ça, tout semble un peu brouillon, fou, mais… ça l’est ! Malgré cette inventivité qui semble s’écarteler sur plusieurs pistes de réflexion, et qui ressemble à un joyeux bazar provocateur bourré d’humour caustique, Palahniuk possède une écriture puissante, relativement poétique, et surtout une rigueur qui lui permet de ne jamais se perdre (ni nous perdre). Résultat : impossible de lâcher ce roman magnétique avant d’avoir tourné la toute dernière page.

Les thèmes.

Au début de Choke, nous pensons que nous suivrons le parcours de Victor dans des scènes de sexe pour le moins scabreuses. Le premier chapitre va dans ce sens, tout sachant rester relativement soft (histoire de ne pas nous faire fuir d’entrée de jeu). Cependant, très vite, c’est le rapport avec la mort, celui de la relation mère-fils, et surtout celui d’un mal-être existentiel profond qui ressort. Victor s’est construit sur un « abandon », celui d’une mère activiste, que l’on découvre véritablement cintrée, qui séjourne régulièrement en prison pour de la petite délinquance (enfin jusqu’à ce que la révélation finale nous soit dévoilée).

Placé en famille d’accueil desquelles Victor, enfant, se fait régulièrement kidnapper par sa mère avec qui il part en virées, il est tiraillé entre l’amour et la haine de celle-ci. Dur de se construire correctement, pourtant, à l’âge adulte, il lui rend visite dès qu’il le peut, dévoué comme seul peut l’être un enfant unique vis-à-vis de son seul parent. À l’hôpital, il rencontre une doctoresse de laquelle il tombe amoureux, femme pour laquelle il n’arrive pas à bander. Il faut dire que cette dernière lui demande de lui faire un enfant.

Cela fait disjoncter le compteur de cet homme pourtant habitué au sexe sans amour, mais l’idée de procréer le bloque, tout comme le fait de se savoir amoureux (ce qui se comprend aisément vu son parcours de vie). Cette rencontre inédite autant que fortuite précipite toute la folie qui découle par la suite.

Un portrait de l’Amérique d’aujourd’hui.

Vie, mort, santé mentale, tout s’entremêle. Car rien n’est véritablement ce qu’il semble être, ni cette doctoresse, ni la mère de Victor, ni son ami Denny (est-il réel celui-là ? La question nous poursuit bien après la lecture du livre), ni Victor lui-même. Car là où nous aurions pu voir le portrait d’un cas social, ce qu’il est foncièrement, nous découvrons un homme à la psychologie fragile, un homme qui cherche des réponses, un homme n’étant pas à la place à laquelle il devrait être.

Ses observations sur le monde, sur lui-même, cette remise en question permanente, rendue encore plus pressante lorsque la doctoresse lui dit avoir décrypté le carnet intime de sa mère, rédigé en italien, recélant le secret de sa naissance. Nous nous attachons fortement à lui alors que tournent les pages et que se détricote son histoire. Pourvu d’une intelligente émotionnelle forte, il déballe son spleen sur 380 pages, pointant, au-delà de sa simple personne, un état des lieux d’une Amérique en manque de repères (une fois l’ultra consumérisme consommé, sans mauvais jeu de mots).

La plume de Chuck Palahniuk fait des étincelles. Outre son incroyable fluidité, son flow nous poursuit longtemps. Des répétitions stylistiques surgissent régulièrement, symbolisant une forme de folie légèrement torturée, comme un tic nerveux, celle d’un type à bout, qui radote pour lui-même, avant que le burn-out le saisisse. On sent une urgence, allant crescendo tout au long du roman, qui nous électrise et nous maintient sur les nerfs.

Humanité dévoyée.

Derrière ses aspects provocateurs, Choke s’avère au contraire un livre plein d’humanité, même si celle-ci est malmenée, dévoyée, brutale. Paradoxalement, ce qui nous reste, après lecture, c’est cette poésie ardente, n’étant pas sans nous rappeler, dans une certaine mesure, celle de Bukowski (sans toutefois atteindre ce niveau de « détachement », probablement parce que le narrateur n’est pas Palahniuk himself). Sans être un chef-d’oeuvre, ce roman reste une photographie ultra pertinente du monde dans lequel nous vivons, un monde qui court à perdre haleine sans réellement avoir de but. Choke est néanmoins une bonne claque, à la fois stylistiquement et dans ses thèmes, à conseiller à ceux qui aiment les romans désespérés et noirs.

Patrick Béguinel

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