[ROMAN] SARAH BELL, Et les Beatles chantaient.

Et les Beatles chantaient, premier roman paru aux éditions Annick Jubien.

Une fillette en pleurs que l’on place sur la banquette arrière d’une voiture. Elle quitte le domicile parental, avec sa mère, avec l’une de ses tantes, au volant. L’autre de ses tantes restent, en larmes elle aussi, à regarder les feux arrière du véhicule s’éloigner. La fillette ne reverra cette deuxième tante que près de 20 ans plus tard. Et celui qu’elles quittent, mère et fille, c’est ce père alcoolique qu’elle ne le reverra plus, sauf à une unique occasion. Et les Beatles chantaient, de Sarah Bell, n’est pas un livre sur les Fab four. C’est un livre sur la filiation rompue, sur le manque du père qui dessine les cartes d’une enfance et d’une vie adulte dont les dés sont pipés dès cet événement dramatique.

Quitter Liverpool.

Tout commence à Liverpool, dans les années 70. Rebecca-Jane a trois ans. Sa mère, lassée du père alcoolique, prend la décision irrévocable de retrouver la France, de fuir cet homme qui boit sa paye. Cet homme, John, est un homme qui a du mal à accepter sa condition d’homme, comme si l’enfant qu’il était jadis ne l’avait jamais quitté. Oh, tout est excusable, même si la situation reste invivable pour la mère, ce qui là aussi est facilement compréhensible, excusable également.

Elles partent donc, un jour, laissant ce père à son destin de poivrot, ce qui ne fera qu’aggraver sa déchéance, parce que sa fille, il l’aime, simplement, et il ne cessera jamais de ressentir ce sentiment pour elle, même s’il demeure loin des yeux, loin du cœur de celle-ci. La mère elle, redémarre sa vie du côté d’Angers, vivra une histoire avec un autre homme, trimbalera sa fille derrière elle, fille dont le mal-être, dont la conscience des événements occupent tout l’espace. La colère est son moteur, colère d’avoir été amputée d’un père dont elle adopte, sans le savoir, une certaine gestuelle, père qui, comme elle, rit aux mêmes blagues. Mais comment se construire avec cette partie manquante, pièce fondatrice de la croissance de tout être humain ?

Filiation.

Il paraît plus que difficile de ne pas parler de ce roman (en réalité une auto-fiction) comme d’un livre sur la filiation, sur la quête de sens d’une vie dont l’un des piliers est absent, rendant ainsi bancale toute évolution, toute construction intime. Il y est question, aussi, des méfaits de l’alcool, même si cela n’est qu’un élément secondaire (et pourtant primordial) de cette histoire. Pourtant, ultra-présente, nous voyons bien que cette drogue légale fait énormément de dégâts. Était-ce encore à prouver ?

Oui, nous ne dirons jamais assez comment l’alcool détruit tout et fait des dommages collatéraux violents. Enfin, Et les Beatles chantaient est une histoire d’amour, d’amour de celui qu’on ne connait pas, d’amour de soi, d’amour de soi à créer ou à retrouver, d’amour de la vie aussi, puisque la jeune fille, puis femme, n’aura de cesse de se battre contre ce démon invisible pour vivre une vie « normale ».

Ce livre est extrêmement touchant, parce qu’il touche à ce que tout être humain connaît. Enfant abandonné, enfant privé d’un père ou d’une mère, enfant vivant avec ses deux parents, nous sommes tous le fruit d’une union, ne serait-ce que purement sexuelle. Tous, nous pouvons imaginer ce que cette petite fille vit. Peut-être pas de manière violente, pas comme elle, mais comme si nous avions nous-mêmes vécus amputés d’un ou des deux membres de notre famille (comme d’un membre de notre corps en somme), mais le talent d’écriture de Sarah Bell réussit à nous embarquer dans son livre de façon magistrale. Magistrale car sans pathos, sans effets larmoyants grossiers, mais avec une plume sûre d’elle, puissante autant que douce (douce amer serait plus exact comme terme), libérée aussi.

Auto-fiction.

Comme nous le disions plus haut, Et les Beatles chantaient est une auto-fiction. Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes, déguisé ou pas, de l’autrice à l’égard de sa mère, ou même de ce père absent. Elle relate juste les tourments intérieurs vécus par une enfant qui grandira avec ce vide en elle, vide qui se transformera au fil du temps en colère rentrée, en mélancolie appuyée. La psychologie de Beckie, Beck, Rebecca, Rebecca-Jane est dès lors parfaitement développée, du moins sur tous ces aspects relatifs à ce manque que rien ne peut combler. Nous ne pouvons que nous identifier à elle, tenter d’imaginer ce que génère la perte de ce membre fondateur de nos existences. Et nous nous identifions aussi à cet instinct de survie, incandescent, vibrant, moteur de toute vie qui mérite d’être vécue pleinement.

Ce feu sacré trouve des appuis dans l’amour des grands-parents, dans les amitiés enfantines, dans la musique. Cela nous touche aussi particulièrement, tout ce rapport à la musique. Parce qu’il y a Liverpool, ville au spleen chatoyant, ombre à la fois inquiétante et rassurant, décor grandiose dont on fantasme le passé, tout comme ses habitants fantasmaient d’avoir un jour cotôyé, de près ou de loin, John, Paul, Georges ou Ringo. Oui, c’est indéniable, la musique de cette ville et de cette vie nous marque, mais, également, parce que la musique est un repère sur lequel nous pouvons nous appuyer, tout le temps, partout.

Une vie.

Peut-on dire que la musique sauve la vie de Rebecca-Jane (ou de Sarah Bell) ? Nous ne savons pas. Ce que nous savons en revanche, c’est que la musique permet de combler des manques, qu’elle comble aussi ce que nous n’arrivons pas exprimer. Elle nous montre, comme la littérature, que d’autres ressentent les mêmes émotions que nous. Alors, ponctuer cette histoire de musique prend doublement son sens, puisqu’elle est la particule indispensable qui n’est jamais enlevée à la jeune fille (au contraire du vinaigre sur les frites).

Ce premier roman se lit d’une traite, en à peine deux heures. Il est passionnant dans ses développés, dans cette vie résumée en 150 pages environ. Il est un cri de vie, c’est indéniable, il est aussi cri d’amour. Enfin, il touche à l’humain sans en faire des tonnes, avec une pudeur élégante, et remue comme il se doit le lecteur, mais ne le fait jamais de façon nauséabonde. Ce petite livre permet de comprendre et de voir derrière les apparences de ceux qui ont vécu privé d’un des leurs, dès tout petit, ce qui nous amène à mieux nous connaître, nous aussi. Pour tout cela, il s’avère indispensable, et à chérir comme un beau cadeau.

radio activ L'agrestie de David Le Golvan

 

Exclu :
La chronique radio de Et les beatles chantaient de Sarah Bell, sur Radio-activ, dans l’émission B.O.L c’est ici !

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