PATRICIA CIROZAT, Le diable est blonde

le diable est blonde Patricia cirozat

Roman paru chez MVO éditions

Un accident sur le périphérique bordelais. Un poids lourd percute une femme. Dans le fracas des tôles s’écrasant les unes contre les unes, le chauffeur routier voit dans son rétroviseur une jeune femme blonde accompagnée de son ours en peluche sur un pont surplombant la chaussée. A-t-elle jeté cette femme ? Pour lui, aucun doute, elle est responsable. Et pour lui, aucun doute là-dessus non plus, Le diable est blonde.

Avec ce roman aux allures de thriller, Patricia Cirozat nous offre un livre à tiroirs, un presque huis clos se déroulant en hôpital psychiatrique dans lequel elle explore la psyché de cette jeune femme, celle du chauffeur routier dans une moindre mesure, et nous démontre les mécanismes qui se mettent en place suite à un drame.

Maltraitance et conséquences.

Ce diable blond ne l’est pas devenu par hasard. Mais était-elle prédestinée à cela pour autant ? Jamais elle ne nous explique ses motivations, mais, en nous racontant son histoire, Olympe (c’est son nom) nous place face à une horreur concrète. La peur, la douleur, le ressentiment, la haine, tout est déballé avec une froideur presque clinique.

Les phrases de l’autrice sont souvent à la tournure passive. Cela amplifie le caractère subit de ce que la jeune femme vit. La manœuvre est habile, tout autant que délicate. Mais avec tact et délicatesse, Patricia Cirozat parvient à développer, progressivement, son intrigue. Tout y passe, notamment les façons de se projeter en propulsant son âme dans un objet apparemment anodin. Il s’agit ici d’un ours en peluche, témoin diabolique, tout aussi muet qu’Olympe, qui protège et projette aussi les envies de la jeune femme.

Ce duo pour le moins atypique s’avère relativement frappadingue. Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de les plaindre, de les prendre sous une quelconque chape protectrice. Ce qui arrive à Olympe ne devrait arriver à personne, et l’on comprend aisément que son cerveau ait pu vriller. Est-elle responsable ? Si la réponse est clairement oui, elle est tout aussi clairement non, le jeu des circonstances atténuantes entrant en pleine ligne de mire.

Une mise à distance.

En utilisant la première personne du singulier dans les chapitres consacrés à Olympe et le vouvoiement quand elle décrit ce que traverse le chauffeur routier, Patricia Cirozat nous rend témoin direct des pensées de chacun. Nous sommes même pris à partie dans le cas du chauffeur routier puisque ce qui résulte du vouvoiement est une personnification directe de ce personnage à nous autres lecteurs.

Le drame, ici aussi, à ses conséquences directes, des douleurs de l’âme a priori inextinguible. Mais dans le cas de ce chauffeur comme de celui d’Olympe, c’est une infinie solitude qui nous accable, celle de deux êtres malmenés par l’existence. Aucune capacité à exprimer ce qu’ils ont vécue, aucune manière de s’en sortir, le mal profond les rongeant ne trouvant aucune porte de sortie pour leur laisser le moindre repos.

Leur déchéance psychique, progressive, nous est décrite avec précision (presque maniaquerie), pour autant le rythme n’en souffre pas. L’écriture de Patricia Cirozat, tout en boucle allant s’élargissant, tandis que ces mécanismes proches de l’autodestruction ne cessent de se resserrer, possède la force d’une danse. On est ballotté d’une émotion à l’autre, allant de la révolte à la colère, en passant par la compréhension et la condamnation. Nous sommes acteurs, et ce que nous voyons de nous-mêmes nous heurte parfois.

Une réalité.

Même si Le diable est blonde peut ressembler à un fait divers, il évite les facilités racoleuses. Néanmoins, il reste une réalité probable. Nous ne savons pas ce qui se passe chez nos voisins, nous ne savons pas comment nous réagirions si nous venions à percuter une personne sur la route. Patricia Cirozat nous donne ici sa vision de la chose, et force est d’admettre qu’elle vise juste. Et c’est glaçant.

Enfin, son ultime pied de nez consiste peut-être à avoir nommé son personnage principal du nom du domaine des dieux, elle qui s’avère être une personnification du diable pour le chauffeur routier. Cela ne fait qu’accentuer le fait que si nous avons un destin (si tant est qu’il existe), nous en sommes tout de même responsables. Le diable est blonde, saisissant, pourrait bien nous hanter un moment, et nous faire voir la rubrique fait divers des journaux d’un œil nouveau.

Patrick Béguinel

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