ROUGE, Derrière les paupières, le rythme avant tout.

rouge derrière les paupièresPremier album de Rouge (disponible chez Laborie Jazz)

« Le jazz n’est pas mort, c’est juste qu’il a une drôle d’odeur. » Cette citation de l’immense Frank Zappa trouverait aujourd’hui, avec le premier album de Rouge, Derrière les paupières, un contradicteur en puissance. Parce que non seulement ce disque prouve que le jazz a encore de beaux jours devant lui, mais qu’en plus il sent foutrement bon.

En formule trio piano, contrebasse et batterie, le groupe nous livre un disque intense, aux mélodies puissantes et qui possède un sens du rythme incroyable qui le propulse directement vers les étoiles.

Trio.

En limitant la structure d’un groupe à trois individus (ici Madeleine Cazenave, piano, Sylvain Didou, contrebasse et Boris Louvet, batterie), on arrive vite à une forme de cohésion brûlante. Et cette sensation d’avoir affaire à un tout homogène nous saisit dès les premiers arpèges de Petit jour, morceau qui ouvre l’album. Instantanément, la magie opère par une ligne mélodique limpide, simple, qui entre en interaction avec un imaginaire influencé en grande partie par le souvenir des émotions nous ayant assailli tout au long de notre vie.

Les thèmes mélodiques des 6 titres sont d’une insaisissable beauté. Ils reposent sur finalement peu de choses, sur une sensibilité à fleur, et sur une simplicité de son l’interprétation. Mineures ou majeures, les gammes se suivent et ne se ressemblent pas, même si elles se répètent parfois pour appuyer le propos, nous fournir ce socle sur lequel nous pouvons reprendre appui à n’importe quel moment.

Ainsi se développe l’idée, au fil de morceaux prenant le temps de nous embarquer dans un univers luxuriant, grandiose, ouvert. Contrairement à son nom par exemple, Abysses évoquerait pour nous un environnement végétal, en bord de mer, une jungle peut-être, mais pas forcément inquiétante, juste intrigante, que l’on aimerait découvrir en profondeur. Les frottements sur les cordes de la contrebasse développent un caractère presque ethnique à cette musique, tandis que le piano pose ici des couleurs tournées vers l’extérieur, vers une amplitude faite de surprises exaltantes.

Rythme !

Ce titre, comme les 5 autres, possède un rythme bien à lui. La diversité de ce que propose Rouge est à la hauteur de sa créativité, sans jamais se répéter, mais en proposant au contraire un véritable travail rythmique plein de sens. Car si le jazz est souvent considéré, par pas mal de monde, comme une musique élitiste, il est avant tout une musique de rythme (chose que l’on oublie parfois tant cette essence semble avoir quitté le corps de certains jazzmen prétentieux).

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Ici, il est à la base de tout, ce rythme. Aérien ou terrien, profond ou léger, il provoque une collision de sentiments, entre la fougue s’emparant de l’amoureux transi et la félicité du corps fatigué. Entre les deux, un éventail fait de pleins, de déliés, de monts et de vallées, que nous découvrons les yeux grands fermés, comme pour mieux nous imprégner des sensations qui nous surprennent au détour d’un chemin jamais tortueux, mais jamais rectiligne pour autant.

Être là où on ne nous attend pas.

Cela pourrait être la devise du groupe. Pourquoi ? Parce que nous sentons, outre son identité purement jazz, quelques teintes classiques surgir ici ou là, de la même façon qu’un aspect « rock » et « pop ». L’aspect pop transparait par la clarté mélodique des compositions, qui restent en tête, celui rock surgit par l’intensité dégagée par les musiciens. Nous ne pouvons rester simplement spectateurs, assis sur une chaise, à l’écoute de cette musique qui envahit notre système nerveux. Le besoin de bouger, de danser se fait présent, état pas forcément habituel à la cause jazz d’aujourd’hui (les concerts jazz sont assis, pandémie ou pas, souvent, trop souvent).

Derrière les paupières est un voyage exaltant, qui s’empare de nous, dès les premiers mètres. Mais ce voyage se fait avec nous, sans qu’il ne soit besoin de nous forcer à y participer. En effet, Rouge nous implique émotionnellement, instinctivement, corporellement, et ça fait la différence avec pas mal de productions actuelles. Donc, définitivement, le jazz n’est pas mort. Et il sent vraiment bon.

LE titre de Derrière les paupières.

Notre morceau fétiche sur l’album est le magnifiquement rock Brumaire. Si, d’une façon générale, Rouge nous fait penser à E.S.T, c’est sur ce titre que l’énergie de cet autre trio trouve une réponse à son (feu) talent. Car ici, Rouge envoie quelque chose d’incroyablement fort, intense. Tout réside dans une tension rythmique et dramatique, presque noire. Cinématographique, ce morceau impose son climat, entre tension et apaisement, mais de cet apaisement introspectif ou, peut-être, un personnage s’en voudrait d’un acte impardonnable. Il chercherait ensuite à expier sa faute dans une sorte de road movie intime fait de heurts, de combats, pas tous gagner d’avance.

Nous sentons ici une pulsation sanguine qui ne nous laisse pas du tout indifférente, bien au contraire. Le jeu de chaque instrumentiste est inspiré, à l’écoute de l’autre car chacun se complète, appuie les dires de son acolyte. Les musiciens jouent véritablement ensemble, dans une osmose totale qui apporte à Brumaire une dimension totalement folle, où l’un complémente l’autre, prend le relai, lui insuffle une énergie nouvelle et décuplée. Le tout pour un morceau simplement énorme !

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