MARC MEGANCK, Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot

Marc Meganck Le jour où mon père n'a plus eu le dernier motParu aux éditions fdeville

Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot, de Marc Meganck, nous embarque pour un périple sur la route, maritime, empruntée jadis par les pêcheurs à la morue et mise en mots par Pierre Loti dans son roman Pêcheurs d’Islande. Ce périple sera le moyen pour William Braecke de tenter de comprendre les mots énigmatiques prononcés par son père, lors des funérailles de sa mère.

Mais comment rattraper 40 ans d’une relation conflictuelle durant laquelle le garçon, puis jeune homme, puis homme, aura sans cesse été rejeté par ce père raciste, hargneux, d’une froideur exemplaire et implacable ?

William place peu d’espoirs dans cet ultime voyage qui, peut-être, les rapprochera finalement ?

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Les liens du sang.

Dans ce livre, c’est le noir qui prédomine, le noir d’une insécurité affective totale qui, dès les premières lignes, saute à la gueule du lecteur. En trois ou quatre lignes, le ton est donné. Il sera celui de la peur, du rejet, du manque sidéral d’un tant soi peu de tendresse et de considération. De la misère (sociale, intellectuelle) aussi, car celle-ci est un ciment plus solide que celui qui bâtit des barres d’immeubles.

Le cadre est planté très vite. Les phrases sont lourdes de cette gangue de douleur intime, pas vraiment exprimée envers les membres de sa famille, faisant de William une victime consentante contre son gré. Pas étonnant qu’à 40 ans passés, il soit perclus de douleurs physiques qui le plient en deux. Malade, il propose à son père, cet inconnu, un ultime voyage, pour tenter de comprendre pourquoi. Un pourquoi global, mais aussi peut-être, un espoir de recoller ce qui n’a jamais existé.

Nous faisons donc la connaissance du narrateur, William Braecke, Écrivain et paléontologue, venant tout juste de rompre avec Anaïs. C’est l’élément déclencheur qui le pousse à tout quitter le temps de ce périple qui retracera, à sa manière, celui des Pêcheurs d’Islande, l’un des rares livres lu par Kasper, son paternel (que l’on rapproche volontiers du simple géniteur car de père, il n’en a véritablement que le nom). L’idée s’impose donc à William d’obtenir des réponses, idée de voyage qu’il parvient à imposer à son père. Cependant, dès l’annonce de ce projet, le ton hargneux du père laisse présager l’échec de l’entreprise. Nous vivons, comme William, le caractère très aléatoire du voyage qui peut s’arrêter aussi vite qu’il a démarré.

Une écriture pesante.

Marc Meganck (auteur de nombreux romans, polars, nouvelles et essais) opte pour une écriture d’où ne filtre aucune lumière. Que le narrateur qu’est William évoque son passé révolu avec Anaïs ou qu’il décrive ce qu’il vit au jour le jour sur les différents navires qui le transporte d’une côte à l’autre avec son père, tout reste embourbé dans un spleen épais comme un ciel lourd de nuages. Aucune éclaircie ne survient, jamais, ou bien, quand elle semble sur le point de percer les nuages, les douleurs le courbe au point qu’il touche terre. Quand ce ne sont pas les quelques mots du père qui le couchent comme une rafale de directs en plein visage.

Il y a peu de dialogue dans le roman. Très peu. Ils représentent à merveille ce poids qui sépare les deux hommes, leur manque de communication insupportablement douloureux. Ce père et ce fils se font une guerre muette, conséquence pour l’un et l’autre de mots n’ayant jamais été exprimé avant. En gros, l’un « ne savait pas », tandis que l’autre « ne sait pas ». Les années ont brisé la confiance du fils envers ce père qui crie partout la honte qu’il a de ce rejeton qui a osé salir son nom en l’inscrivant sur une couverture de livre. Ce fils qui n’a jamais été aimé, n’a jamais fait véritablement parti de la famille en opposition avec le « bon » fils, Didier, son frère aîné, qui a tout fait comme le père et n’a jamais rien remis en doute.

L’impression est que William débarque d’un autre monde, qu’il est tombé dans cette famille par erreur, une famille dénuée d’amour pour lui, dénuée de tendresse, dénuée de considération pour l’enfant qu’il était. Une famille comme beaucoup d’autres malheureusement.

La puissance du manque.

Avec une plume aussi magnifique que dure, Marc Meganck creuse son sujet avec force. Lourde, pesante, elle traduit de façon totalement convaincante la douleur du fils, qu’elle soit physique ou morale. Lourde dans le sens mais légère dans la forme, elle possède, cette plume, un caractère frondeur incessant, décrit une quête de vérité criante qui peut nous laisser K.O.

Ce road trip, qui restitue par de brèves descriptions percutantes les ports d’attache sur lesquels débarquent les deux protagonistes, s’attache aussi à traduire les errances de William dans sa vie d’adulte, rongé par l’alcool et la douleur, mais aussi de son incapacité à se fixer avec une femme. Sans doute cela est-ce dû à ce schéma parental dysfonctionnel qui l’empêche d’avancer ? En progressant dans l’intrigue, le désespoir se fait encore plus présent, la noirceur plus intestinale. Marc Meganck enfonce le clou avec une fin tout aussi malsaine, qui nous laisse dans une forme d’expectative qui nous crierait « mais tout cela est-il réel ? » aussi bien que « tout ça pour ça ? » (dans le sens où nous aurions aimé autre destin à ce narrateur auquel on s’attache inexorablement).

Puissant, ce roman profondément humain met en relief ce que le manque d’amour peut créer de mauvais chez un homme. Les Beatles chantaient All you need is love et force est d’admettre que celui-ci est source de toute guérison, comme son absence peut être source de tous les maux. Et c’est ce que prouve à merveille cet auteur à l’écriture magistrale et jamais stéréotypée.

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