Chronique livre chronique roman, nouvelles, récit
YVES BIGOT, Katrijn (paru chez Encre de nuit)
Une femme des années 60.
Direction les 60’s avec Katrijn, de Yves Bigot. Katrijn est une adolescente de 16 ans qui se retrouve soudainement projetée au cœur du Swinging London, puis du Summer Of Love à San Fransisco suite à l’arrestation de son père, un homme d’affaires Néerlandais très influent dans son pays. Elle y découvrira la musique, l’amour, le sexe, les idéaux, et se façonnera sa personnalité.
Tout commence par l’arrestation de son père. Alors qu’elle passe une vie paisible à Amsterdam, entourée de ses deux frères, de ses parents et grands-parents, cette arrestation fait voler en éclat le cercle familial, que l’on découvre finalement pas si solide que ça. Sa mère, décidant de la protéger de la férocité des médias, qui se feraient une joie d’appuyer sur la tête de cet homme qui prend déjà la tasse en divulguant tout et n’importe quoi sur sa famille, en particulier sa fille, l’envoie à Londres, chez sa cousine Johanna, afin qu’elle retrouve un anonymat et poursuive ses études sereinement. Mais là, elle découvre une capitale anglaise en pleine ébullition, dopée à la pop music qui fait les ravages que nous lui connaissons.
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Se construire une personnalité.
De fil en aiguille, la jeune fille, athlète émérite, commence à s’émanciper. Des paillettes plein les yeux, elle découvre les folles soirées, celle des premiers concerts des Pink Floyd, la mode de l’époque, mais aussi tire sur ses premiers joints. Mais son passé la rattrape et lorsqu’un tabloïd la montre en une de son journal, juché sur les épaules d’un musicien lors d’un concert, sa cousine et elle décident de fuir vers San Fransisco. Et là, forcément, rebelote, découverte du Grateful Dead, de Jefferson Airplane, de Quicksliver Messenger Service et tant d’autres. Résidant au cœur du quartier « magique » de la ville, elle découvre le sexe (se fait initier par un Jim Morrison christique encore presque inconnu, le tout sur un quasi-malentendu), et vit une mauvaise expérience avec le LSD.
Cette explosion de découvertes ne masque pourtant pas la personnalité de la jeune femme qui adhère pleinement au mouvement hippie, mais aussi, d’une manière plus large, à un féminisme qui devrait être aujourd’hui considéré comme normal (ou chose du passé puisqu’il serait tout de même grand temps que les femmes soient considérées normalement comme l’égal des hommes, professionnellement et socialement parlant). Elle se bat contre les clichés, se bat, avec ses armes, pour trouver sa place autrement que par son physique avantageux. Loin de sombrer dans les dérives de ces mouvements citoyens prônant l’amour et la paix (elle ne consomme finalement pas tant de produits illicites, à une ou deux reprises seulement, hors joints), son regard est plutôt lucide sur la société et ses travers.
Un portrait réaliste.
Ce portrait de Katrijn est étonnamment moderne. S’il est placé au cœur de la deuxième moitié des années 60, il est également le portrait d’une jeunesse qui pourrait être d’aujourd’hui (à deux trois exceptions près, le décorum n’étant évidemment pas le même). Son combat pour ne pas être prise pour une bimbo, ses prises de décisions matures, son envie de liberté mais aussi d’une certaine égalité, nous la voyons progresser en tant qu’être humain. Le tout n’est pas fleur bleue, n’est pas « bisounours », pas plus qu’idéalisé à outrance, tout cela grâce à la plume de Yves Bigot.
Celle-ci s’avère alerte, légère, appuyant sur des détails importants qui articulent son histoire de façon plus que convaincante. Le côté documenté de sa plume apporte qui plus est une touche de véracité incroyable, au point que nous nous demandons si ce livre n’est pas une biographie. Enfin, elle en est une, à sa manière, d’un personnage fictif qui aurait pu exister réellement.
Il faut dire que l’auteur possède un sérieux bagage pour nous conduire au plus vrai de cette époque (il est entre autres journaliste, animateur, réalisateur, programmateur, producteur pour la télévision, la radio et la presse écrite, producteur de disques, directeur de labels phonographiques, de programmes et d’antennes de radio et de télévisions, et dirige également TV5 monde). Légitimité approuvée à 200%.
Voyage, musique, humour.
Si l’ensemble parle évidemment beaucoup de musique et de quête identitaire, ce roman est aussi une découverte du monde à travers le voyage, même si celui-ci est initialement subit. La plume descriptive nous fait entrer de plain-pieds dans le Londres et le San Fransisco d’époque, décrit ses lieux emblématiques, les « gens » qui y vivaient, sans pour autant être froide comme une écriture journalistique. On sent au contraire une véritable passion, un feu ardent d’exprimer la grandeur des idéaux de ces mouvements d’émancipation civique. Pour autant, la plume s’avère entraînante, plutôt joyeuse (même si des passages sont nettement plus « flippants »), parfois pleine d’un humour délicat (l’élection de Miss Pays Bas notamment).
L’intrigue ne repose pas que sur cette découverte de soi-même puisque cette histoire d’incarcération du père de l’héroïne sert de fil conducteur. Grâce, ou à cause d’elle, cette explosion de situations colorées et folles, de moments de découverte peut avoir lieu, mais, comme stipulé dans les premières lignes du roman, la vie de Katrijn s’arrête brutalement. Ce côté acide pointe en sous-marin la violence d’un monde « réel » derrière l’utopie hippie. Comme un retour de manivelle cinglant. Le livre se dévore, et on tombe aisément amoureux de Katrijn, pour sa modernité, pour sa vision d’un monde qui devrait finalement être tel qu’elle l’imagine et non tel qu’il est. Une façon comme une autre de s’interroger sur le pourquoi du déclin de cette utopie peace and love (élément de réponse : la drogue).
Feel good
C’est donc a regret que nous quittons ses tribulations, la tête néanmoins remplie de fantasmes sur cette époque durant laquelle nous aurions rêvé de vivre. Nés trop tard, ce fantasme, déjà bien alimenté par nos lectures diverses, retrouve un éclat inédit par l’itinéraire fulgurant de Katrijn. Un roman diablement efficace, addictif, solaire mais jamais frivole, peut-être pas le roman de l’année mais celui qui nous a fait le plus de bien. Et ça vaut tout l’or du monde !