YVES JARVIS, The zug (disponible chez ANTI-)

yves jarvis the zugCréativité débordante.

Comme toujours avec Yves Jarvis, il faut s’attendre à être bousculé. Avec The zug, l’artiste canadien nous montre encore l’intensité de sa folie créatrice, capable de purs éclairs de génie, de fulgurances mélodiques et d’expérimentations acidulées. La seule constante entre ce disque et son prédécesseur, c’est la voix de l’artiste. Elle se reconnaîtrait entre mille, par sa douceur, par ses jeux de construction également car Jarvis n’hésite jamais à la manipuler, comme pour mieux aller à l’os de la sensibilité qu’il cherche, et parvient, a exprimer à merveille. Nous pensons toujours un peu, en l’écoutant, à Frank Zappa, ce que ne démentirait pas un morceau comme You offer a mile (tant musicalement que par cet enchevêtrement vocal).

Autre constante, plus technique celle-ci, qui lie les œuvres de Jarvis les unes aux autres : il fait tout lui-même : instrumentation, réalisation, artwork, il gère tout seul, ce qui lui donne une totale liberté de mouvement. Ainsi, il ose les morceaux purement introspectifs et les incartades avant-gardistes, parfois au sein d’un même titre. Si l’ensemble peut paraître disparate sur la durée d’un LP, le soin méticuleux apporté aux sonorités fait qu’il enchaîne chaque titre à son précédent/suivant, sans perdre en cohérence ou en identité (nous avons même l’impression d’écouter un seul et unique morceau qui durerait le temps de ce disque, comme un patchwork articulé autour de la même pensée).

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Douceur.

Quand nous entendons une musique produite par Yves Jarvis, le premier réflexe est de nous dire que la douceur l’imprègne. Sans doute parce que les instruments acoustiques y déposent des mélodies rassurantes (Bootstrap Jubilee), renforcées par cette voix jamais agressive, mais toujours totalement expressive. Parfois susurrée, murmuré, elle est aussi capable d’une présence charismatique. Elle est pour beaucoup dans le charme dégagé par The zug qui ne se contente jamais de tirer sur la même ficelle pour nous émouvoir.

En effet, le disque s’avère d’une incroyable richesse, mélangeant, à sa manière, instruments analogiques et électroniques, instruments acoustiques et bruitages divers (peut-être sont-ils joués sur des instruments jouets?). Des collages surviennent ici où là, nous donnant l’impression de retrouver les géniales inventions d’un groupe, aujourd’hui relégué aux oubliettes, comme The Beta Band. Ces collages sont autant de superpositions qui nous font chavirer dans un monde à part, léger comme il peut être grave, mais toujours excessivement coloré.

Dur de dire s’il s’agit de pop, de folk, de rock, de psychédélisme, de hip-hop, d’électronique, soul ou funk, The zug est tout cela à la fois. Il est aussi transe, plongée dans une psyché curieuse de tout et avide de retranscrire au plus près l’émotion, les tourments, les joies de leur auteur. En nous prenant à contre-pied constamment sur le disque, Yves Jarvis nous demande d’être attentif, de nous concentrer uniquement sur sa musique. En le faisant, nous nous affranchissons des diktats extérieurs, quels qu’ils soient, pour nous perdre dans sa créativité. Mais plutôt que de nous laisser nous dépêtrer seuls avec son art, Jarvis nous accompagne par sa tracklist très bien pensée.

Tourbillon de sensation.

Ainsi s’enchaînent les titres, avec une frénésie qui ne trouve jamais de point mort pour venir en entraver la bonne et exubérante marche. 14 titres pour à peine plus d’une demi-heure de musique, le plus long titre étant de 3 minutes et 40 secondes (ils sont uniquement deux à dépasser les 3 minutes). Pourquoi ce choix ? Probablement parce que Yves Jarvis capte au vol ses sensations, ses émotions et qu’il tente d’en reproduire l’inédit de manière instantané, de peur de voir se faner la magie de l’instant.

Comme un poète, il accouche de ses impressions dans des pièces parfois surréalistes, mais toujours, et paradoxalement, concrètes. Il pose aussi ses constats dans des pièces évidentes. Entre les deux, la porte est ouverte à toutes les facéties, autant vocales qu’instrumentales. Ainsi, The zug lorgne parfois le baroque et l’opéra (les 2 titres qui referment l’album, Projection et To that end en sont des manifestations probantes), le mouvement dadaïste, la pop pure et dure, mais sans jamais se situer en donneur de leçons.

Humilité et expression de soi.

Comme tous ses autres disques, dont le superbe The same but by different mean, Yves Jarvis propose avec The Zug une réflexion sur les sentiments qui nous animent, ainsi que sur les relations que nous entretenons avec les autres (et avec nous-mêmes). Humble, sans grandiloquence (il aurait aisé d’être grandiloquent tant son disque aurait pu se le permettre), il propose un album complexe mais d’une incroyable beauté. Il suffit, pour cela, d’éteindre un peu tous les perturbateurs endocriniens de la pensée dominante et écrasante. Autrement dit, mettez juste le disque sur votre platine, fermez les yeux et embarquez vous dans l’univers de The zug sans vous ménager. Sa beauté devrait vous terrasser, aussi certainement qu’elle nous a ébranlé.

Il faut cependant préciser qu’il faut bien 3 ou 4 écoutes pour commencer à démêler les fils de la pensée d’Yves Jarvis. Certains pourraient même juger l’oeuvre un peu brouillonne. À ceux-ci nous rétorquerons que, tel un architecte, Yves Jarvis agence ses idées au millimètre, toujours dans un but ultime de restitution au plus près du vécu. Alors, il conviendra aux dubitatifs de concéder à un petit effort, effort qui trouve sa récompense dans tout ce que le disque fait naître en nous.

LE titre de The Zug

Petit crush pour Enemy. Pour son apparente simplicité. Reposant sur quelques bidouilles R2D2esques en base musicale, reposant sur une rythmique elle aussi légèrement « robotique », Jarvis pose sa voix, plus belle que jamais. Un côté très organique se ressent sur le choix des tessitures sonores, sur les cut-up qui nous placent dans un dynamisme très dansant. Le titre, parmi les plus courts du disque avec ses 2 minutes et 20 secondes laisse pourtant une forte empreinte sur nous. Et révèle assez fidèlement la patte Jarvis, entre instantanéité pop et expérimentation douce. Notons aussi la mention très bien au titre Stitchwork, monumental lui aussi, dans un genre plus intimiste (et mélancolique).

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