ESINAM, Shapes in twilights of infinity, aujourd’hui (hier et demain)

esinamPremier album disponible chez W.E.R.F Records

La musique d’Esinam est un voyage, géographique, dans le temps, dans l’âme. L’artiste belgo-ghanéenne nous entraine à sa suite dans un univers entre musique traditionnelle, inspirations africaines, musiques électroniques et jazz, le tout en intégrant instruments analogiques et électroniques sans perdre en âme.

Il y a tout d’abord la flûte. Elle prédomine sur l’album, reléguant loin derrière elle la voix, qui n’est ici utilisée qu’à doses parcimonieuses. Le disque est donc majoritairement instrumental, les quelques apports de voix contribuant à amplifier des émotions, des idées, des sensations.

Un souffle.

Comme un souffle, celui de l’air qui circule dans la flûte d’Esinam. Il est chaud, bouillant parfois, dégage un parfum de danse, une idée de spiritualité, une âme jazz, parfois blues, mais toujours orienté dans une dimension de partage. Cette flûte n’est pas exagérément joyeuse, ni intensément mélancolique, elle se promène en fait sur tout le spectre émotionnel par la seule intensité du souffle.

Elle repose, très souvent, sur des bases tribales, de percussions parfois profondes, sur des peaux détendues, parfois légères, comme si l’on frappait des ustensiles de cuisine sur des pots en terre cuite ou sur du verre. L’aspect presque artisanal de ces percussions donne une énergie inédite aux morceaux. Mais aussi nous évoque certaines contrées du continent africain.

Celles-ci se trouveraient peut-être aux abords du Sahara. Sans doute que la flûte nous donne simplement cette impression d’un espace aride s’étendant à perte de vue, endroit où seul le vent déplaçant des tonnes de sable se fait entendre.

Un mouvement.

Que les morceaux soient plutôt lumineux ou plutôt sombres (enfin disons ombrageux), ils appellent tous à la danse, au mouvement, à la sensualité. Il y a ce rythme, fort, puissant, même lorsqu’il est à bas régime. Avec une égale réussite, Esinam développe ses thèmes, avec une légèreté insolente, jamais inconsistance. Elle nous entraine, presque dans une transe, un lieu dans lequel nos repères s’effaceraient pour ne plus laisser place qu’à l’expression profonde, ancestrale, de notre corps.

Douce, ensorcelante, la musique se fait aussi caresse, parfois coup de tonnerre, chair de poule comme électricité. Lorsque les voix apparaissent, le plus souvent sous forme de choeur (quelques paroles à la fin de New dawn, un opeu plus sur Deep in my soul) c’est pour porter cette tension, jamais accablante, vers des sommets que ne peuvent atteindre les mots. Car ici, le pouvoir évocateur de la musique disperse sa magie. Nous y écrivons notre propre histoire, en fonction de nos ressentis les plus vifs, les plus intimes, mais également en fonction de notre état d’esprit du jour.

Ce mouvement est aussi fruit d’un groove pénétrant. Les parties de basses sont ainsi appuyées par une batterie jazzy, tandis que les guitares se font « maliennes » (Lost dimensions, Infinity). Quand ce mouvement intègre plus d’électronique, ce n’est pas pour le dénaturer, le rendre robotique, mais lui apporter une dimension proche de l’onirisme ou du surréalisme (Deep in my soul par exemple).

Chaleur.

Même si le caractère « mécanique » de ces instrumentations faites par des machines pourrait apparaître froid, il est ici au contraire moulé dans l’âme d’Esinam, dans sa volonté que rien ne s’affranchisse du contexte du disque. L’unité règne donc, en partie grâce à une production parfaitement étudiée, qui réussit à englober les genres musicaux et la façon de façonner la musique qu’elle cerne. Ainsi, le jazz, parfois tendance expérimentale, rejoint la world music, toujours avec un son qui nous accueille tout contre lui, avec générosité, même dans ses sonorités les plus aiguës (on pense à certaines notes de flûte, mais également à ces percussions de vibraphone, comme sur Birds fly).

Esinam

© Maël G. Lagadec

La seule autre constante de ce disque, c’est qu’il appartient à son époque, qu’il semble ne pas tenir compte des revivals (actuellement orientés plutôt sur les années 80-90). Au contraire de tout un tas d’artiste, c’est bien dans les années 2020 que prend corps Shapes in twilights of infinity, et grand bien lui prend puisque Esinam et les différents musiciens participant à ce disque , son groupe composé de Pablo Casella (guitare), Axel Gilain (basse électrique, contrebasse, moog) et Martin Mé-reau (batterie, vibraphone), mais aussi les featurings de Sibusile Xaba et Nadeem Din-Gabisi, apportent une profondeur d’âme supplémentaire, parfois traditionnelle qui rehausse justement cette touche très moderne.

Le disque est donc un de ceux que nous écoutons les yeux grands fermés. Nos paupières, vues de l’intérieur, sont dès lors des écrans de cinéma dont les images proviennent de l’imaginaire tissé par l’artiste. Le dépaysement est totale, l’immersion aussi, entre passé et futur, bref, totalement d’aujourd’hui.

LE titre de Shapes in twilights of infinity

Il nous fait penser à Take careful with that Eugene de Pink Floyd, cette version jouée à Pompéi, au début des années 70, avec ce petit balancement sensuel à la basse, et des choeurs à faire fondre la banquise, le tout près à nous porter très loin dans une transe méditative puissante. Presque jazz, la guitare est d’une beauté à pleurer, blues, hors du temps et de l’espace. Les choeurs sont somptueux, l’ambiance dégagée par l’ensemble est céleste. Contrairement au morceau des Floyd pas de déferlement de guitare et d’électricité déployée suite à un hurlement, mais une sensualité, presque un appel au sexe qui parcourt notre échine. Le titre, c’est Let it be. Il porte bien son nom. Et il est totalement magique.

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