SIMON DENIZART, ELLI MILLER MABOUNGOU, Nomad
Nomad, album disponible chez Laborie jazz.
L’excellent label Laborie jazz nous régale avec Nomad, l’album de Simon Denizard et Elli Miller Maboungou. Pourquoi ? Parce que ce duo piano/calebasse-percussion prouve une nouvelle fois que le jazz n’en finit jamais de se renouveler et de s’adapter aux évolutions stylistiques de la musique d’aujourd’hui. Nomad est en ce sens une invitation au voyage sensoriel, qui emporte, virevolte, et parfois aussi déroute.
Il s’agit d’un duo instrumental, pourtant nous pourrions voir dans chacun des 8 titres comme autant de textes décrivant les beautés, mais aussi un peu de ses zones moins ensoleillées, qui nous entourent, autant naturelles qu’humaines. Le ton y est plutôt tourné vers un optimisme enlevé dans lequel le piano souffle en tornade, portée par des rythmiques d’une incroyable richesse.
Les musiciens.
Simon Denizart est pianiste. Originaire de Créteil, il s’est exporté au Canada, à Montréal (première étape de son nomadisme ? Peut-être, peut-être pas, mais une pierre fondatrice de son parcours). Elli Miller Maboungou est lui tambourinaire et joue en particulier de la calebasse. Venant à l’origine de l’univers de la danse (« il apprend le tambour avant de marcher au sein de la compagnie de danse Nyata Nyata), il développe son jeu qui s’avère unique et riche. La calebasse, c’est ce végétal utilisé comme percussion. Elle donne, dans Nomad, une teinte particulière à ses rythmiques, à la croisée d’une puissance inédite et d’un raffinement musical étonnant, dégageant une variété de sons incroyables.
La rencontre des deux hommes, et celle de leurs instruments, pourtant issus de deux traditions différentes, devait forcément se faire. Elle relate leurs expériences passées sur la route.
Forcément, c’est le mouvement qui est ici la pièce maitresse de cet opus. Il est aussi bien emmené par la rythmique au piano, qui pourrait presque se satisfaire en solo (puisque le piano se suffit à lui-même) que par le jeu rythmique inventif d’Elli Miller Maboungou. Celui-ci s’émancipe des codes préétablis, proposant une lecture très personnelle de ce que doit être le rythme. En un certain sens, il ne reste jamais figé dans des codes, et, comme le nomadisme vis-à-vis du sédentarisme, s’avère marginal dans sa proposition (rassurez-vous, cette «marginalité » est un élément on ne peut plus positif).
Sur la route.
Sur la route, quand vos pieds touchent le sol, qu’ils vous embarquent vers une destination dont vous ignorez tout, la magie commence à opérer. Vous y faites des rencontres, découvrez des paysages insoupçonnés, mais aussi des laideurs, des misères, que vous auriez peut-être voulu éviter de voir. Vous vous découvrez aussi en profondeur, plus qu’une personne sédentaire qui, polluée par de multiples sources de distraction, s’évade en oubliant parfois que c’est à l’intérieur que réside la plus belle forme de beauté.
La musique de Nomad est un voyage, comme dit plus haut, qui bouscule les codes. Le piano, un peu plus lourd à déplacer, assume son statut. Rythmique et soliste, il est une danse, insaisissable, rapide, au plus proche des ressentis. Les percussions sont évidemment rythmiques, mais dans un genre très particulier. Passons outre l’instrument en lui-même, la calebasse, assez original dans sa forme et surtout son utilisation ici (absolument bluffante, innovante) pour nous arrêter sur ce qui fait aussi son sel, à savoir qu’il n’est pas rythmique pure, mais une proposition augmentée de celle-ci.
Autrement dit, il peut battre le beat tout comme il peut laisser au piano le soin de poser sa rythmique et lui de s’envoler, de tourbillonner pour servir de « nappe » rythmique désolidarisée de la première, comme si elle avait une vie propre. L’effet obtenu est que la musique de Nomad s’avère incroyablement légère, libre, indomptable, foisonnante d’idées qui nécessite un peu du temps pour découvrir ses charmes dans leur gloablité.
Des émotions en mouvement.
Bien sûr, tout ceci est mis en évidence par les émotions que suscitent les 8 compositions présentes (7 + outro). La palette est vaste puisque nous y ressentons de l’émerveillement, de la joie (certaines descentes de gamme nous évoquent une course folle dans de vastes champs de fleurs sauvages), des touches plus graves, conscientes, évoquant pour nous le fait que tous ne sont pas nés dans les meilleures conditions. Ce mot, conscient, est totalement adapté à la musique du duo.
En effet, si leur musique nous porte principalement dans un sentiment optimiste, presque euphorique, certains passages ne manquent pas de nous interpeler, peut-être justement sur ce que révèlent les voyages, à savoir que les inégalités sont présentes partout, et que cela ne manque pas de nous faire grandir sur notre conception de ce que doit être le monde. Cette maturité humaine est clairement audible à travers la maturité musicale délivrée sur le disque.
Prendre la route.
Les codes jazz sont ici respectés, mais aussi transcendés par un regard plein de curiosité. Les musiciens nous propulsent parfois dans un club à New York ou Chicago, comme sur Lost in Chegaga (paradoxe quand on sait que Chegaga est l’un des deux grands déserts du Sahara Marocain ), dans une rue déserte, en bord de fleuve, dans une grande métropole (Nomad), dans un paysage qui défile et qui s’étend à perte vue (Last night in Houston, comme un road trip sur fond de réminiscence d’un souvenir pas si lointain, puisque remontant à la veille). Les images évoquent aussi l’amour, les relations humaines parfois contrariées par un départ, toujours riches de ce qu’elles apportent à l’âme et au cœur.
Cet album est donc ce voyage interne, immobile, mais qui met en branle tout notre imaginaire grâce à des compositions fortes, à la production parfois avant-gardiste (de légers traitements électroniques sont présents un peu partout, notamment pour donner un effet spatial sur les sonorités de rythmiques). Bref, le jazz n’en finit pas de se renouveler, avec toujours cette pertinence à exprimer ce que renferme l’intimité des musiciens (et de qui les écoute).
LE titre de Nomad.
Nous avons une tendresse particulière pour Manon. Non, il ne s’agit pas d’une ancienne compagne, mais du titre du milieu de l’album. Il dégage un caractère presque dramatique, avec un motif au piano répétitif rehaussé par une rythmique cardiaque en pleine tachycardie. L’effet obtenu est assez surprenant, évoquant un cœur qui s’emballe et nous envoie à travers les artères un sang bouillonnant d’émotions puissantes.
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