PASCAL CARRÈRE, Le coutelier de Quietbay (L’Orpailleur).

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3é roman chez l’Orpailleur.

Steve Arnaudie est le coutelier de Quietbay. Avant cela, il a été fermier, soldat. Ces qualités de fermier, sa capacité à traquer les prédateurs, sa capacité à protéger le bétail lui ont servi, soldat, à débusquer l’ennemi et, à l’éliminer par le tir à longue distance. Mais la guerre, ça laisse des traces, et à l’heure de la retraite, cet homme, à l’enfance brisée par un père tyrannique dénué d’amour, devient forgeron.

Il façonnera des couteaux, mais des couteaux d’ornement, des couteaux domestiques, sans autre fonction que celle qu’on leur attribue normalement. Hanté par les horreurs de la guerre, il ne veut pas que ces ustensiles soient utilisés pour commettre un crime. Ainsi, il s’enquiert auprès de ses clients de l’utilité qu’ils prévoient pour leur couteau avant de leur donner corps.

Mais à l’heure où le gouvernement sud-africain décide d’exproprier les propriétaires terriens afrikaners, Steve renonce à son souhait de ne plus faire la guerre. Lorsque son fils l’appelle à l’aide, il quitte sa retraite pour mener un dernier combat. Ce livre, d’une humanité sidérante, nous plonge dans la vie d’un homme s’étant construit seul et dont l’intelligence de vie s’est bâtie sur des épreuves que d’aucuns auraient jugées insurmontables.

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Une écriture serpentine.

Pascal Carrère propose une écriture à l’image de son personnage principal. Elle avance non pas en ligne droite, mais en effectuant des courbes à chaque souvenir qui effleure la conscience de Steve Arnaudie. L’annonce du gouvernement le replonge dans son passé, dans cette vie incroyable, fait de maltraitances, mais aussi d’appartenance à une terre que ses aïeux ont jadis volée. Car tout repose en partie sur cette identité, ce sentiment de nationalité. Des phrases fortes, porteuses d’une vibrante humanité, d’une philosophie « concrète », quotidienne, nous bouleversent.

Appartenir à sa terre, plus que l’inverse. Respecter la nature, celle qui nous entoure mais aussi la nôtre, intérieure, tout se télescope avec une rare clairvoyance. Entre introspection et vision globale d’une situation menant inexorablement à l’affrontement, autant celle d’ethnies que de « civilisations », le personnage de Steve Arnaudie exprime une incrédulité face aux intérêts politiques et économiques, dénués d’une once d’humanité.

Rien n’est frontal, tout est amené avec tact. Le doigté de l’auteur nous rend son personnage non pas sympathique, mais un modèle à suivre. Celui d’un homme qui, sans éducation préalable, a su, de ses expériences, de ses blessures, trouver une force de vie, d’amour, au-delà des clivages, reléguant la bêtise au fin fond des tiroirs pour ne garder que la réflexion en point de mire.

Le vrai combat.

Nous grandissons en même temps que Le coutelier de Quietbay nous conte sa vie. Envoyé à la guerre avant même de savoir lire, il défendra sa patrie, son pays, sa terre. Mais, là où les guerriers de tribus fondent leur tissu social sur les affrontements entre clans, la « modernité » elle ne l’utilise qu’à des vues à court termes, économiques, oubliant que des hommes meurent.

Quand il doit reprendre les armes, ce n’est pas tant pour défendre sa terre que pour simplement signifier qu’elle lui appartient autant qu’aux tribus autochtones. Profondément anti-raciste (simplement humaniste), ce personnage indique juste qu’il existe pour et par son appartenance au sol qui l’a vu grandir.

La philosophie qui émane de ce roman est une ode au respect (les passages descriptifs de forge sont aussi un respect de la valeur travail, du sens que nous lui donnons), mais également à ces graines que l’on plante dans notre descendance. L’amour. Car il n’est finalement que question de cela dans ce livre. L’amour qui nous permet de grandir en sécurité, l’amour qui guide nos actions, l’amour qui, même lorsqu’il a disparu, n’entraîne pas d’amertume mais juste le bonheur d’avoir aimé et d’avoir été aimé en retour.

L’amour

L’amour entre Steve et Akira est chavirant de puissance. Lui, blessé, presque martyrisé, elle, muette, forte, symbole de féminité mais aussi symbole de mère nature, symbole de celle qui porte le monde entre ses mains. Elle nous émeut alors qu’elle est presque « invisible » tant nous pouvons y voir une métaphore de la Terre qui nous accueille, de celle que l’on prend soin de maltraité (Akira est une Bochiman/Bochimane, ethnie rendue servile par les afrikaners), de piller, de violer par cupidité. Et pourtant, c’est ce personnage qui triomphe.

La fin, d’une beauté à pleurer, rend ce livre encore plus puissant, nous invite à nous pencher sur le sens que nous donnons à nos existences, à nous pencher également sur nos priorités. Les nôtres sont assez claires, mais le sont-elles pour tout le monde ? Ce grand livre mérite amplement d’être découvert par le plus grand nombre, un peu comme un Danse avec les loups ou d’autres livres de cet acabit, car il nous offre la possibilité de mieux comprendre le monde, et de mieux nous connaître nous-mêmes. Bref, Le coutelier de Quietbay est magnifique de subtilité et d’intelligence.

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