ERWAN BARGAIN, garder son âme d’enfant.
Chronique d’ouvrages jeunesses d’Erwan Bargain.
S’il est un fil conducteur que nous retrouvons dans les ouvrages d’Erwan Bargain, c’est celui de la différence, exprimé par un homme qui n’a jamais perdu son âme d’enfant de vue. Avec tact et élégance du verbe, il nous plonge dans de petites histoires, écrites à l’intention des plus petits, où la différence et la conscience sont mises en avant avec délicatesse.
Le public jeunes lecteurs est exigeant. Tout le monde ne peut prétendre à satisfaire l’appétit dévorant de nos chères têtes blondes, appétit fait de découvertes, d’imaginaires débordants et de sentiments grands comme le cœur pur et vierge de toute méchanceté de nos bambins. D’ailleurs, certains s’y cassent les dents, faute à un vocabulaire adapté, ou pensant simplement que, parce que le lecteur a entre 5 et 10 ans, il faut lui parler comme à un bébé.
Or, c’est de tout autre chose dont il est question. La langue doit être belle, porteuse de message dont la ligne doit être dégagée de toute métaphore absconse. Parler simple ne signifie donc pas parler mal. Dans ses ouvrages jeunesse, Erwan Bargain parle juste, exprimant ce que, enfant, ou adolescent, il percevait du monde qui l’entourait.
Douleur.
Erwan Bargain a vécu des moments difficiles, au collège, lorsqu’il a intégré celui de sa nouvelle ville. Harcelé par ses camarades de classe, il en garde une marque indélébile, de celles qui jamais ne s’effacent totalement de la mémoire. Alors, pour s’en défaire, il commence à écrire, à cet âge dit ingrat. De la poésie. Et puis, de fil en aiguille, l’écriture devient évidence, faisant de lui l’auteur qu’il est aujourd’hui.
À son image, ses personnages, pour partie, souffrent eux aussi de cette différence. Nous vous avions parlé de L’étrange pouvoir d’Hector dans une précédente chronique, ou de cette histoire de son recueil Trois histoires de cœur (tous deux publiés chez Ex Aequo) Coeurling. Dans la première, Hector « peut » se rendre invisible. Rongé par la timidité, ce pouvoir s’avère incroyable car on l’oubli alors lors des interrogations orales en cours, et dans la cour de récréation où les petites frappes l’embêtent. Dans Coeurling, Ethan, amoureux de Louanne, décide de pratiquer le même sport qu’elle, à savoir le Twirling. Forcément, un garçon qui exerce ce sport s’expose à des railleries. Mais l’amour a ses raisons…
Dans cette même veine portée sur la différence, dans De beaux draps, paru chez Le pré au plain, il nous parle d’Elliot, fantôme apprentis, qui ne voit pas d’un bon œil le fait d’effrayer des gens, à plus forte raison des enfants, qui ne lui ont rien fait. Il se trouve ainsi cancre de la classe, risée des petits monstres en puissance répondant à la doctrine on ne peut plus clair de Miss Error, leur professeur qui dit « un bon fantôme est un fantôme qui fait peur ». Alors que la fin d’année approche, Elliot doit aller effrayer un petit garçon, sous peine de redoubler son année et subir les foudres de son père, le terrifiant James.
Espoir et amour.
Ainsi, rongé par les doutes et la peur de devoir affronter son père, Elliot est bien obligé d’aller effectuer sa mission. Mais, contre toute attente, elle le mettra sur la voie qui est la sienne. Ce petit livre parlera aux plus jeunes, non seulement par le thème du fantôme qui s’avère universel (et dont nos petits, qui aiment se faire peur, raffolent) mais également par le message qui en découle. La langue y est belle, dégage une poésie dans un premier temps teintée de tristesse, mais qui peu à peu devient légère, jusqu’à disparaître totalement. Le personnage d’Elliot est attachant, tout comme peuvent l’être ses amis. Dur de ne pas succomber à cette histoire à partir de 6 ans (nous l’avons testé sur un enfant plus jeune, ça fonctionne aussi, si l’on prend la peine de lui expliquer certains mots « compliqués », mais adapté aux enfants un peu plus âgés).
Si les thèmes de la différence sont souvent racontés par notre auteur du mois, il évoque aussi certains clichés qui ont la vie dure, ou des histoires sur des personnages pris dans un système de pensée normatif pesant. Ainsi, dans Trois histoires de cœur, Achille vivait dans un pays où les garçons ne pleuraient pas, du berceau jusqu’à la mort. Il remet le couvert dans Lettres à rêver (également paru chez Le pré au plain).
Dans un royaume vivait un roi, Théodorus, « qui n’aimait rien ni personne et régnait en véritable tyran sur son royaume que le bonheur avait depuis longtemps déserté. » La joie était donc proscrite et tous les habitants de ce royaume s’y étaient résignés jusqu’au jour ou Isidore Plicite, un homme mystérieux, un peu comme un marchand ambulant, vint en ville et changea radicalement la vie des habitants en leur offrant, contre un logement pour la nuit ou des victuailles, d’étranges lettres à rêver.
Le pouvoir de l’imaginaire.
Celles-ci devaient permettre aux femmes et aux hommes du royaume de se remettre à rêver et ainsi de (re)découvrir ce qu’est la joie de vivre. Ce qui, forcément, ne plaît pas à Théodorus. Il est ici question du formidable pouvoir de l’imaginaire, sur ce qu’il procure aux Hommes qui, parfois perdus dans leurs obligations, en oublient que la vie n’est pas que l’injonction métro boulot dodo.
Dédiés aux enfants un peu plus grands, ce conte s’adresse également à leurs parents. Pour une fois, les « petits » pourront faire la morale aux « grands » en leur rappelant que, peut-être, leurs rêves d’enfants n’étaient pas d’être directeur d’un cabinet de ressources humaines, ou PDG d’une multinationale dévastant des forêts, ou autres. Le vocabulaire y est riche, la langue fluide et ce petit livre évite justement, comme tous les romans jeunesse d’Erwan Bargain, le message moralisateur pur et dur. Les formes y sont, jamais pétries de bon sentiments dégoulinants. Si nous y voyons une légère morale, elle est toujours dosée avec justesse.
Le point commun de tous ses livres, comme dans le roman Bande de Sauriens et Old school que nous vous chroniquerons en début de semaine prochaine, c’est que l’âme d’enfant d’Erwan Bargain est mise au service des plus petits, afin que ceux-ci puissent appréhender le monde sans justement perdre la leur. Et, honnêtement, nous ne voyons rien de plus noble et généreux que ce partage à travers des personnages dont la magie réside dans le fait qu’ils sont plus ordinaires que nature. Bref, des livres à mettre dans toutes les petites mains.
Relire la chroniques de ses trois ouvrages jeunesses
Relire la chronique de Zombies, des visages des figures.
relire son portrait
Interview d’Erwan Bargain diffusée sur Radio-activ 101.9 FM le 05/05/21 dans l’émission B.O.L
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