chronique roman, nouvelles, récit
VERENA HANF, L’enfer du bocal
Roman paru aux éditions Fdeville
Comme une valse, L’enfer du bocal nous mène d’un pas allègre dans la vie de Jacques, un homme un peu perdu dans sa vie suite au départ de son fils et de son déclassement professionnel. Si ce n’est une rencontre inattendue, sa vie aurait continué à tanguer dans sa mélancolie quotidienne, mais, des fois, rien ne sert de forcer les choses pour qu’elles arrivent.
Jacques aurait tout pour être heureux, mais il ne l’est pas. Son fils est parti vivre sa vie, tout comme sa fille, à la différence que Bruno a rompu tout dialogue, reprochant à son père et à sa mère de ne pas être assez ceci, d’être trop cela. Bref, le courant ne passait plus et le fiston est parti, rompant les amarres, au grand dam de son père qui se demande incessamment ce qu’est devenu son enfant. cette obsession le taraude d’autant plus qu’il a été déclassé professionnellement, devenant ainsi Low performer, lui qui jadis brillait au sein de l’entreprise. Deux « chutes » qui le minent profondément.
En gros, Jacques sombre petit à petit, et même sa femme, pourtant prévenante, lui préparant toujours sa petite boîte à déjeuner, ne semble plus l’intéresser. Mais voilà qu’arrive une nouvelle collègue, Juliette, et cet élément déclencheur pourrait bien tirer Jacques de son marasme.
Une valse.
Ce roman de Verena Hanf, qui nous avait déjà enchantés avec son précédent roman La fragilité des funambules, prend la forme d’une valse puisque trois thèmes reviennent en force tout au long du récit, à savoir ce fils qui est parti, cette rétrogradation de Jacques désormais low performer (et qui a une dent contre la très grande majorité de ses collègues), et Juliette, cette femme grosse à la voix de vanille.
Nous suivons le fil des pensées de cet antihéros à la fois attachant et énervant. Attachant car nous voyons bien que sa vie semble dangereusement se déverser sur une pente savonneuse, le conduisant inexorablement à une dépression nerveuse (si tel n’est pas déjà le cas). Attachant aussi car perdu, désoeuvré face à l’abandon du fils, celui-là même avec qui il avait tant d’atomes crochus, dont les échecs. Énervant car totalement passif face à cette situation, incapable d’affronter ces nouvelles réalités, de reprendre pied dans la vie, au risque de voir partir sa femme, discrète, dévouée.
Avec tact et une plume n’appartenant qu’à elle, Verena Hanf creuse le portrait de cet homme au plus profond de lui, pour en faire ressortir toute l’humanité. On imagine facilement ses tourments, ses craintes de ne jamais revenir ce garçon tant aimé, le fait que cet abandon le place dans une spirale descendante, de laquelle il ne peut ressortir que grâce à la présence de cette nouvelle collègue qui met un peu sa vie dans d’autres perspectives.
Subtile.
L’enfer du bocal s’avère plein de subtilité, Verena Hanf ne forçant jamais le trait de ses personnages, jouant avec sincérité le jeu de cet homme honnête mais déphasé. L’écriture, par ses redondances et cette fameuse valse qui revient sans cesse perturber la vie du personnage principal, nous rentre, presque de force, le caractère de cet homme dans la tête, mais sans jamais alourdir le propos. En effet, le ton est presque détaché, presque humoristique, mais sans non plus devenir comique. De la même façon, Verena évite le piège du pathos en nous livrant cette histoire forcément très humaine.
Il n’y a en effet ici rien de sombre ou de tragique, si ce n’est le tragique de toute vie. Relatif donc. Faites de petits chaos, de petites trahisons, de désillusion, mais aussi de grandes joies, pas forcément toujours présentes mais dont on sent qu’elles pourraient jaillir à nouveau, très bientôt. Loin d’être un livre pessimiste, L’enfer du bocal s’avère au contraire optimiste, même dans ses moments les plus tristes.
Ceux-ci, en effet, ressemblant à s’y méprendre à ceux que nous vivons tous un jour ou l’autre, ne sont que des passages obligés pour enfin aller mieux (ou tout simplement pour aller bien). Verena Hanf capte parfaitement, avec son acuité et sa plume, ce qu’est la vie dans ses grandes et petites largeurs.
Patrick Béguinel