WU-LU, Loggerhead (disponible le 08/07 chez Warp Record)
Fouler le pavé des oubliés.
Ce premier album de Wu-Lu est un manifeste. Pour qu’enfin les invisibles deviennent ou redeviennent visibles. Le musicien et producteur londonien propose un disque qui brouille les frontières, toutes les frontières, à l’heure où celles de tous les pays semblent étrangement se refermer sur elles-mêmes, niant toute notion de fraternité. En combinant hip-hop et grunge, musique urbaine légèrement gothique et une forme de jazz industriel, ce disque ouvre ses chakras et se veut une bande originale destinée à inspirer et à encourager.
« Fais attention à ce que tu souhaites car cela pourrait se réaliser », voilà les premiers mots clairement audibles sur le disque. Comme une mise en garde, un premier pas esquissé vers une émancipation n’étant pas sans danger. Prendre la parole, ok, mais se heurter au système, c’est une autre histoire. Pourtant, tout le monde porte en lui l’espoir d’améliorer sa condition.Mais à quel prix ?
Hip-hop et corde.
Take stage ouvre l’album, le mélange d’esprit hip-hop et boucle de cordes donne une base plutôt classe à Wu-Lu pour poser son chant mi détaché mi impliqué, comme pour continuer sur l’ambiguïté. Est-il un gangsta ou un prêcheur ? Le bon ou la bute ? Sans doute un peu les deux, car l’Homme est multiple, et le musicien l’est tout autant. Tout son album ressemble à la restitution, malaxée et mélangée par ses soins, de tout ce que Wu-Lu a pu emmagasiner de sons depuis toujours, entre culture de la rue et rêve d’une société plus égalitaire.
Nous y retrouvons donc un fort parfum indé, qui se traduit par une production très intime, comme pourrait l’être un salon enfumé dans lequel se retrouvent quelques potes après une journée passée à bosser à l’usine (au mieux) ou a zoner (au pire, quoique…). On s’y sent bien, dans cette production, même si ces contours sont tranchants. On y retrouve une esthétique à mi-chemin entre le grunge et le hip-hop, entre une ville industrielle imposante et intimidante comme Détroit et une ville jadis corrompue comme Chicago.
Les images pleuvent, mais ne sauraient réduire la musique de Loggerhead à un album Panini. Sans doute parce qu’il s’auto-émancipe des clichés, nous sort un spoken world pas tout à fait parlé, pas clairement chanté, mais dans un interstice entre les deux qui lui donne assurément du chien. Les rythmiques drum n’bass affrontent la douceur de quelques notes de piano sur Facts (feat.Amon), lesquelles lui donnent un peu d’humanité tant le chant et la boucle semblent au bout du rouleau. Les éclairs de guitare électrique, en fin de titre, sont eux aussi sépulcraux et n’osent libérer l’auditeur de son fardeau.
Frustration/libération.
Scrambled Tricks, et surtout South (feat.Lex Amor), sera son cri libérateur. Wu-Lu vire indus, d’une certaine manière, éprouve jusqu’à l’os nos convictions, et les siennes, mais nous libère d’un poids. La rage est là, elle s’exprime, n’est pas refoulée, alors tout reste possible ? Oui, le pouvoir appartient à ceux qui osent s’exprimer, refuser la case dans laquelle on les enferme. Il suffit juste de faire voler les parois de la cage, reprendre ce qui nous appartient, à savoir notre dignité.
Les sonorités sont étrangement désincarcérées, comme si elles exprimaient la dualité entre réalité et possibilité. Un aspect métallique orne l’album, lui confère une touche froide, malgré la chaleur de certaines voix, dont les contours sont souvent rendus impalpables, lors des introductions de certains titres ou de passages particuliers de ceux-ci, comme provenant des restes d’un mauvais rêve.
Si l’ambiance est assez oppressante, du fait d’un côté ramassé et d’un lyrisme totalement absent, elle laisse cependant passer la lumière (le piano évoqué plus haut, les voix féminines et surtout des arrangements inspirés). On ressort ébranlé de Loggerhead, parce qu’il brûle d’une énergie dingue, celle des oppressés, celle des laissés-pour-compte qui espèrent bien qu’un jour la vie leur sourira.
Coup de poing.
Entre le coup de poing et le coup de main, on sent dans Loggerhead une volonté d’aider, d’aimer son prochain. Punk et révolutionnaire dans l’âme, le disque l’est aussi dans sa forme. Rarement nous avons entendu un disque si ambitieux dans sa volonté de séduire un pan de la société plus qu’une frange d’auditeurs lambda. Ouvert sur la rue, on sent en Wu-Lu la volonté de se mettre au niveau de ceux qu’il défend, mais également la volonté de rester fidèle à ses valeurs humanistes.
Ce disque n’est pas une révélation. Il est plus surement la photographie d’une société perdue, dégoutée par son histoire, mais prête, comme le phénix, à renaître de ses cendres et à bâtir un futur sur des bases enfin assainies.
LE titre de Loggerhead.
South fait indéniablement des titres les plus forts du disque. On aime cette charge libératoire hurlée de façon totalement désinhibée. Mais d’autres morceaux valent tout autant le coup. Parmi eux, on note Calo Paste (feat.Léa Sen) et son univers proche de la pop, ou bien encore Blame et sa rythmique enlevée qui nous rappelle certaines productions jazz. Enfin, Take Stage qui ouvre l’album et en donne les couleurs mérite aussi largement d’être cité.