[ALBUM] ALBERTINE SARGES, The sticky fingers
The sticky fingers, Nouvel album d’Albertine Sarges.
Lorsque nous avions découvert son single Free today, nous nous disions que nous avions là une artiste dont la différence ne faisait aucun doute. Très bien nommé, le morceau déployait une liberté de ton, porté par une basse propulsant un groove minimaliste sur fond de spoken word. Ce texte, extrait d’un texte de l’auteure et penseuse féministe Sara Ahmed, jouait sur une forme de tension instrumentale libérée par des envolées vocales libératrices. Le timbre de voix, l’implication d’Albertine Sarges tendant à rendre le titre incandescent. Alors, quand nous avons reçu l’album, The sticky fingers, nous avons foncé tête baissée dans l’univers de l’artiste allemande.
Gand bien nous en a pris car Free, ouvrant l’album, qui est non seulement un très bon morceau, reflète la personnalité que l’album qui le suit. De la liberté, il en est question tout du long, une liberté de ton, une liberté d’improviser, une liberté de pensée aussi. Ainsi, cet album pop explose méthodiquement les codes, insuffle un vent de fraîcheur salvateur sur le genre.
Dépression.
Il faut dire que le parcours d’Albertine Sarges n’est pas des plus tranquilles. Après le décès de son père, l’artiste traverse une crise qui dure une quinzaine d’années. Si l’album traite de cette dépression, en s’inspirant dans ces grandes lignes de la vie de l’autrice compositrice interprète, il en est paradoxalement le parfait remède. Il dégage, de par son groove omniprésent, par ses orchestrations et choix esthétiques une force gigantesque, qui nous porte et nous balaye d’un revers de la main, comme pour nous dire que nous sommes insignifiants et, qu’en tant que tel il nous faut apprendre à vivre en essayant de ne pas trop s’en faire. Autrement dit, de savourer la vie avant que celle-ci s’éteigne.
Nous retrouvons donc des lignes mélodiques d’une efficacité toute diabolique. Celles-ci se tatouent sur nos tympans, dans notre cerveau. Elles possèdent l’efficacité des grands noms du genre, avec une grâce toute personnelle à l’artiste. Celle-ci réside dans une certaine sobriété instrumentale. Elle se traduit par des passages relativement minimalistes, portée par une basse expressive mise aux avant-postes, une relative discrétion de la guitare (pas de crise d’égo, elle reste souvent en retrait). Des arrangements surprennent, comme par exemple l’utilisation de la flûte. Elles donnent à certains titres (Free today, Fish, Roller Coaster par exemple), un petit parfum rétro, évocateur de la musique hippie de la fin des années 60.
Prouesse vocale.
Mais c’est véritablement du côté vocal de l’album qu’Albertine Sarges développe sa différence, son identité propre. Excellente chanteuse, au timbre de voix aussi délicat que puissant, elle ose le lyrisme et des incartades jubilatoires. Sur Post office, par exemple, morceau folk, à la guitare acoustique, sa voix ose les dérapages, toujours contrôlés, montant dans les aigus, rompant avec une forme de classicisme pop. Tout sauf linéaire, le chant de Sarges impose une personnalité folle, peut-être bipolaire (pour de faux).
Elle joue véritablement de son organe, rompt avec ce qu’on attend d’une chanteuse pop, ose un lyrisme presque baroque, ce qui nous fait un bien fou. Un grain de folie balaye tous les préjugés, propose des couleurs folles. Des titres comme Roller Coaster, Free today, The girls ou bien encore Post office se rapproche dès lors presque d’une esthétique, dans le chant, punk. D’autres, comme The girls (décidément bien bipolaire celui-ci), Stile, Oh my love ou Beat again démontrent au contraire toute l’étendue du savoir-faire pop de la dame, en restant relativement classiques dans leur forme.
Sauvage.
Au final, nous obtenons un album riche de son inventivité, de sa différence, tout en sachant séduire les plus conservateurs de la chose pop d’entre nous. La folie des lignes de chant, les facéties instrumentales, le groove en fil rouge, The sticky fingers dégage un sentiment de puissance retrouvée, comme si son autrice était enfin sortie de ses tourments pour s’accepter totalement.
Pourtant, l’album ne paraît pas revendiquer une certaine émancipation. Comme si tout ceci finalement était totalement logique, normal de s’exprimer de la sorte, entre romantisme et formalisme pop, entre expérimentation et minimalisme, entre sobriété et démonstration extravertie. Mine de rien, cet album est une pépite de pop music comme nous aimerions en entendre plus souvent. Ce qui en fait en soit un court (seulement 8 titres et 37 minutes qui passent comme un éclair dans un ciel tourmenté) chef-d’oeuvre du genre. Un grand disque quoi.
LE titre de The Sticky fingers.
Nous le disons comme nous le pensons, il n’y a pas un morceau qui soit plus faible que les autres. Notre amour des morceaux longs nous pousse naturellement vers le plus long du LP, à savoir Stille. Peut-être nous tournons-nous aussi vers celui-ci car c’est le seul chanté en Allemand. Ce titre, peut-être le plus grave, ou dramatique, dans ses tonalités, nous fait forte impression.
Nous y sentons un spleen amplifié par cette langue dont nous ne connaissons que peu de mots. Sa batterie, véritable pouls, impose un corps presque meurtri. Cela est renforcé, une nouvelle fois par la langue. Ce choix d’ailleurs n’est peut-être pas anodin car il symbolise, dans notre fantasme vu que nous ne pigeons que quelques mots par-ci par-là, l’intimité de la chanteuse. En effet, nous pensons que c’est dans ce titre, utilisant sa langue maternelle, qu’Albertine Sarges dévoile ses tourments internes les plus forts. Le morceau, aux choeurs somptueux, à la production tout aussi magnifique (mais tout l’album bénéficie de ce soin), nous prend par la main pour nous raconter la vie, sans fard, dans toute sa complexité. Placé en milieu de disque (pas anodin non plus à notre avis, ce qui démontre également une tracklist ne laissant rien au hasard) Stille est bouleversant.
Réécouter Free today