VERENA HANF, La fragilité des funambules

verena hanf la fragilité des funambulesTroisième roman paru aux éditions Fdeville

Nous n’allons pas vous cacher que ce roman de Venera Hanf nous a fortement impacté. En effet, La fragilité des funambules nous dresse des portraits de personnes dont les histoires personnelles se délitent, ou tentent de se reconstruire après un drame. C’est noir, c’est en parti désespéré, mais c’est aussi vecteur d’un amour, qu’il soit cabossé ou pur, et tout ça ne nous laisse pas indifférents.

Adriana est roumaine, vit à Bruxelles, ville où elle s’est exilée après avoir été violée et avoir échappé à la prostitution forcée. Elle a un fils, Cosmin, qui vit chez ses parents, dans un village Roumain. Elle ne le voit qu’épisodiquement. Il est fruit de ce viol. Il est une douleur psychologique pour elle.

Elle subvient à ses besoins en s’occupant de Mathilde, la fille d’un couple aisé, et en entretenant leur maison. La femme, Nina, est psychologue . L’homme, Stefan, est juriste. Ils vivent dans le confort, dans un décor aseptisé, mais leur couple est un chaos.

Quand la mère d’Adriana se casse le pied, ce fils part pour Bruxelles. Il se retrouvera pris dans cet enchevêtrement de personnalités fracassées, en manque de sens, de repères, d’espoirs, et il en sera l’un des dommages collatéraux.

Une écriture uppercut.

L’écriture de Verena Hanf est un coup de poing asséné avec force. Les phrases sont courtes, souvent, fortes, impactées par le poids des mots et de certaines répétitions qui, tels des coups de marteau, enfoncent le clou. Ils ne sont pas mis là par hasard, ces mots, ni pour faire beau. Ils sont posés, ou plutôt coulés dans un ensemble visant à bétonner les psychologies des personnages. Dès la première page, nous ressentons un climat de tragédie, climat oppressant qui s’impose avec force au fur et à mesure des pages que nous tournons. Comme lorsque vous perdez le contrôle de votre véhicule, que vous partez en tête à queue sans rien pouvoir y faire, vous sentez que La fragilité des funambules vous entrainera à sa suite sans que vous puissiez infléchir sa trajectoire.

Certains personnages nous paraissent clairement antipathiques. D’autres nous semblent brisés. D’autres enfin sont des présences solaires. Aucun n’est totalement ou tout blanc, ou tout noir. Mais surtout, en choisissant de proposer à chaque chapitre les pensées d’un personnage, sur lui-même ou sur son interlocuteur, sa psyché nous est dévoilée dans tout ce qu’elle a de magnifique et d’horrible à la fois. Ainsi, qu’en est-il de ses parents qui s’occupent à peine de leur enfant ? Qu’en est-il de cette femme laissée seule, ou presque, face à sa torture psychologique ? Qu’en est-il de cet enfant ne connaissant rien de son histoire, ne connaissant, finalement, pas sa mère ?

Nous sommes placés, comme des voyeurs, en périphérie de tout cela, posant nos jugements en fonction de ce que nous dévoile l’autrice. On est donc ballotté d’un point à l’autre du spectre émotionnel, essayant, nous-même, de contenir nos mauvais penchants en essayant de réfléchir à quelles auraient été nos réactions face à de tels événements.

Magistral.

Et puis, le roman évoque aussi la misère, affective et sociale, autant que les fastes d’une bourgeoisie sans sens. D’un côté donc, vous avez la misère, à fuir, à enfouir sous des masques ou des tentatives plus ou moins vaines pour ne pas qu’elle vous bouffe le foie. De l’autre, l’opulence un peu écœurante, qui rend les âmes vides et pauvres. Ou du moins, c’est ce que nous pensons puisque l’autrice parvient à nous faire changer d’avis sur certains personnages avec un tact incroyable.

Parce que Verena Hanf est monstrueusement forte dans ce qu’elle expose. Elle possède une finesse d’analyse (couplée à celle de l’écriture) à même d’investir les moindres recoins de la pensée humaine, celle qui est noble et celle qui l’est moins. Elle nous place face à nos travers, à nos rêves, à ce que nous faisons de notre vie. Tout ça au service d’un histoire « chorale », où chaque action à des répercussions (dont toutes ne nous sont pas délivrées à la fin, ce que nos aimons puisque cela nous permet de continuer le roman dans notre tête, avec ses propres développements et conclusions).

Et l’amour ?

Bien heureusement, il y a de l’amour aussi. Tout n’est pas noir dans ce roman. On se rattache d’ailleurs à ces amours comme à des bouées de sauvetage qui nous empêcheraient de sombrer totalement. L’amour est un moteur, une force qui permet de s’accomplir ou d’accomplir de belles choses. Nous nous rendons parfaitement compte que si La fragilité des funambules nous met dans une situation de détresse, c’est avant tout par les interrogations que pose le livre. Car nous voyons que sans amour, la vie paraît vide de sens (pour nous) et que cela détruit (tout ou partie) ceux qui nous entourent.

Ce troisième roman de Verena Hanf (après Tango tranquille, qui a reçu de nombreux prix et a été adapté au théâtre, et Simon, Anna, les lunes et les soleils) nous montre une autrice capable de créer des émotions contradictoires, de faire réfléchir sur des aspects quotidiens lourds de conséquences (les aspects « racisme ordinaire » sont absolument criants de vérité), et de nous mettre un peu face à nos propres responsabilités. Un livre qui secoue.

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