TAGO MAGO, Traversée Sauvage
1er album disponible.
5 titres suffisent pour créer un voyage aux frontières de contrées fantastiques, mystérieuses, parfois angoissantes, parfois lumineuses. Avec une batterie, des claviers, pléthore d’effets psychédéliques et des voix qui sont tous sauf anecdotiques, Traversée sauvage du duo rennais Tago Mago impose sa puissance et sa grâce avec une musicalité forgée dans le jazz et le rock expérimental des années 70.
Le son assaille nos tympans d’emblée sur le morceau qui donne son titre à l’album. Il est crade, donne l’impression de friser en haut de crête, de dérailler dans des effets non voulus (ce n’est évidemment pas le cas). Il impose, ce son, un climat de mystère, de danger.
Ce son gagne, par son ampleur, toute la place disponible. Pourtant, le duo ose les silences, n’a pas peur de laisser les notes s’éparpiller dans celui-ci. Remplir pour remplir, aucun intérêt, Tago Mago laisse libre à chacun d’interpréter les « blancs » comme bon lui semble. A la différence d’un autre duo clavier/orgue batterie (Moundrag pour ne pas les citer), Tago Mago nuance ses propos, ses attaques, ses ambiances, pour une immersion totale dans sa musique.
Des images.
Ainsi naissent, sans crier gare, mais un peu inspirée par une pochette éloquente, des images de jungle impénétrable dans laquelle nous nous réveillerions sans savoir comment ni pourquoi nous nous retrouvons là. Munis de simples machettes, nous tentons d’avancer dans les méandres de pièges végétaux, pour retrouver un soupçon de civilisation.
Sur notre route, un temple que n’aurait pas dénié explorer un Indiana Jones au mieux de sa forme. Par sa narration progressive, laissant parfois place à une forme de fureur contenue, Tago Mago pénètre cet antre chargé d’histoires, de légendes, de malédictions. Nous la ressentons, cette ambiance plombée, par un jeu de piste sensoriel excité par un thème qui se développe sur deux faces et 5 titres, avec des introductions soignées, très sensuelles (qui éveillent les sens donc) et cinématographiques. Elles posent les bases de ce qui arrivera par la suite, avec douceur mais aussi, certaines fois, par des déflagrations particulièrement rageuses et explosives.
Puissance narrative.
Il ne fait aucun doute qu’à l’écoute de Traversée sauvage le duo a voulu nous conter une histoire. Une histoire presque instrumentale à 100%. Car, de voix, il y en a peu, et de paroles encore moins, sauf sur le pénétrant Berçeuse. Pourtant, cette économie de mots et de voix ne s’avère nullement un obstacle, ni même une anecdote dans ce disque. Les vocalises, contrairement à ce que l’on pourrait penser, sont des pivots, des points d’appui, des tremplins vers une progression de l’intrigue, des révélateurs de sensations, d’impressions.
Elles accélèrent les battements du cœur, ou l’apaisent, donnent pied à un réconfort ou amplifient un effet. Nul besoin d’en faire des tonnes, mais sans ces vocalises, l’histoire n’est pas la même, elle perd de son efficacité, de son aura. Elles dégagent, elles aussi, un côté sauvage, viscéral, profondément enfoui dans cet amas de lianes entremêlées. Ou dans un cauchemar terrible dont seule la voix de « papa » réussit à gommer les aspects terrifiants. Berçeuse, en effet, vient nous réconforter au milieu d’un tourbillon de sonorités haletantes.
Fortement présente (par touches) sur TerreNerf, par ses vocalises, la voix calme le déluge de note qui émane de la musique de Tago Mago. Le duo se fait plus aérien, impose une forme de félicité, comme si, dans ce cauchemar nous parvenions à vaincre une peur et qu’une récompense s’imposait à nous. Suit donc Berçeuse, seul morceau véritablement chanté, seule parenthèse construite comme une chanson « classique ». Tempo lent, quasi absence de rythmique, le titre porte bien son nom. On pense à G.W Sok (qui œuvre avec Oiseaux Tempête) dans ce côté étrangement chamanique, mais contrairement à ce chanteur, nulle prophétie. Simplement un chant, réconfortant, à sa manière.
Une fin de film catastrophe.
Le son ne varie pas d’un iota, mais son utilisation ne cesse de grandir. Ainsi, le côté « granuleux » de celui-ci s’avère doux sur l’exception Berçeuse mais retrouve une emprise inquiétante sur le flippant Trop pris. Les vocalises, une nouvelle fois, ne sont pas en reste car, fantomatiques, elles nous font dresser les poils sur les bras. Renforcé par un groove absolument génial (présent du début à la fin du disque cela dit), le titre s’avère dansant et impacte grandement nos os.
Mais ce n’est rien face à Autobahn LSD qui, malgré son patronyme, ne renvoie pas (trop) à Kraftwerk mais montre au contraire une fureur qui ne demande qu’à s’exprimer. Morceau purement explosif, il nous terrasse, nous cloue au sol et donne suite à un Captain Kurk déjà pressant. Il y a toujours une urgence dans la musique de Tago Mago, celle de sortir du ronron, d’appréhender la nouveauté comme une aubaine et non comme une crainte.
En nous plaçant face à notre imaginaire (comme seules les musiques instrumentales permettent de le faire), Traversée sauvage impose ses images. A nous d’en faire bon usage et de nous laisser guider par le talent de conteur, presque muet, de Tago Mago tant sa musique parle, elle, à tous.
Patrick Béguinel